Carnets d'exil - ChroniqueJe n’ai pas choisi ma vie, je m’y adapte.2024-02-27T14:43:38+01:00Dominique Sarrurn:md5:459c1a2b799c144594fd70e74bfb9643DotclearMigrations et phobiesurn:md5:ce213da919ddbd9b011ae8621cf4566e2024-01-07T08:58:00+01:002024-01-08T17:05:20+01:00Dominique SarrChronique<p>Les questions posées par les flux migratoires, comme celles posées par les extrêmes droites, sont à l’évidence mondiales. Celles-ci sont de tradition différente selon les pays : néonazie (Allemagne, Grèce…), néofasciste (Italie), néopétainiste, intégriste ou maurrassienne (France), néofranquiste (Espagne), intégriste catholique (Pologne), évangélico-libertarienne (États-Unis), sioniste (Israël) ou islamiste (Iran, Hamas…), intégriste hindou (Inde), néodictatoriale (Brésil…), ultralibérale-autoritaire (!) (Hongrie, Argentine…), etc. Elles ont pourtant un fonds commun, touchant notamment la « question de l’immigration ».</p> <p>En Europe, les extrêmes droites entendent bloquer l’arrivée des migrants venus du Sud, voire les chasser. C’est le texte de leur discours : j’y reviendrai. <br />
Qu’en est-il au Brésil ? L’ennemi de l’extrême droite brésilienne, c’est « l’Indien » : il faut récupérer ses terres sous-exploitées pour les mettre en valeur par l’agro-élevage industriel. À Belém, une dame pauvre, travailleuse, aimable, m’a un jour stupéfait en se mettant soudain à vitupérer contre les Indiens, source de tous les problèmes : paresseux, ils ne savaient rien faire et ne venaient en ville que pour voler et se droguer : le fonds de l’électorat populaire bolsonariste, miséreux, mais tenant à s’en prendre à plus miséreux que lui… Ainsi, ce que défend le populisme brésilien, ce n’est pas l’autochtone contre le migrant, c’est le Blanc, colon venu d’ailleurs, contre l’autochtone.<br />
Qu’en est-il en Israël ? L’ennemi de l’extrême droite israélienne, ce n’est pas le migrant — accueilli à bras ouverts s’il est juif —, c’est le Palestinien, installé ici entre les IVe et XIXe siècles aux côtés de minorités : le Palestinien, chassé de sa terre depuis 2017, puis 1948, puis 1967, etc., par tous les moyens : achat, expropriation, terreur, droit international ou mépris du droit international, riposte aveugle et sanglante à la rébellion, que ses formes soient légitimes ou inacceptables… Ainsi, ce que défend l’extrême droite israélienne, et derrière elle les populismes juifs et évangéliques, ce n’est pas l’autochtone contre le migrant, c’est le peuple élu contre l’autochtone.<br />
Qu’en est-il aux États-Unis ? L’ennemi de l’extrême droite étatsunienne, c’est le Latino, cette sorte de métis amérindien-noir-hispanique. Curieusement, l’autochtone menacé, c’est pour elle le Blanc. Ne vient-il à l’idée de personne qu’il est arrivé ici, au plus tôt, en 1607, et souvent bien plus tard ? Qui sont les fils de migrants aux États-Unis : les Williams, les Jones, les Trump… Qui en sont les autochtones : les Algonquins, les Hopi, les Cherokee, etc. chassés de leur terre ancestrale et parqués dans des réserves… Ainsi, ce que défend le populisme étatsunien, ce n’est pas l’autochtone contre le migrant, c’est l’occupant blanc, autrefois contre cet autochtone, aujourd’hui contre son cousin métissé du Sud. Encore entre la fin des guerres indiennes et l’afflux des Latinos, l’extrême droite s’était-elle ingéniée à broyer les fils des victimes africaines des migrations forcées que ses ancêtres esclavagistes avaient érigées en système..<br />
Certes, ni au Brésil, ni en Israël, ni aux États-Unis, ni ailleurs, il n’est question de mettre en cause la présence de populations installées depuis des décennies ou des siècles : seulement de s’interroger sur le rapport qu’elles entretiennent avec les populations natives. L’Histoire a créé des droits aux arrivants, elle n’a nullement effacé ceux des autochtones, dont la force les prive pourtant.<br />
<br />
La conclusion s’impose : l’invariant, ce qui est commun à toutes les extrêmes droites du monde, ce n’est pas la lutte contre l’immigration, c’est le complexe de supériorité qui de leur « race », qui de leur « civilisation », assorti d’un droit à la domination, face à une humanité inférieure, dont peu importe qu’elle soit la première occupante ou la dernière venue : ceci ne relève que du marketing.<br />
Ce <em>suprémacisme</em>, assumé ou latent, racial ou civilisationnel — occidental blanc dans les trois cas cités —, est, comme aux temps des conquistadors ou des nazis, le fondement de toutes les extrêmes droites du monde. <em>C’est même leur signature</em>. L’immigration ne dérange nullement les extrêmes droites. Ce qui les dérange, c’est l’autre, le différent — préjugé inférieur —, bouc émissaire qui pour cela fait peur, que l’on hait, qui trouble le confort de l’entre-soi.<br />
La haine européenne des migrants ne date d’ailleurs que du dernier tiers du XXe siècle. Pourquoi ? Parce qu’il s’est produit au xxe siècle une <em>inversion des flux migratoires</em> : depuis les grandes découvertes, les migrations étaient essentiellement coloniales, elles inondaient d’Européens d’immenses régions d’Afrique, d’Asie, d’Océanie, des Amériques, dans le sillage de conquêtes riches en génocides et en ethnocides : « l’œuvre civilisatrice » de l’Occident blanc et chrétien, dont les extrêmes droites, après avoir tout fait pour empêcher les décolonisations. entendent bien s’opposer à toute mise en question. Mais aux « bonnes » migrations, évinçant les peuples autochtones au profit des Européens, ont succédé de « mauvaises » migrations, celles-ci irritantes et menaçantes. Pourtant, chers suprémacistes, les nouvelles migrations ne sont que la monnaie de la pièce de celles que vous adoriez…<br />
Revenons finalement à l’Europe, plus précisément à la France : le lent virage de l’extrême droite « nationale » autour de l’année 2000 est particulièrement significatif. Jusque-là, la France pétainiste, maurrassienne, lepéniste avait son bouc émissaire : le Juif, persécuté, toléré ou chassé, selon l’époque, depuis le Ier siècle. Mais à la fin du XXe, un autre ennemi lui apparaît plus dangereux pour l’identité française : l’Arabe (et le Noir), d’installation récente. Or cet ennemi a un ennemi, dès lors fréquentable, mieux : un allié. Le Juif, autrefois abandonné à des chambres à gaz « détail de l’Histoire », se mue par magie, pour le néolepénisme, en héros (israélien ou français) du combat contre le nouveau bouc émissaire : l’Arabo-musulman.<br />
Le racisme et le suprémacisme restent les mêmes : on a juste opportunément modifié la frontière entre le Blanc, toujours civilisé et supérieur, et le métèque, toujours barbare et inférieur.<br />
Cela ne suffit-il pas à réduire en cendres la vision de western qu’ils portent du monde ?</p>Peintures rupestres à Cala Calaurn:md5:0f26b8a790d0abd12fc80487b4b1bc2c2024-01-01T20:33:00+01:002024-01-07T15:31:56+01:00Dominique SarrChronique<p>Si votre référence en matière d’art rupestre est (comme il se doit…) la grotte Chauvet, oubliez-la un temps : ce chef-d’œuvre absolu n’a jamais été égalé au cours des 30 000 ans et plus de Paléolithique et de Néolithique qui ont suivi.<br />
La roche de Cala Cala est certes un « petit » site d’art rupestre, mais chargé d’émotion : on se sent un instant proche de l’humanité des antiques pasteurs qui s’y projetaient dans leur peinture.</p> <p><img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231213_103325-Roche-Cala-Cala-opt_m.jpg" alt="La roche de Cala Cala" title="La roche de Cala Cala" /><br />
Située à 25 km à l’est d’Oruro<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Peintures-rupestres-%C3%A0-Cala-Cala#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>, la roche de Cala Cala, une paroi rocheuse située à un peu plus de 4 000 mètres et haute d’une vingtaine de mètres, laisse admirer des peintures datant de 2 400 ans. Ceci les place dans la culture Wankarani, qui occupait la région entre -2500 et -200 environ.<br />
Elles sont de trois couleurs, rouge, noire et blanche, et figurent principalement des lamas, mais aussi un félin (puma, jaguar ?) et des humains. Tous sont très stylisés. La roche étant soumise aux intempéries, certaines sont maintenant à peine visibles. Que nous apprennent-elles ?<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231213_104216-Cala-Cala-1-opt_m.jpg" alt="Cala Cala : lamas et humain" title="Cala Cala : lamas et humain" /><br />
Elles témoignent d’abord d’une société pratiquant l’élevage : deux scènes représentent un humain tenant un lama au bout d’une corde. L’élevage est d’ailleurs bien plus ancien dans la région, où l’alpaga et le lama sont domestiqués dès -4000, suivis par le cochon <em>d’Inde</em>, dès -2500 — toujours très appréciés dans la gastronomie andine. La vigogne, elle, était capturée, tondue, puis relâchée<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Peintures-rupestres-%C3%A0-Cala-Cala#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>… Le lama, couteau suisse des cultures andines (bête de somme, laine, chair, os…) se voyait notamment accorder pour cela un caractère sacré.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231213_104216-Cala-Cala-2-opt_m.jpg" alt="Cala Cala : lamas rouges, lamas blanc, humain." title="Cala Cala : lamas rouges, lamas blanc, humain." /><br />
Le plus grand lama de Cala Cala (60 cm de haut) est de couleur blanche : c’est traditionnellement celle des lamas sacrifiés dans les civilisations andines, où le sacrifice, qu’il soit animal ou plus tard humain, supposait la pureté de la victime. On en conclut que les habitants du Cala Cala d’alors sacrifiaient déjà des lamas, comme le feront nombre de leurs successeurs.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231213_104216-Cala-Cala-3-opt_m.jpg" alt="Cala Cala : le grand lama blanc." title="Cala Cala : le grand lama blanc." /><br />
Comme sans doute toujours, les motifs sont ainsi liés à une fonction magico-religieuse : ici, attirer la bienveillance des puissances supérieures (déjà les divinités du Soleil, de la Lune, de la Terre ?) pour favoriser la fertilité des animaux, probablement celle de l’Homme, celle de la terre, cultivée elle aussi, bien que presque toujours absente de l’art rupestre.<br />
L’étonnant est la parenté des représentations humaines et animales de cultures lointaines, en l’occurrence celles du Néolithique dans le Sahara égyptien, où l’élevage est attesté entre -4400 et -3500/<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Peintures-rupestres-%C3%A0-Cala-Cala#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup>. Les camélidés de Cala Cala sont cousins des bovidés du Gilf Kebīr.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.Gift-Kebir-Le-Quellec-opt_m.png" alt="La grotte de Gift Kebir (Photo Jean-Loïc Le Quellec, ib. p. 68)." title="La grotte de Gift Kebir (Photo Jean-Loïc Le Quellec, ib. p. 68)." /><br />
Et pas très loin de là, à Supay Huasy, dans la province de Sucre, des figures humaines attribuées à la culture Hurruquilla (vers 500) sont parfaitement superposables au <em>kanaga</em> des Dogons, évocation du Dieu créateur Amma, mais dans lequel on ne peut s’empêcher de voir un symbole épuré de l’être humain.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231206_113615-Supay-Huasy-opt_m.jpg" alt="Réplique de la grotte de Supay Huasy (Museo antropológico, Sucre)." title="Réplique de la grotte de Supay Huasy (Museo antropológico, Sucre)." /><br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.Kanaga-mask-Brooklyn-museum-opt_m.jpg" alt="Masque dogon : Kanaga (Brooklyn museum)." title="Masque dogon : Kanaga (Brooklyn museum)." /><br />
Plus je rencontre des cultures éloignées les unes des autres par l’espace ou par le temps, plus je suis frappé par les correspondances qui se nouent parfois entre elles. Des peuples aux antipodes les uns des autres, confrontés au même univers matériel, qui en partie s’impose à eux, en partie est façonné par eux, entre déterminisme et créativité, entre hasard et nécessité, aurait dit Jacques Monod, imaginent ainsi souvent les mêmes solutions sociales, religieuses, esthétiques, politiques…</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Peintures-rupestres-%C3%A0-Cala-Cala#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] <em>Informations pratiques</em><em></em>. Aller à Cala Cala : solution touriste, contracter un taxi pour la demie journée, 100 bolivianos ou plus (1 euro = 6,2 bolivianos) ; solution locale, Micro 3 jusqu’à Vinto (2 Bs), de là taxi collectif jusqu’à Cala Cala (5 Bs). À Cala Cala, traverser le village vers Japo, puis suivre le fléchage. À 3 km du village, une bergère vous confie les clefs du site (!), moyennant un droit de 50 Bs.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Peintures-rupestres-%C3%A0-Cala-Cala#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] Jean-Pierre Digard, « Un aspect méconnu de l’histoire de l’Amérique : la domestication des animaux », <em>L’Homme</em>, 1992, 122-124.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Peintures-rupestres-%C3%A0-Cala-Cala#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] Jean-Loïc Le Quellec : « Arts rupestres sahariens : état des lieux depuis 2010 et perspectives », <em>Abgadiyat</em>, 2017.</p></div>
Sucre et Potosíurn:md5:8951143549b187413a7dc3b07e9fb9a52023-12-17T15:03:00+01:002023-12-19T01:57:41+01:00Dominique SarrChronique<p>Après l’histoire au présent à La Paz et Cochabamba, après la protohistoire à Tiwanaku et Samaipata, je voyage dans l’histoire coloniale à Sucre et Potosí : deux villes coloniales, et qui pourtant s’opposent pour beaucoup…</p> <p>Sucre (prononcé Soucrè), c’est la ville institutionnelle. Première capitale de la Bolivie, et toujours sa capitale officielle, elle a perdu la réalité du pouvoir en 1899 à la suite d’une guerre civile entre les libéraux du Nord et les conservateurs du Sud. Un compromis accorde aux <em>Sucrenses</em> de garder le titre de capitale et le siège du pouvoir judiciaire — sans compter le primat de l’Église bolivienne. <br />
C’est en 1538 que le frère de Francisco Pizarro installe un premier campement espagnol dans la bourgade yampara de Chuquiochata, déformé par l’occupant en Chuquisaca. Rebaptisée La Plata (« l’argent » - métal), sans doute pour l’importance des mines de la région, dont celles de Potosí, la ville devient le siège de l’Audience royale de Charcas (la future Bolivie) en 1559.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231205_155852-Sucre-la-blanche-opt_m.jpg" alt="Sucre la blanche, depuis le toit de San Felipe de Neri." title="Sucre la blanche, depuis le toit de San Felipe de Neri." /><br />
De cet âge colonial, Sucre a gardé tant son ambition (vaine…) de ville dirigeante que son centre urbain aux styles classique et baroque, et aux murs peints de blanc qu’elle n’avait pas à l’époque. Comparé aux désastres du patrimoine architectural omniprésents en Amérique latine, il est bien conservé et c’est sans doute le plus bel ensemble d’architecture coloniale et néocoloniale de Bolivie, loin tout de même de Quito ou de Carthagène des Indes.<br />
À deux pas de ce centre bourgeois, aristocratique et touristique, s’étire un long chemin de marchés populaires : le <em>mercado central</em>, adossé à l’église San Francisco de Asis, le <em>mercado negro</em> (« marché noir ») et au-delà, l’immense <em>mercado campesino</em> (« marché paysan »). Déambuler, à la recherche d’un jupon de dentelle que les femmes quechua laissent toujours dépasser de 2 cm de leur jupe, dans le <em>mercado campesino</em> à 7 h du soir — donc de nuit — m’a pris à la gorge comme je ne l’avais pas été depuis mon arrivée à Dakar en 1981.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231204_165840-Sucre-jus-opt_m.jpg" alt="Sucre, marché central : nectars, jus, cocktails pour tous les goûts et à tous les prix." title="Sucre, marché central : nectars, jus, cocktails pour tous les goûts et à tous les prix." /><br />
Mais le grand moment de l’histoire de cette ville coloniale, paradoxalement, c’est l’indépendance. C’est ici, en 1809, qu’est lancé le « premier cri de la liberté », en réalité un incident mineur : la cloche de San Francisco bat le rappel de la population après l’arrestation d’un avocat luttant contre les prétentions à la couronne d’Espagne de la princesse Charlotte de Bourbon après que Napoléon avait déposé Charles IV. Et c’est ici, en 1825, que le Vénézuélien José Antonio de Sucre convoque, après les victoires de Bolívar, celles de San Martín et les siennes, une assemblée de députés du Haut-Pérou (future Bolivie) qui votent et signent la déclaration d’indépendance. Reconnaissants, les nouveaux dirigeants rebaptisent Bolivar (puis Bolivia) le pays, et Sucre sa capitale.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231204_115355-Sucre-salon-independance-opt_m.jpg" alt="Sucre, Casa de la libertad : le salon de l'indépendance." title="Sucre, Casa de la libertad : le salon de l'indépendance." /><br />
À Sucre l’institutionnelle, s’oppose Potosí la minière : elle est installée au pied du <em>Cerro Rico</em> (« riche mont »), connu au moins dès l’occupation inca pour son argent. Son histoire officielle commence autour de 1500, lorsque le Sapa Inca Huayna Capac ordonne de ne pas toucher au minerai, « parce qu’il est destiné à d’autres maîtres ». Du moins est-ce la version fort opportune des chroniqueurs espagnols. En réalité, l’argent et l’or ne sont pas vénérés par les cultures amérindiennes pour leur valeur monétaire, mais parce qu’ils sont sacrés : l’or représentant la masculinité et le Soleil, l’argent représentant la féminité et la Lune, ou la Terre nourricière.<br />
Redécouvert en 1544, le minerai donne immédiatement naissance à une fièvre de l’argent qui vaut bien celle de l’or. Le campement de quelque 2 500 mineurs est élevé 3 ans plus tard au rang de <em>Villa Imperial de Potosí</em> par Charles Quint. À la fin du siècle, celle-ci compte 160 000 habitants, presque autant que Londres et Paris, et 3 fois plus que Madrid, à la même époque. La mine s’étant quasiment tarie, la population tombe à 16 000 habitants en 1840 ; elle remonte depuis régulièrement et dépasserait 200 000 habitants.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231209_163815-Cerro-rico-opt_m.jpg" alt="Potosí : le Cerro rico." title="Potosí : le Cerro rico." /><br />
Outre ses dizaines d’églises des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles et ses somptueux portails baroques, la marque et le charme de Potosí, ce sont les vérandas en encorbellement des maisons du centre historique.<br />
La richesse extraordinaire de la ville se lit encore dans les salles du couvent de Santa Teresa, couvert d’or, plus que d’argent d’ailleurs : retables, cadres de tableaux précieux, colonnades, vêtements… L’argent de Potosí et l’or des Amériques bouleversent l’économie mondiale aux XVIe et XVIIe siècles. Ils finissent paradoxalement par ruiner l’Espagne et le Portugal, pour avoir « cessé » de travailler en se reposant sur eux, et causé la fortune des drapiers flamands et d’autres qui engrangeaient leurs commandes.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231210_101640-Potosi-Merced-opt_m.jpg" alt="Potosí : l'église de la Merced." title="Potosí : l'église de la Merced." /><br />
Le mythe de Potosí donne lieu à des délires. Des guides officiels vous assurent sans sourciller que le <em>Cerro Rico</em> a baissé de 6 000 à 5 000 m du fait de l’extraction ; que 8 millions de mineurs sont morts dans son exploitation… Ces chiffres sont absurdes. Le <em>Cerro</em> s’élève d’ailleurs aujourd’hui 4 760 mètres environ et la perte d’altitude ne se mesure qu’en dizaines de mètres.<br />
Quant aux morts de la mine (éboulements, asphyxies…), une estimation basse est, elle, de 20 000 morts depuis le XVIe siècle. Trop basse sans doute. Entre 1545 et 1625, 16 000 Amérindiens auraient laissé la vie dans les mines, soit 188 par an. En 2022 et 2023, le nombre annuel de morts est encore de l’ordre de 75, dont, toujours, des adolescents. Une extrapolation rapide, compte tenu de la fluctuation de l’exploitation, peut tout de même faire envisager une fourchette globale de 30 000 à 60 000 morts. Seulement, les mineurs ont des salaires tellement supérieurs au minimum mensuel de 2 250 bolivianos en 2022 (299 euros)…<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231208_153412-Potosi-verandas-opt_m.jpg" alt="Les vérandas en encorbellement de Potosi." title="Les vérandas en encorbellement de Potosi." /><br />
Ainsi Sucre et Potosí offrent-elles deux visages bien éloignés de la vie coloniale. Sucre la blanche, toujours amarrée à son titre fictif de capitale, respire encore la vie aristocratique des créoles, passifs (voire menacés dans leurs intérêts) lors des révoltes amérindiennes, comme celle de Tomás Katari<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Sucre-et-Potos%C3%AD#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>, assassiné en janvier 1781, mais soudain réveillés à l’idée de ne plus payer tribut à la couronne espagnole quand celle-ci sombre. Le sang de la liberté.<br />
<br /><img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231205_111805-Jumbate-opt_m.jpg" alt="1016 : les Yampara ulcérés défont les soldats royaux à Jumbate et dévorent leur cœur battant." title="1016 : les Yampara ulcérés défont les soldats royaux à Jumbate et dévorent leur cœur battant." /><br />
Potosí la grise est peu sensible à l’agitation d’alors, il est vrai endormie par l’épuisement des minerais les plus accessibles. Potosí n’avait vécu, et ne vivra, que par et pour les mines, dans la nostalgie d’une splendeur qui ne survit que dans son titre de Villa Imperial. Le sang des mineurs.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231218_175348-Solon-La-Mine-opt_m.jpg" alt="La Mine, Walter Solón, 1997 (Exposition Solón, MNA - La Paz)." title="La Mine, Walter Solón, 1997 (Exposition Solón, MNA - La Paz)." /></p>
<div class="footnotes"><h4>Note</h4>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Sucre-et-Potos%C3%AD#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Au même moment, son homonyme Túpac Katari fait trembler La Paz ; il est écartelé en novembre.</p></div>
Tiwanaku et Samaipataurn:md5:7557f90684a89923a53c3416b61e16372023-12-10T14:23:00+01:002023-12-16T22:36:39+01:00Dominique SarrChronique<p>Loin de moi l’idée de comparer les sites archéologiques boliviens à l’extraordinaire richesse du Pérou. La Bolivie compte en revanche des traces de nombreuses cultures des Andes à l’ouest, de l’Amazonie au nord et du Chaco au sud-est, et trois sites majeurs : Tiwanaku, Samaipata et Incallajta. Le troisième, inca, est malheureusement d’un accès compliqué. Les deux premiers sont des représentants uniques de cultures préincas.</p> <p><img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.Wari-Tiwanaku-opt_m.png" alt="Les empires Wari et Tiwanaku." title="Les empires Wari et Tiwanaku." /><br />
Tiwanaku (de 400 avant notre ère à 900) a constitué un empire jumeau de l’Empire Wari du Pérou. Son centre politico-religieux est situé sur l’Altiplano, plat et aride, à quelques kilomètres au sud du lac Titicaca. S’il ne reste quasiment rien de la ville antique elle-même, qui a compté jusqu’à 40 000 habitants, trois temples en subsistent partiellement. <br />
Ces trois temples ne sont pas un hasard : ils sont en relation avec la cosmogonie amérindienne, que l’on retrouve au moins dans toutes les zones montagneuses du Mexique à la Bolivie, mais aussi ailleurs, comme chez les Desana d’Amazonie.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231119_124716Tiwanaku-pyramide-opt_m.jpg" alt="Tiwanaku : la pyramide Akatana, le supramonde." title="Tiwanaku : la pyramide Akatana, le supramonde." /><br />
Le temple le plus imposant est la pyramide d’Akatana, comportant sept niveaux reliés (seuls quatre subsistent) chacun par sept marches. Ce nombre est naturellement magique, sans qu’on sache si c’est pour la même raison qu’en Afrique, ou 3 est le nombre des parties des organes génitaux masculins et 4 celui des parties des organes génitaux féminins : 7 est celui de leur fusion, de la totalité, de la plénitude. On y sacrifiait des lamas. Le symbole de la croix andine y est omniprésent, et c’est la forme du bassin installé à son sommet, qui permettait l’étude de l’astronomie dans le reflet du ciel. Akatana symbolise ou donne accès, au supramonde, l’espace divin, celui du Dieu du soleil ou de l’eau, c’est selon : Viracocha, créateur de toute chose et responsable de la fertilisation de la terre et du vivant<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Tiwanaku-et-Samaipata#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231119_115201-Tiwanaku-terrestre-opt_m.jpg" alt="Tiwanaku : le temple de Kantatallita, le monde terrestre" title="Tiwanaku : le temple de Kantatallita, le monde terrestre" /><br />
À son côté, le temple de Kantatallita, sur le plan de l’Altiplano, représente le monde terrestre, celui de la Pachamama, la Terre-Mère, qui pourvoit à tous les besoins humains, pour peu que le Créateur la fertilise.<br />
Enfin le temple semi-souterrain, représente ou donne accès à l’inframonde, celui des morts communs<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Tiwanaku-et-Samaipata#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231119_121352Tiwanaku-souterrain-opt_m.jpg" alt="Tiwanaku : le temple semi-souterrain et, au loin, l'entrée du Kantatallita." title="Tiwanaku : le temple semi-souterrain et, au loin, l'entrée du Kantatallita." /><br />
Le cœur de ce que les Espagnols ont à tort appelé <em>El Fuerte</em> (« Le Fort »), à Samaipata, est en réalité également un temple, et remonte, lui aux cultures Mojocoya (1-900) et/ou Chané (900-1450). Il n’est pas construit : le <em>Cerro esculpido</em> (« mont sculpté ») est une roche d’environ 300 sur 20 m, au sommet d’un promontoire de 1 900 m qui domine la région — on est ici sur les contreforts andins, frontière où ont pu s’installer aussi bien des peuples andins (Mojocoya, Aymara, « Incas ») que du Chaco ou d’Amazonie (Chané, Guarani).<br />
Évidemment, cette situation élevée d’un lieu de culte, comme partout, vise à approcher, à dialoguer avec le supramonde. Je mettrais ma main à couper qu’il s’agissait du culte au dieu Soleil, masculin et créateur, et peut-être de la déesse Lune, autre représentation de la Terre féminine, ou sa « sœur » Lune, Mama Quilla, dans la cosmogonie andine. Mais ne nous méprenons pas : il ne s’agissait pas d’« adorer le soleil ». Pour les Desana d’aujourd’hui, Père Soleil réside dans l’inframonde et ce que nous voyons n’en est qu’une apparence.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231128_093544-Samaipata-cerro-opt_m.jpg" alt="Samaipata : le Cerro esculpido" title="Samaipata : le Cerro esculpido" /><br />
Le Cerro esculpido comporte d’une part d’innombrables motifs gravés ou creusés dans la roche, jaguar, canal zigzagant en forme de serpent, etc., et, en son sommet, le chœur sacerdotal, un cercle creusé de neuf sièges où les clercs se réunissaient pour leurs rites ou leurs prières ; et d’autre part, sur ses flancs, plusieurs « temples » constitués de groupes de niches, la plupart à taille humaine, dont on pense qu’elles abritaient des momies. D’ici à Quito (les Quitu), plusieurs cultures momifiaient leurs défunts ou au moins ceux de l’élite, souvent en position fœtale, celle de notre origine (cette momification pouvait d’ailleurs être naturelle dans cette région sèche).<br />
Un tel ensemble est très émouvant. Ce qui est facilité par la faible pression touristique (en tout cas à cette époque : Samaipata y a des allures de ville fantôme). Ostie la vieille m’a mille fois plus touché que Pompéi. On croit voir surgir dans le silence celles et ceux qui ont façonné et animé de tels lieux et leur magie.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231128_105359-Samaipata-niches-opt_m.jpg" alt="Samaipata : le temple des cinq niches" title="Samaipata : le temple des cinq niches" /><br />
S’il ne reste presque pas d’autre trace de la présence mojocoya ou chané, l’Empire inca s’y est ensuite installé. Il y a trouvé un lieu prédestiné à son propre culte au Soleil, père du Sapa Inca, et dont la représentation terrestre est le jaguar… Les Incas y construisaient même leur capitale régionale, projet qu’ils n’ont pu faire aboutir, sous la pression des incursions guarani.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231206_112032-momie--opt_m.jpg" alt="Momie mojocoya — Musée anthropologique de Sucre" title="Momie mojocoya — Musée anthropologique de Sucre" /><br />
Mais ils ont laissé derrière eux les ruines d’une <em>cancha</em> (marché), d’une <em>kallanka</em> (bâtiment administratif et militaire), de divers habitats et d’un <em>acllahuasi</em> (« maison des élues »). Ces sortes de couvents étaient installés dans toutes les régions qu’ils conquéraient, ils abritaient parfois des centaines de vierges, très contrôlées et destinées, selon leur rang et leur beauté, au Sapa Inca, aux dignitaires de l’empire ou à des hommes de moindre extraction dont on récompensait les services.<br />
De Tiwanaku à Samaipata, on retrouve donc beaucoup en commun. Certes les cultures Tiwanaku, Mojocoya, Chané, Inca présentent-elles nombre de différences. Chaque peuple a son génie propre. Mais toutes les cultures des Andes, et jusqu’à celles de Mésoamérique, présentent un substrat commun, dont témoignent la parenté de leurs cosmogonies et cette obsession de la fertilité dans le culte voué au dieu du Soleil ou des Eaux, à la déesse de la Terre-Mère, et à leurs amours fécondes.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Tiwanaku-et-Samaipata#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Chez les Desana, le rôle de Créateur suprême est attribué au Soleil. Pour les cultures Tiwanaku, Wari et Inca, il est dévolu à Viracocha, qui crée le monde depuis les eaux du lac Titicaca, en commençant par le Soleil.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Tiwanaku-et-Samaipata#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] Certains morts, comme les sacrifiés, ont dans nombre de cultures le privilège de rejoindre le supramonde.</p></div>
La Paz et Cochabambaurn:md5:571905793433c2a3799e1f85248cd9802023-11-27T08:43:00+01:002023-12-09T14:21:17+01:00Dominique SarrChronique<p>On a l’habitude d’opposer La Paz et Santa Cruz de la Sierra : La Paz, la pauvre, La Paz l’amérindienne, La Paz la chaotique ; Santa Cruz l’opulente, Santa Cruz la blanche, Santa Cruz l’entrepreneuse. Et la seconde a des velléités d’autonomie, lasse de nourrir — selon elle — des populations andines se complaisant dans leur misère. Vindicative, plus encore, depuis qu’Evo Morales, un uru-aymara fils d’éleveurs de lamas, a eu le culot de prendre le pouvoir en 2006. Pour la première fois dans l’histoire, un Indien à la tête d’un pays d’Amérique !</p> <p><sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/La-Paz-et-Cochabamba#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup><br />
On se souvient de l’image de la <em>cruceña</em> Jeanine Áñez, s’autoproclamant présidente à la suite de la réélection contestée d’Evo Morales en 2019, brandissant une bible : « Dieu a permis que la Bible entre à nouveau au Palacio ». Revanche du Christ sur la Pachamama. Tout était dit<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/La-Paz-et-Cochabamba#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231119_082025-cementerio-La-Paz.opt_m.jpg" alt="La Paz : à la porte du Cimetière, viande et légumes" title="La Paz : à la porte du Cimetière, viande et légumes" /><br />
Santa Cruz ne faisait pas partie de mes priorités de voyage : je me suis arrêté à mi-chemin, à Cochabamba. À vingt ans, ce nom me faisait rêver. <em>Tout quitter… prendre un bateau pour Valparaíso… partir à Cochabamba… je bâtirai une ville, et je l’appellerai Sylviane…</em> La bourgade exotique que j’imaginais alors est la troisième ville de Bolivie. Le contraste entre La Paz et Cochabamba est frappant, mais il est différent de celui opposant la capitale au bastion créole. Pour mon ressenti du moins.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/Villes-Bolivie-1.png" alt="Métropoles de Bolivie" title="Métropoles de Bolivie" /><br />
Ce qui à mes yeux domine à La Paz, c’est la tristesse. Pourquoi est-ce que j’éprouve cette tristesse ? C’est difficile à dire. La ville est grise, je résiste à dire sale — comme Gênes, comme un industrieux port italien. Sa situation dans les ravins de grès (sédiments sablo-argileux) qui descendent de son immense banlieue d’El Alto, sur l’altiplano (plateau andin), est hallucinante.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231119_162336-La-Paz-opt_m.jpg" alt="La Paz, depuis El Alto" title="La Paz, depuis El Alto" /><br />
Toute la région est aride, surtout aujourd’hui, où une sécheresse catastrophique décime les troupeaux et brûle les forêts du Nord<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/La-Paz-et-Cochabamba#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup>. On a l’impression que les <em>paceños</em>, à 55 % amérindiens, portent sur leur dos toute la douleur de leur histoire. On les voit rarement rire.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231121_182804-manif-La-Paz.opt_m.jpg" alt="Une partie de la gauche, déçue, manifeste contre le "sabotage" du programme du MAS par l'Assemblée législative." title="Une partie de la gauche, déçue, manifeste contre le "sabotage" du programme du MAS par l'Assemblée législative." /><br />
Ce sont, pour beaucoup, les femmes qui me donnent cette sensation. La mode d’inspiration quechua, en réalité façonnée par la colonisation comme le montre très bien le Musée ethnographique de La Paz, en fait des pyramides vivantes, pour peu qu’elles arborent le <em>chullo</em>, ce bonnet descendant sur les oreilles. Il est vrai qu’elles le troquent souvent pour le melon (<em>bombín</em>), ou pour le chapeau de paille qu’elles partagent avec les hommes. Les poitrines, les ventres, les fessiers alourdis me laissent penser à une forme de gavage qu’on rencontre chez des peuples confrontés à une terre stérile (comme les Maures ou les Touareg)<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/La-Paz-et-Cochabamba#wiki-footnote-4" id="rev-wiki-footnote-4">4</a>]</sup>. Alourdies encore, les femmes, par le le baluchon de toile coloré, ou l’enfant, ou les deux, sous lesquels elles ploient presque toujours, ce dont les hommes sont épargnés. Si les tissus sont souvent magnifiques, cette ampleur est encore accusée par l’anneau (genre de crinoline) qui élargit leurs jupons. Sans doute est-ce un canon de beauté, bien éloigné de celui d’un Européen moyen.<br />
En regard, Cochabamba, c’est la sérénité. Après l’aridité andine, le jardin verdoyant qu’est la cuvette de Cochabamba (<em>khocha pampa</em> : « plaine boueuse ») offre un soulagement.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231124_140839-Catedral-Cochabamba-opt_m.jpg" alt="L'élégante cathédrale de Cochabamba." title="L'élégante cathédrale de Cochabamba." /><br />Les <em>cochabambinos</em> sont réputés dans toute la Bolivie pour leur gastronomie, dont le <em>silpancho</em> est l’étendard : une galette de viande aplatie trônant sur une montagne de riz odorant (il se décline aussi en silpancho de viande hachée, de poulet, retourné en <em>falso conejo</em> (« faux lapin ») dans une sauce tomate, etc.). Outre les bons fromages de la région (enfin !), on y trouve même de la raclette et du vacherin… La population amérindienne est moins présente en proportion, mais surtout ne paraît pas porter le même fardeau de la fatalité. Les femmes autochtones, bien moins en « formes », ont modernisé le vêtement : les jupes sont plus courtes, souvent plissées, les chemisiers supplantent anacos<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/La-Paz-et-Cochabamba#wiki-footnote-5" id="rev-wiki-footnote-5">5</a>]</sup> et gaines. Le centre de la ville fait penser à Santander ou à une cité balnéaire du Midi.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231125_084656-Cancha-Cochabamba-opt_m.jpg" alt="La Cancha, grand marché de Cochabamba." title="La Cancha, grand marché de Cochabamba." /><br />
Certes, à deux pas de là, s’éventre l’immense marché populaire de la Cancha<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/La-Paz-et-Cochabamba#wiki-footnote-6" id="rev-wiki-footnote-6">6</a>]</sup>, capharnaüm coloré et parfumé où on trouve tout, et le reste. Misère et tristesse sont juste moins voyantes. Et puis, chaque année, la ville est encore égayée au printemps austral par le carnaval débridé de fin des études universitaires…<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20231125_165007-graduacion-Cochabamba-opt_m.jpg" alt="Avant la photo pour la remise de diplômes à Cochabamba." title="Avant la photo pour la remise de diplômes à Cochabamba." /><br /></p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/La-Paz-et-Cochabamba#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Andrés de Santa Cruz, métis d’ascendance inca par sa mère, avait toutefois été président de 1829 à 1836.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/La-Paz-et-Cochabamba#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] Luis « Lucho » Arce, candidat du Mouvement au socialisme d’Evo Morales, a été élu dès le premier tour de l’élection présidentielle de 2020 qui a dénoué cette crise, et Jeanine Áñez purge une condamnation de dix ans de prison.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/La-Paz-et-Cochabamba#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] Avant même l’arrivée d’El Niño, le dérèglement climatique et la déforestation de l’Amazonie se sont conjugués pour tout dessécher.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/La-Paz-et-Cochabamba#rev-wiki-footnote-4" id="wiki-footnote-4">4</a>] Au Sénégal même, combien de fois ne m’a-t-on pas reproché de ne pas nourrir ma femme !</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/La-Paz-et-Cochabamba#rev-wiki-footnote-5" id="wiki-footnote-5">5</a>] Tunique traditionnelle.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/La-Paz-et-Cochabamba#rev-wiki-footnote-6" id="wiki-footnote-6">6</a>] Ce mot, qui désigne aujourd’hui les terrains de foot en Amérique latine, est aussi quechua : « espace clos, commercial ou cérémoniel ».</p></div>
Aveuglementsurn:md5:b7968ec6e0858658bf9bab5ec4afd3aa2023-10-29T09:44:00+01:002023-10-31T20:15:37+01:00Dominique SarrChronique<p>De nouveau, le monde a basculé dans l’horreur…</p> <p>Horreur, évidemment, l’attaque du Hamas contre les civils israéliens, dont l’objectif n’avait rien de militaire, mais était de massacrer aveuglément le plus de personnes possible, ou de les prendre en otage, tuant au passage plus de « combattants » palestiniens que de victimes israéliennes, immigrées ou de passage. De plus, cette attaque allait évidemment entraîner de terribles représailles dont souffriraient d’abord les civils palestiniens. Elle est à ces deux égards monstrueuse. Et ceux qui défendent les droits du peuple palestinien doivent être les premiers à l’affirmer.<br />
Horreur encore, les bombardements israéliens aveugles sur Gaza et son blocus inhumain, qui ont déjà causé largement plus de victimes civiles que l’attaque du Hamas. Au terrorisme sanglant du Hamas répond le terrorisme d’État d’Israël, de même nature puisqu’il frappe aveuglément la population de Gaza, dont les civils sont en masse les victimes.<br />
Devant cette double horreur, les compassions unilatérales se dissolvent dans leur inhumanité.<br />
Ne soyons pas abusés parce que tous les occupants nomment « terroristes » ceux qui s’opposent à eux et que tous ceux-ci s'intitulent « résistants ». Les mots ont un sens : les résistants s’en prennent aux forces de l’adversaire et à leurs collabos ; les terroristes frappent aveuglément pour <em>terroriser</em> les populations ou les faire fuir. Dans le cas présent, chacun des belligérants se vaut à cet aune.<br />
Les fanatiques fondamentalistes qui dirigent Israël et les fanatiques fondamentalistes qui dirigent Gaza sont entièrement responsables non seulement des massacres infligés à ceux d'en face, mais aussi entièrement responsables des massacres subis par leur propre peuple. Tous l’ont bien cherché, certains consciemment, mais ce sont des innocents qui payent au prix le plus fort leur folie.<br />
Oui, le pouvoir d’Israël a le droit, mieux, le devoir, de défendre les siens. Non, il n’a aucun droit à faire subir aux Palestiniens pire que ce que ses citoyens subissent, perdant ainsi tout crédit moral et politique.<br />
Depuis des dizaines d’années, les gouvernements d’Israël, et cela va de mal en pis, n’ont de cesse de spolier et violer les droits des Palestiniens, qu’ils vivent en Israël, en Cisjordanie ou à Gaza, et de violer les résolutions internationales qui les défendent, hélas de façon purement formelle. Dans cette situation, que les Palestiniens abdiquent, qu’ils tentent de composer ou qu’ils se rebellent, ils sont à tous les coups perdants. Leur désespoir, délibérément recherché par les colons, leurs soutiens et ceux qui les laissent faire, pour parvenir au nettoyage ethnique d’Israël et de la Palestine, est la fabrique du terrorisme. Cela ne saurait le justifier en rien, mais les bourreaux du peuple palestinien et les assassins des Israéliens ont, les uns et les autres, autant de ce sang sur les mains.<br />
Tout aussi profondément choquants sont les applaudissements qui ont suivi, dans certains pays arabes ou musulmans, les massacres d’Israéliens, que les réactions dominantes en Occident, à juste titre scandalisées par cette action terroriste, mais passant par pertes et profits tant la politique constante des nationalistes israéliens qui y a conduit, que le nettoyage ethnique de Gaza par les bombes, par le blocus intégral et par l’exil forcé des Gazaouis. Qui peut croire que le rappel poli du droit international, sans l’ombre d’une sanction, sera d’un quelconque effet sur les suprémacistes et les fondamentalistes au pouvoir en Israël, d’ailleurs armés dans le même temps sans condition par les États-Unis ? Un enfant de Gaza, faut-il croire, vaut moins que l’enfant d’un kibboutz.<br />
La « solution à deux États » est naturellement obsolète, un État palestinien n’étant plus viable depuis longtemps du fait de l’annexion rampante de la Cisjordanie, et encore moins avec l’anéantissement en cours de Gaza. Aujourd’hui, face à la haine réciproque, aucune solution n’est possible : les nettoyages ethniques, celui auquel se livre Israël, accéléré depuis le 7 octobre, celui dont rêvent le Hamas, le Hezbollah et l’Iran, sont les dernières acceptables.<br />
Hors diasporas, sept millions et demi de Palestiniens, sept millions de Juifs israéliens : demain, lorsqu’enfin les uns et les autres seront lassés de cette guerre de cent ans ou de deux cents ans, lavée des flots de leurs sangs mêlés, la seule solution imaginable est un État binational et laïc, l’Isralestine, offrant une citoyenneté égale à tous ses ressortissants, et puisant sa prospérité dans les futurs États-Unis d’Orient.<br />
Encore faut-il pour cela que cette terre ne soit pas peuplée que de tombes.</p>Testament : pour des arcs progressistesurn:md5:f82744d63a87c99706677ec547980aa12022-06-04T01:04:00+02:002022-08-13T13:33:42+02:00Dominique SarrChronique<p>L’âge et la distance : il m’est temps de synthétiser les quelques idées qui se sont imposées à moi depuis vingt ans comme l’essentiel.<br />
Le monde actuel est celui de l’hypercomplexité. Toute société, c’est-à-dire tout groupe humain structuré et se structurant (en familles, classes, églises, pouvoirs…), est faite de conflits. Ils peuvent tous s’analyser au travers d’une grille de lecture à cinq dimensions.</p> <h3>Quels enjeux ?</h3>
<p>Ce qui a changé il y a un demi-siècle, et n’a cessé de s’accélérer depuis, c’est que l’affrontement traditionnel droite-gauche sur le social, qui a longtemps dominé la vie politique, est de plus en plus bousculé par quatre autres types de conflits jusque-là plus latents : les cinq oppressions qui en résultent appellent cinq libérations.<br /></p>
<ul>
<li>Les conflits avec le <em>vivant</em>. « Adam » voulait déjà se croire investi de la mission de s’asservir la Terre, et ceci est allé de pis en pis, jusqu’au paroxysme des sociétés industrielles, qui la <em>dé-nature</em>. Nous avons entrepris rien moins que sa destruction, et donc la nôtre, notamment à travers un dérèglement climatique et une extinction des espèces inédits.<br /></li>
<li>Les conflits entre les <em>sexes</em>. Les sexes sont en relation d’amour, mais aussi de lutte. L’homme a dès la fin du Paléolithique instauré et codifié sa domination sur la femme, considérée comme lui appartenant. Il en résulte l’inégalité économique, l’inégalité politique, l’inégalité domestique, la violence sexuelle jusqu’au viol, la violence physique jusqu’au meurtre…<br /></li>
<li>Les conflits entre les classes. Depuis qu’elles se sont différenciées au Néolithique, des classes se forment, changent et disparaissent ; elles sont à la fois en coopération et en lutte pour maximiser leur intérêt, générant l’inégalité des chances et celle des traitements, la soumission et la violence.<br /></li>
<li>Les conflits entre les <em>peuples</em>. En se rencontrant, les peuples coopèrent, mais aussi se combattent pour s’approprier les ressources. Ils mènent des guerres économiques, commerciales, militaires, qui se traduisent par la mainmise politique, l’échange inégal, les migrations et leur rejet, le racisme…<br /></li>
<li>Les conflits entre les <em>générations</em>. Les générations au pouvoir veulent à la fois vivre à travers les générations passées, suivantes ou futures, et vivre mieux elles-mêmes au mépris des intérêts de celles-ci, accumulant des dettes et brûlant la Terre.<br /></li>
</ul>
<p>Ces types de conflits, qui peuvent tous, et pour l’essentiel, s’analyser par la <em>distorsion des termes des échanges</em>, s’enchevêtrent dans un réseau de contradictions qui paraissent devenues insolubles. Faut-il les hiérarchiser ? Sans doute est-il nécessaire de gérer à un instant donné des priorités pour le court, le moyen et le long terme. Mais dans l’absolu, chaque fois que nous nous obnubilons sur une de ces problématiques, nous courons à notre perte sur les quatre autres.</p>
<h3>Quels chemins ?</h3>
<p>Il est essentiel d’avancer parallèlement sur les axes de ces cinq questions, toutes vitales, et de résoudre pacifiquement ces conflits. Chacun appelle une libération à la fois urgente et de longue haleine, à travers de nouveaux pactes. Libération des femmes et des hommes de la domination masculine, satisfaction équitable des besoins et des aspirations des classes dominées, rééquilibrage équitable des richesses entre les nations, préservation des générations vieillissantes, émergentes et à venir, coup d’arrêt à la destruction de la planète : tels sont bien les progrès cruciaux pour lesquels nous devons lutter en même temps.<br />
<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/Gracques.jpg" alt="Dans la Rome du 2e siècle av. J.-C., Tiberius Gracchus et Caius Gracchus se battent déjà pour la justice sociale, et seront respectivement assassinés en -132 et -121. De qui se souvient-on : des Gracques ou de leurs assassins ?" title="Dans la Rome du 2e siècle av. J.-C., Tiberius Gracchus et Caius Gracchus se battent déjà pour la justice sociale, et seront respectivement assassinés en -132 et -121. De qui se souvient-on : des Gracques ou de leurs assassins ?" />
<br />
<em>Les Gracques</em><br />
Chaque fois, c’est la loi de la jungle qu’il faut combattre. Chaque fois, c’est le respect de l’autre qu’il faut décréter. Relisons <em>Belle du Seigneur</em><sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Testament-%3A-pour-des-arcs-progressistes#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup> ; roman d’amour fou, il met aussi en évidence ce qui semble un paradoxe quant à l’écologie : nous libérer ne se résout pas dans un triomphe de la « nature » (de la loi du plus fort), mais dans sa canalisation par la « culture » (le respect de l’autre).<br />
Pour cela, ce qui a échoué, c’est l’étatisation. On a pu dire dans les années 50 : « Le socialisme, c’est l’humanité en marche ? Où qu’on se tourne, on n’entend qu’un grand bruit de bottes ou un grand raclement de pantoufles.<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Testament-%3A-pour-des-arcs-progressistes#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup> »<br />
De fait, le « socialisme réel » a dans le meilleur des cas appauvri les peuples, il a dans le pire généré la barbarie, et s’est logiquement effondré en 1989 ; quant à la social-démocratie, elle a sombré dans des compromissions de tous ordres avec les possédants et les impérialismes.<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Testament-%3A-pour-des-arcs-progressistes#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup> L’un et l’autre ont soulevé d’immenses espoirs, ont parfois été servis par des dirigeants de grande valeur, ont souvent entraîné les intellectuels les plus brillants, ils n’en ont pas moins échoué.<br />
Pour autant, la loi du capitalisme : l’argent institué alpha et oméga des relations sociales est inapte à satisfaire les besoins matériels et moraux des populations. Il a surtout un mérite : sa plasticité a fait mentir tous ceux qui depuis deux siècles ont annoncé sa fin.<br />
Il faut inventer autre chose. Pour que ce quelque chose mûrisse, multiplions les expériences collectives : associatives, coopératives, mutualistes, fondées sur l’entraide. Mon père, révolutionnaire de toujours et toujours réaliste, avait un rêve : instaurer la gestion tripartite, c’est-à-dire un pouvoir certes conflictuel, mais partagé, entre les actionnaires, les travailleurs et les usagers ou clients. N’avait-il pas finalement raison ?<br />
Ce qui a aussi échoué et nous conduit à la ruine, c’est le productivisme. La course à la production, au rendement, aux prix bas arrive à ceci que, au-delà de l’apparence monétariste, nous vivons bien plus mal qu’il y a un siècle. Regardons n’importe quelle image de 1920. Exemple parmi tant d’autres, nous avons remplacé la crinoline et l’habit — et le pagne, et le sari, et le kimono, et la parure de plumes… — par l’insipide et morne blue-jean : nous avons sombré dans une désespérante uniformité sans grâce et sans âme. Mais en même temps, nous avons surtout fait reculer partout l’espace de la nature et des êtres qui ensemble la constituent.<br />
<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.Marie-de-France_m.jpg" alt="Au XIIe siècle, à travers l’amour courtois, les cours d’amour comme celle de Marie de France, voire l’apparition d’un culte marial, des femmes, souvent issues de la noblesse, enfoncent un coin dans la domination masculine : déjà le féminisme germe." title="Au XIIe siècle, à travers l’amour courtois, les cours d’amour comme celle de Marie de France, voire l’apparition d’un culte marial, des femmes, souvent issues de la noblesse, enfoncent un coin dans la domination masculine : déjà le féminisme germe." />
<br />
<em>Marie de France, comtesse de Champagne</em><br />
Nous sommes les esclaves de l’argent, du PIB et de <em>sa</em> croissance. Comment a-t-on pu ne serait-ce qu’imaginer agréger dans un même indicateur les voitures de luxe entassées par 1 % de la population et les bouteilles de lait qu’un habitant de bidonville ne peut même pas acheter ? Il est urgent de <em>prohiber le PIB</em>, et de penser Bonheur national brut ou Indice de développement vital — pourquoi seulement humain ?<br />
Alors que la domination masculine a trouvé son apogée au XIXe siècle, la libération de la femme est en chemin — depuis bien plus longtemps et pour longtemps encore : il faut du temps aux têtes pour se libérer de schémas multimillénaires. Mais c’est promptement qu’il faut agir pour un traitement égal dans tous les domaines et contre toute forme de violence : la tolérance zéro est de mise.<br />
De Gaulle disait que « la seule querelle qui vaille est celle de l’homme »<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Testament-%3A-pour-des-arcs-progressistes#wiki-footnote-4" id="rev-wiki-footnote-4">4</a>]</sup>. Il avait raison et il avait tort. La seule querelle qui vaille est celle de la vie : l’humain, certes, mais avec son milieu. Elle nous englobe et nous dépasse.<br />
<br /></p>
<h3>Quelle méthode ?</h3>
<p>L’énorme erreur que je vois commettre à tant d’analystes à l’œuvre en France, c’est de ne traiter que de sa situation. Mais ces phénomènes et les crises que nous vivons sont mondiaux et imbriqués ! Aux États-Unis, au Brésil, en Afrique du Sud ou aux Philippines, comme en France, et ailleurs, la déliquescence sociale et politique attise chaque jour davantage les divisions. Nous y sombrons partout dans la « culture de la haine », que dénonce Chico Buarque au Brésil<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Testament-%3A-pour-des-arcs-progressistes#wiki-footnote-5" id="rev-wiki-footnote-5">5</a>]</sup>. J’y ajouterais sans rire la « culture de l’ignorance » ! Nous ne devons regarder la situation française que comme un cas d’école qui, lui, nous touche directement.<br />
L’idée qu’un parti progressiste unifié œuvrant à ces cinq libérations puisse se constituer, a fortiori être porté au pouvoir, est hors-sol. Or, le paradoxe est que chacun de ces combats est probablement, et largement, majoritaire dans la population, indépendamment des partis que chacun de ses membres choisit lors des échéances électorales : les adeptes de la liberté de s’enrichir sur l’appauvrissement des autres, du masculinisme, du climatoscepticisme sont aussi marginalisés que… ceux du socialisme. Nous sommes majoritaires et nous acceptons de nous faire avoir ! Seul l’égoïsme national, ethnique et religieux constitue, à travers des mouvements populistes, essentiellement d’extrême droite, une minorité importante et agissante, mais elle reste une minorité qui parvient rarement à rompre son isolement.<br />
Ce paradoxe se matérialise avec éclat lorsqu’on réunit 150 citoyens tirés au sort dans une convention pour le climat : représentatifs d’une population qui a pourtant élu un président, une assemblée nationale, un parlement européen, des conseils régionaux, des conseils départementaux et des conseils municipaux, ils produisent collectivement un ensemble de propositions considérablement plus « vertes » que celles de toutes ces institutions rassemblées.<br />
C’est que les institutions, comme les partis, comme les syndicats, se sont enfermées dans des luttes de tranchées sclérosées et sclérosantes. L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 a pour une grande part reposé sur la volonté d’en finir avec leurs jeux et leurs blocages. Que ce soit par sa faute, par la leur, par la nôtre ou que la responsabilité en soit partagée, il a échoué.<br />
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<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.Comite_de_Salut_public_m.png" alt="Malgré la terreur, les révolutionnaires de 1789 et 1793 engagent l’Humanité dans un pas de géant. Inspirons-nous d’eux… sans craindre pour autant de commémorer le sacrifice barbare de la princesse de Lamballe." title="Malgré la terreur, les révolutionnaires de 1789 et 1793 engagent l’Humanité dans un pas de géant. Inspirons-nous d’eux… sans craindre pour autant de commémorer le sacrifice barbare de la princesse de Lamballe." />
<br />
<em>Le Comité de Salut public</em><br />
Il faut bien faire avec ces divisions et ce désenchantement. Comment faire aboutir ces libérations ? En revenant à l’urgence de questions concrètes sur lesquelles peut chaque fois se constituer un <em>arc progressiste et internationaliste</em>, ou plutôt <em>des arcs</em>, rassemblant largement tant dans la population que parmi les élus. C’est aujourd’hui un vœu pieux et les esprits y sont fermés. Que cela ne nous empêche pas de crier dans le désert, ni les vents du désert de propager nos cris…<br />
Chacun doit oublier son étiquette ; chacun doit comprendre que la meilleure façon de défendre les intérêts de son groupe est de porter ceux de la communauté ; chacun, au lieu de lancer des anathèmes et des exclusions, doit écouter et respecter ceux qui pensent différemment, quels qu’ils soient ; chacun, au lieu de chercher à se différencier à toute force, doit chercher à se réunir sur des besoins précis qui peuvent être satisfaits ; chacun doit chercher des points d’accord, des chemins permettant de dépasser les obstructions ! Si nous faisons cet effort, nous nous surprendrons : les points d’accord ne porteront pas forcément sur de <em>plus petits dénominateurs communs</em>, mais peut-être bien sur les <em>meilleurs multiplicateurs communs </em>! La pensée, le débat et la convergence exigeants sont producteurs de force, ils démultiplient les capacités de résolution des conflits, ils peuvent accoucher des libérations que l’Histoire appelle.<br />
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<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.Jeune-Marx_m.jpg" alt="Karl Marx reste le nom d’une pensée extraordinairement féconde. Débarrassés de l’impasse d’une dictature du prolétariat mortifère, comme des œillères qui en font un dieu ou un diable, relisons-le pour ce qu’il est : un immense penseur parmi d'autres." title="Karl Marx reste le nom d’une pensée extraordinairement féconde. Débarrassés de l’impasse d’une dictature du prolétariat mortifère, comme des œillères qui en font un dieu ou un diable, relisons-le pour ce qu’il est : un immense penseur, parmi d'autres." />
<br />
<em>Le jeune Marx</em><br />
Un tel arc tend d’ailleurs bien aujourd’hui à se former, mais hélas, c’est l’arc de la confusion. Bonnets rouges, gilets jaunes ou anti-masques : les réactions d’épiderme et de tripes qui se substituent à l’analyse politique nourrissent un mouvement populiste et confusionniste, en un temps ou intégrismes religieux, obscurantisme, post-vérité et complotisme contaminent tout, propulsés qu’ils sont par l’immédiateté et les bulles filtrantes d’internet<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Testament-%3A-pour-des-arcs-progressistes#wiki-footnote-6" id="rev-wiki-footnote-6">6</a>]</sup>. Nous voyons des déçus de tous bords de la politique enfiler de concert un gilet jaune, comme des députés prendre, de l’extrême droite à l’extrême gauche, des positions communes. Au cordon sanitaire contre l’extrême droite qui se fissure, fait place un cordon sanitaire contre Macron et ceux qui le soutiennent. Au passage, c’est une personnalisation apolitique de la politique, stérile et grotesque. C’est surtout une congrégation absurde, qui réunit des tendances opposées au mépris de toute base idéologique et de toute perspective politique, et qui ne profitera qu’à l’extrême droite.<br />
Nous vivons le <em>syndrome de l’échelle de valeurs flottante</em> : tout se passe comme si, plus on était proche par les valeurs et la pensée, plus on s’estimait éloigné. Alors que des tenants de Debout la France et de la France Insoumise partagent largement les mêmes gilets et les mêmes slogans, les écologistes passés au macronisme et ceux d’EELV s’incendient, les ex-socialistes devenus LRM, Génération-s et ceux restés au PS sont des traîtres ou des abrutis pour les autres, et les Insoumis jugent que le meilleur moyen de faire l’unité populaire et de taper sur tous les autres. Je pourrais ajouter que les invectives entre féministes et « néoféministes » font douter des femmes, etc.<br />
Cessons les anathèmes contre « les extrêmes » : nous avons besoin de radicalisme et de pensée alternative ; cessons les anathèmes contre les coupables du crime de macronisme : nous avons besoin de pragmatisme et de compromis. Soyons aussi fermes sur notre pensée qu’à l’écoute de celle des autres. Laissons là la haine : c’est la haine qui est haïssable. La seule ligne rouge est celle de la violence. L’usage de la force (monter une barricade, occuper une usine…) est parfois légitime, celui de la violence (canarder les flics, rosser le patron…) ne l’est jamais — sauf pour empêcher une pire violence.<br />
Finissons-en par la même occasion avec la vile politique : celle qui fait pactiser LRM avec le diable pour battre ceux qui devraient être ses alliés dans la lutte pour la survie de la Terre, celle qui fait de ses opposants des <em>béni-non-non</em> prêts à tous les sophismes et tous les reniements pour prendre le contre-pied du pouvoir.<br />
<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.Jean-Moulin-21-juin-savoir-desobeir_m.jpg" alt="La Résistance unifie toux ceux qui ne sont d’accord sur rien, sauf sur un point : la lutte contre le nazisme, de Bernanos à Pierre Brossolette, de De Gaulle à Danielle Casanova, des monarchistes aux communistes. Retrouvons leur esprit." title="La Résistance unifie toux ceux qui ne sont d’accord sur rien, sauf sur un point : la lutte contre le nazisme, de Bernanos à Pierre Brossolette, de De Gaulle à Danielle Casanova, des monarchistes aux communistes. Retrouvons leur esprit." />
<br />
<em>Jean Moulin</em><br />
Certes, on ne réunira écologistes, insoumis, socialistes et macronistes, ni sur l’Europe, ni sur les retraites, ni sur la politique productiviste et libérale menée depuis des décennies — sinon plus —, ni sur la légalisation du cannabis, mais on peut réunir beaucoup d’entre eux sur des points concrets visant la libération de la femme, la préservation de la planète, l’internationalisme, l’accueil des réfugiés, etc. Pascal Durand et Clémentine Autain sont-ils si éloignés l’un de l’autre, si on oublie la basse politique pour entrer dans la pensée concrète ? Et si Francois Ruffin et Bruno Bonnell peuvent s'entendre pour porter un projet de loi sur les métiers du lien, n'y a-t-il pas beaucoup d'autres sujets sur lesquels nous pourrions progresser malgré des désaccords par ailleurs profonds ? De l’extrême gauche à la droite républicaine, n’oublions pas que nous avons un socle de valeurs communes : démocratie et humanisme ; oublions en revanche de vouloir nous différencier de tous à tout prix. Gardons, chacun, notre personnalité, respectons ceux qui sont différents ou pensent différemment, et sautons sur les opportunités de faire avancer ensemble les droits de la femme, la justice sociale, la stabilisation du climat, etc. chaque fois que c’est possible.<br />
Juste un exemple sensible : la distance minimale d’épandage des pesticides à 5 et 10 m d’une habitation est très faible. L’agriculture productiviste est pourtant vent debout contre cette pauvre mesure. On peut être convaincu qu’une distance de 150 m est impérieusement nécessaire ; on peut aussi considérer que le principe d’une distance a été mis en place, que ce seul principe est déjà une avancée précieuse et qu’il faut continuer à se battre pour changer de modèle agricole et, au-delà, de modèle économique global. Matière à débat, certes, pas à insulte…<br />
Ne renouvelons pas l’erreur du mariage pour tous : manœuvre de diversion supposée habile pour faire oublier les problèmes du quotidien, elle a certes abouti ; mais elle a aussi fabriqué <em>Sens commun</em>, noyau dur et vindicatif de défense du patriarcat, qu’au contraire nous aurions dû tout faire pour résorber.<br />
Soyons combatifs, soyons pragmatiques, soyons imaginatifs, soyons vigilants, et avant tout : soyons convaincants. L’important est de faire progresser les cinq libérations dont le monde a besoin, le plus loin et le plus vite possible, en réduisant tant qu’il se peut les freins et les oppositions à ces progrès, et dans des alliances ponctuelles les plus larges possibles. « La manœuvre qui aboutit à introduire un nouvel allié à vos côtés est aussi fructueuse qu’une victoire sur le champ de bataille », disait le stratège Churchill<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Testament-%3A-pour-des-arcs-progressistes#wiki-footnote-7" id="rev-wiki-footnote-7">7</a>]</sup>. Pour cela, à défaut d’un grand parti progressiste, lieu de débats, de convergences et d’accouchement d’une majorité, travaillons quotidiennement aux avancées concrètes que peuvent réaliser des arcs progressistes et internationalistes de mouvements, d’associations, de cercles, de coopératives, d’entreprises, d’institutions divers, mais œuvrant tous à une société plus humaine : un village planétaire fait d’équité, d’éthique et de respect.<br />
Je ne parle pas de front républicain : celui-ci n’est qu’une arme défensive — impérieuse — en cas de danger, c’est-à-dire quand il est bien tard… Bien au contraire, des arcs progressistes et internationalistes sont des armes offensives devant accomplir l’Histoire…<br />
Nous n’aurons pas la tâche facile pour empêcher la prise du pouvoir par une Marion Maréchal en 2027 : nous vivons un temps difficile pour la promotion de nos valeurs et de nos conquêtes, sous le coup d’un mouvement mondial de réaction, en réalité double : renforcement d’un populisme qui, au Brésil, en Pologne, etc. comme en France, sait acheter les classes pauvres et vider les mouvements populaires de leur base sociale ; renforcement des droites bourgeoises qui, aux États-Unis, en Angleterre, aux Pays-Bas, etc. comme en France, brandissent insécurité et haine de l’impôt comme des étendards pour rallier les classes moyennes. Illibéralisme et ultralibéralisme, qui font étrangement bon ménage, ont le vent en poupe, dans un cycle parti pour durer 20 ou 30 ans.<br />
Ils n’auront qu’un temps : continuons à nous battre et endossons le pessimisme du court terme pour rayonner de l’optimisme du long terme que nous avons à préparer.<br />
Les beaux jours reviendront.<br />
<br /></p>
<pre>Dominique Sarr, Medellín, juin 2020-avril 2021</pre>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Testament-%3A-pour-des-arcs-progressistes#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Albert Cohen. <em>Belle du Seigneur</em>, Gallimard, 1968</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Testament-%3A-pour-des-arcs-progressistes#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] La formule a été reprise par un collectif du CERES dans <em>Socialisme ou social-médiocratie</em> (Seuil) en 1969.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Testament-%3A-pour-des-arcs-progressistes#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] Le point commun entre Guy Mollet, François Mitterrand et François Hollande ? La conquête du pouvoir sur un discours d’ultragauche, son exercice lui tournant rapidement le dos.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Testament-%3A-pour-des-arcs-progressistes#rev-wiki-footnote-4" id="wiki-footnote-4">4</a>] Cité par Gérard de Catalogne, <em>Haïti à l’heure du tiers-monde</em>, 1964.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Testament-%3A-pour-des-arcs-progressistes#rev-wiki-footnote-5" id="wiki-footnote-5">5</a>] <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/06/21/chico-buarque-une-culture-de-la-haine-s-est-repandue-au-bresil_5479420_3232.html" title="Chico Buarque : « Une culture de la haine s’est répandue au Brésil »">Chico Buarque : « Une culture de la haine s’est répandue au Brésil »</a></p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Testament-%3A-pour-des-arcs-progressistes#rev-wiki-footnote-6" id="wiki-footnote-6">6</a>] <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/04/24/comment-les-reseaux-sociaux-accentuent-l-enfermement-dans-ses-idees_5289874_4408996.html" title="Comment les réseaux sociaux accentuent l’enfermement dans ses idées">Comment les réseaux sociaux accentuent l’enfermement dans ses idées</a></p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Testament-%3A-pour-des-arcs-progressistes#rev-wiki-footnote-7" id="wiki-footnote-7">7</a>] Winston Churchill, <em>La crise mondiale</em>, 1923-1931.</p></div>
Code de la route colombienurn:md5:84faff0efc32b019dad12fb879a6b55e2022-05-12T10:28:00+02:002022-05-12T11:06:32+02:00Dominique SarrChronique<p>Il y a longtemps que je ne prête plus attention aux étiquettes politiques ou aux règles du droit canon, la fiction ne me paraissant intéressante qu’en littérature ou au cinéma. Dans le même ordre d’idées, voici le Code de la route, non tel qu’inscrit dans le marbre de la loi, mais tel qu’il est réellement appliqué en Colombie.</p> <h3>Article 1</h3>
<p>La priorité est au plus gros. Le piéton est donc prioritaire, mais seulement face à un piéton plus petit.</p>
<h3>Article 2</h3>
<p>Sur les routes à 4 voies, on roule à gauche et on double à droite. Cette règle est strictement impérative tant qu’il n’y a pas de raison de la transgresser.</p>
<h3>Article 3</h3>
<p>L’usage du clignotant est strictement réservé aux usages suivants :<br />
– indiquer qu’on va tourner du côté du clignotant ;<br />
– indiquer qu’on va tourner du côté opposé ;<br />
– indiquer qu’on va tout droit.</p>
<h3>Article 4</h3>
<p>Les motos ne sont pas concernées par les feux tricolores et les stops. Les voitures le sont, si elles ne se considèrent pas comme des motos.<br />
<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/20220421_212210-Feu-rouge-opt.jpg" alt="20220421_212210-Feu-rouge-opt.jpg" /><br /></p>
<h3>Article 5</h3>
<p>Les pistes cyclables sont exclusivement réservées aux fins suivantes :<br />
– garer un véhicule ;<br />
– installer un portant de vêtement, un chariot de vente, une roulotte de cuisine…<br />
– déposer les poubelles ;<br />
– éventuellement, circuler à bicyclette, à condition de ne pas gêner les autres usagers.<br />
<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/20220422_173710-Piste-cyclable-opt.jpg" alt="Piste cyclable" title="Piste cyclable" /><br /></p>
<h3>Article 6</h3>
<p>Toutes les routes comportent une double bande jaune continue séparant les sens de circulation. Cette séparation obéit à des motifs esthétiques et ne saurait être interprétée comme une interdiction de franchissement. En cas de rencontre inopinée de véhicules, la priorité appliquée est celle de l’article 1.</p>
<h3>Article 7</h3>
<p>Les limitations de vitesse doivent être respectées en présence de radars.</p>
<h3>Article 8</h3>
<p>Le jour, la nuit, dans les tunnels, lors des croisements, etc. l’usage des phares, codes et feux de position est laissé à l’appréciation des usagers.</p>
<h3>Article 9</h3>
<p>Il est recommandé d’éviter de marcher ou de rouler sur les sans-abri dormant par milliers dans les rues.<br />
<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.20220504_070610-Sans-abris-opt_m.jpg" alt="Sans abris" title="Sans abris" /><br /></p>
<h3>Article 10</h3>
<p>Les policiers doivent être toujours deux sur une moto. Un policier seul est un policier mort.<br /></p>
<h3>Article 11</h3>
<p>Les auto-écoles sont dispensées d’enseigner ces règles, mais se doivent de les suivre. <br />
(…)</p>
<h3>Article 143</h3>
<p>Les forces de police sont habilitées à regarder les infractions routières. Elles ne le sont pas à les sanctionner<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Code-de-la-route-colombien#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>.</p>
<div class="footnotes"><h4>Note</h4>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Code-de-la-route-colombien#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] La police effectue des contrôles de "routine", mais en 6 ans, je n'ai jamais vu une infraction verbalisée.</p></div>
Données et pourcentagesurn:md5:824aeff018bcfa9da63de4804f9e45052022-04-14T01:04:00+02:002022-04-14T12:35:54+02:00Dominique SarrChronique<p>En ne prenant en considération que les pourcentages, et seulement ceux sur les suffrages exprimés, les professionnels du commentaire politique se sont mis à notre portée de supposés ignares mais se sont enfermés dans une lecture simpliste qui interdit de comprendre les mouvements de l’électorat. Il faut pour cela repartir du réel : les données brutes.</p> <h3>Les mouvements de l’électorat</h3>
<p>Le premier parti de France reste celui de l’abstention : 17 millions de citoyens, dont 12 millions se sont abstenus<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Donn%C3%A9es-et-pourcentages#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup> et de l’ordre de 5 millions ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Alors que le nombre d’inscrits a progressé de 1 179 221 voix entre 2017 et 2022, le nombre de suffrages exprimés a, quant à lui, reculé de 911 276 voix.<br />
Derrière ce parti dominant, qui sont les gagnants ? Entre 2017 et 2022, Emmanuel Macron a progressé de 1 129 232 voix, Jean Lassalle de 666 389, Jean-Luc Mélenchon de 654 998 et Marine Le Pen de 457 878. Qui sont les perdants ? Les Républicains se sont tout d’abord effondrés : moins 5 533 525 voix, puis le Parti Socialiste, qui en a perdu 1 674 637, et Nicolas Dupont-Aignan, 969 644. Ces mouvements de l’électorat sont colossaux, et en partie dus à l’émergence relative de trois candidats absents en 2017 : Éric Zemmour, qui a rassemblé 2 485 935 voix, Yannick Jadot avec 1 628 337 voix et Fabien Roussel avec 802 615 voix.<br />
C’est surtout la synthèse de ces mouvements par famille politique qui peut les éclairer utilement :<br />
– L’extrême droite est malheureusement devenue la première force politique française avec 11,3 millions de voix, progressant encore de 1 576 036 voix (+ 16,1 %) ;<br />
– Le centre<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Donn%C3%A9es-et-pourcentages#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup> la suit de près avec 10,9 millions de voix, en progrès de 1 795 621 voix (+ 19,8 %) ;<br />
– La gauche radicale vient en troisième position avec 8,2 millions de voix, gagnant 494 277 voix (+ 6,4 %) ;<br />
– La gauche dite de gouvernement et les écologistes rassemblent 3,0 millions de voix, en se redressant de 756 315 voix (+ 33 %) ;<br />
– Enfin la droite a implosé, ne réunissant que 1,7 millions de voix et en en perdant 5 533 525 (-76,7 %).<br /></p>
<h3>Quelques conclusions</h3>
<p>Si l’élection de 2017 avait vu l’effondrement du bloc gauche-écologistes, celle de 2022 voit donc celui de la droite. En revanche, face aux trois pôles dominants de 2022 (LRM, RN, LFI), la gauche et les écologistes tendent à se redresser partiellement, leur progression relative étant même la plus forte, il est vrai après le résultat catastrophique de 2017.<br />
Cette élection comporte deux très mauvaises nouvelles : le nouveau progrès de la désaffection des citoyens pour leur Cité et le nouveau progrès de l’extrême droite. Ces deux phénomènes sont les deux faces du même mal : la rupture des citoyens avec la politique et l’espoir qu’elle portait autrefois au profit d'une position nihiliste. Cette rupture ne s’arrête pas là, elle comporte un troisième visage : l’<em>apolitisme</em> avec lequel beaucoup de votants se déterminent, passant allègrement d’un candidat à l’autre, voire d’un « extrême à l’autre », sur des critères extraordinairement subjectifs (bonne mine, belles paroles, petites phrases, peur, colère...). Nous vivons un manque cruel de base idéologique et la première tâche des politiques et des militants doit être celle-ci : reconstruire une échine idéologique forte des forces de progrès, ce qu’<em>aucun mouvement</em> n’assure aujourd’hui, lui préférant les ficelles du marketing et de la démagogie, avec la confusion qu’elles portent. L’autre très mauvaise nouvelle est que l’urgence climatique dépassée, dont conviennent tous les esprits sensés, ne s’est traduite ni dans le débat ni dans les urnes.<br />
Elle comporte aussi de bonnes nouvelles. Le succès relatif des deux candidats républicains (ô combien différents !) que sont Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon montre que beaucoup se sont mobilisés face au péril que constitue plus que jamais l’extrême droite. Mais la cristallisation des votes sur leurs noms au cours des derniers jours, des dernières heures, des dernières minutes, révèle qu’une bonne partie de leur électorat n’est ni macroniste ni mélenchoniste. À eux d’en tirer les conclusions. Le phénomène des vases communicants qui a siphonné l'électorat de tous les autres candidats (et dont une conséquence délétère est de les priver de remboursement des frais de campagne, donc des moyens de poursuivre leur action) doit être interprété à l’inverse : leur potentiel pèse à bien des égards plus que leur résultat du 10 avril.<br />
Reste que nous avons nous devant un second tour face auquel nous n’avons pas le droit de nous laver les mains. De Drumont à Zemmour, de Maurras aux Le Pen, l’extrême droite, au-delà de sa démagogie habituelle, n’a qu’une constante : rendre responsable de tous les maux un bouc émissaire, hier juif, aujourd’hui arabe et noir, et courir après le rêve absurde d’une purification ethnique. Ceux qui se sont abstenus en 1933 ou ont voté pour Hitler en croyant qu’il se discréditerait et serait rapidement évincé se sont lourdement trompés, et beaucoup d’entre eux n’étaient plus là 12 ans plus tard pour s’en mordre les doigts. Ne jouons pas avec le feu.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Donn%C3%A9es-et-pourcentages#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Toutes les données brutes sont accessibles sur le site du ministère de l’Intérieur : <a href="https://www.resultats-elections.interieur.gouv.fr/presidentielle-2022/FE.html">résultat 2022</a> et <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Presidentielles/elecresult__presidentielle-2017/(path)/presidentielle-2017/FE.html" title="résultat 2017">résultat 2017</a>.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Donn%C3%A9es-et-pourcentages#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] Incluant « l’extrême centre » protestataire de l’inclassable Jean Lassalle et son surprenant résultat.</p></div>
Deux présidentiellesurn:md5:b0cb551f4a0ccf6f846014a2e1ef0eec2022-04-02T11:58:00+02:002022-04-02T15:26:53+02:00Dominique SarrChronique<p>En France, l´élection présidentielle se déroule les 10 et 24 juin. En Colombie, elle doit se tenir les 29 mai et 19 juin. Un regard plus ethnohistorique que politique peut y relever des points communs et des écarts.</p> <p>Le président n’y a d’abord pas le même rôle. L’unique république colombienne<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup> suit le modèle étatsunien selon lequel exécutif et législatif ne peuvent se renverser l’un l’autre. La Cinquième République française a fondé son propre modèle, le semi-présidentialisme gaullien corrigeant le régime parlementaire en assurant au président une intouchabilité dont ne jouissent ni son gouvernement ni l’Assemblée nationale. Dans les deux cas, de droit ou de fait, le président gouverne.<br />
En outre, l’État colombien organise les primaires des principaux blocs, primaires que les partis ou groupes de partis régissent en France comme ils l’entendent.<br /></p>
<h3>L’histoire récente</h3>
<p>La France a depuis 20 ans suivi un balancier constant, élisant chaque foi un président opposé au (ou éloigné du) précédent… et s’empressant de le clouer au pilori : la droite ronde de Chirac reprenait la main après la gauche sociale de Jospin<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup> en 2002 ; son ennemi intime, Sarkozy, était élu malgré son prédécesseur en 2007 pour une politique de droite dure, mais s’inclinait devant la gauche libérale de Hollande en 2012, et ce dernier à son tour devait s’effacer devant le non moins libéral Macron, mais « ni de gauche ni de droite ». <br />
La Colombie est quant à elle le seul pays d’Amérique latine à n’avoir jamais été gouvernée à gauche et, logiquement, le pays le plus inégalitaire de la région, après le Brésil. Elle est dominée depuis 20 ans par la droite extrême uribiste, aux liens sulfureux avec les paramilitaires : Álvaro Uribe, élu pour exterminer les guérillas, a fait après ses deux mandats (2002-2010) les rois qu’ont été Juan Manuel Santos (2010-2018) et Iván Duque (2018-2022). Le premier, constatant l’impasse de la politique qu’il avait dû mener comme ministre de l’Intérieur d’Uribe, est devenu sa bête noire en négociant et en signant la paix avec les FARC en 2016. Le second est resté sa marionnette complaisante et a tout fait pour saboter avec lui la paix.<br /></p>
<h3>Les sujets de préoccupation</h3>
<p>En Colombie, les fléaux sociaux récurrents dominent les préoccupations<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup> : en premier lieu, dans un pays ou de 50 à 70 % des emplois sont informels, l’économie et le chômage (33 %) ; en second lieu, le problème endémique de la corruption, qui envoie régulièrement députés, sénateurs, gouverneurs ou maires derrière les barreaux (25 %) ; en troisième lieu, l'insécurité, tant pour les massacres et exécutions sommaires encore imputables aux groupes armés<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#wiki-footnote-4" id="rev-wiki-footnote-4">4</a>]</sup> que pour la criminalité urbaine, crapuleuse ou sexuelle (14 %).<br />
En France, les premières préoccupations<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#wiki-footnote-5" id="rev-wiki-footnote-5">5</a>]</sup> portent sur le pouvoir d’achat, notamment du fait de l’inflation post-covid redoublée par la guerre en Ukraine (54 %) ; puis sur la guerre en Ukraine elle-même (38 %) ; puis sur l’environnement, le dérèglement climatique y pesant évidemment très lourd (27 %).<br />
Dans les deux pays, la détérioration du pouvoir d’achat dans ce contexte redevient ainsi l’élément premier du vote présidentiel de 2022.<br /></p>
<h3>Les tendances actuelles</h3>
<p>En France, le très fort rejet du président sortant par une partie de la population (anti-élites, anti-migrants, anti-taxes, anti-masques, anti-vaccins...) ne l’empêche pas de faire largement la course en tête des 12 candidats : son pragmatisme réactif dans la gestion du covid comme dans celle de la crise ukrainienne semble effacer l’accusation de président des riches qui avait paru le condamner au début de son mandat. L’extrême droite poursuit la forte progression qu’elle a entamée il y a 40 ans. Le match interne entre sa tendance nationale-social(ist)e (Le Pen) et sa tendance de rapprochement avec l’intégrisme chrétien et la droite dure (Zemmour-Maréchal) tourne momentanément à l’avantage de la première. La fraction tribunicienne de la gauche est la seule à se faire entendre. L’urgence reconnue de la question climatique ne se retrouve pas dans une émergence du vote vert. Les partis qui se sont succédés au gouvernement depuis 1958, LR et PS, s’écroulent.<br />
En Colombie, la popularité du <em>títere</em> (« marionnette ») Duque s’est effondrée depuis les grandes manifestations de 2021<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#wiki-footnote-6" id="rev-wiki-footnote-6">6</a>]</sup>, et le candidat uribiste, en perdition dans les sondages, a dû renoncer et laisser la place à Fico Gutiérrez, candidat d’une droite plus sortable et vainqueur de sa primaire avec 2,16 millions de voix. Sergio Fajardo, vainqueur de celle du centre et des verts avec 0,72 millions de voix, reste un outsider de la compétition. Quant à l’ancien guérillero du M-19<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#wiki-footnote-7" id="rev-wiki-footnote-7">7</a>]</sup> Gustavo Petro, il confirme le statut de favori acquis depuis plus d’un an et a crevé le plafond des primaires en remportant celle de la gauche avec 4,50 millions de voix. Il a choisi comme vice-présidente potentielle l’autre surprise de la primaire, sa dauphine Francia Márquez, une femme noire, ce qui sonne comme un coup de tonnerre dans la politique colombienne. Depuis la primaire, Petro est assez stable dans les sondages (32,4 % le 29 mars), Gutiérrez, qui n’était crédité que de 3 % en décembre, monte constamment depuis (27,6 %), et Fajardo, après avoir vu son potentiel électoral fondre depuis deux ans, progresse maintenant lentement (12,3 %)<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#wiki-footnote-8" id="rev-wiki-footnote-8">8</a>]</sup>. De leurs 5 challengers, seul Rodolfo Hernández, entrepreneur anticorruption de 77 ans, approche avec constance les 10 %.<br /></p>
<h3>Et demain ?</h3>
<p>Si Gustavo Petro confirmait l’essai en juin prochain, encore devrait-il compter avec un Congrès où la percée spectaculaire de ses partisans en mars (+ 85 %) ne leur a assuré que 16 % des sièges : la droite y reste majoritaire. Il est vrai que les partis et micropartis colombiens, parfois éphémères, ont plus à voir avec le clientélisme qu’avec l’idéologie...<br />
Autant les mouvements d’opinion ont peu de chances d’être massifs avant le 10 avril en France, autant ils peuvent encore être importants en Colombie d’ici au 29 mai et plus encore au 19 juin, toute la droite tirant à boulets rouges sur le « communiste » Petro<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#wiki-footnote-9" id="rev-wiki-footnote-9">9</a>]</sup>, qui n’ose même pas se dire de gauche : rien n’est joué. Il reste que la domination d’un candidat de gauche est un événement inouï en Colombie, après les victoires de Gabriel Boric au Chili, de Pedro Castillo (il est vrai président catastrophique…) au Pérou, et avant l’élection qui pourrait voir Lula revenir au pouvoir au Brésil en octobre prochain, tous trois opposés à des candidats ou candidate d’extrême droite.
À la forte polarisation gauche-droite en Colombie, où l’extrême droite n’a d’autre choix que rallier la droite, répond donc un duel centre-extrême droite en France, que la gauche ne peut que regarder en spectatrice... avant de devoir l’arbitrer.<br />
Au delà, si la France voit monter en puissance l’extrême droite et le complotisme qui en fait le lit, sans (encore ?) leur céder, la Colombie, et plus généralement l’Amérique latine, semblent avoir compris qu’ils tournaient le dos à l’histoire.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] La constitution actuelle (1991) est néanmoins la septième depuis l’indépendance (1821).</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] Qu’il avait dû nommer premier ministre en perdant les élections de 1997.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] Enquête Invamer de janvier 2022, avec un seul choix possible : <a href="https://www.elcolombiano.com/colombia/principales-problemas-de-colombia-inseguridad-corrupcion-economia-encuesta-invamer-KP17099407" title="https://www.elcolombiano.com/colombia/principales-problemas-de-colombia-inseguridad-corrupcion-economia-encuesta-invamer-KP17099407">https://www.elcolombiano.com/colomb...</a></p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#rev-wiki-footnote-4" id="wiki-footnote-4">4</a>] De toutes origines idéologiques ou criminelles, mais s’affrontant et sévissant tous pour le contrôle de territoires propices à l'exploitation de la coca.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#rev-wiki-footnote-5" id="wiki-footnote-5">5</a>] Sondage IPSOS-Le Monde de mars 2022 sur un échantillon de 13 269 électeurs, avec trois choix possibles : <a href="http://www.commission-des-sondages.fr/notices/files/notices/2022/mars/9506-ipsos-cevipof-lm-28-mars.pdf" title="http://www.commission-des-sondages.fr/notices/files/notices/2022/mars/9506-ipsos-cevipof-lm-28-mars.pdf">http://www.commission-des-sondages....</a></p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#rev-wiki-footnote-6" id="wiki-footnote-6">6</a>] Qui ont fait 67 morts vérifiés et 91 disparus.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#rev-wiki-footnote-7" id="wiki-footnote-7">7</a>] Dans les années 80, mais qui ne l’était pas alors ?...</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#rev-wiki-footnote-8" id="wiki-footnote-8">8</a>] Fico Gutiérrez, ingénieur de 47 ans, et Sergio Fajardo, mathématicien de 65 ans, ont tous deux été maires de la conservatrice Medellín. Gustavo Petro, économiste de 62 ans, a été maire de la progressiste Bogotá.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Deux-pr%C3%A9sidentielles#rev-wiki-footnote-9" id="wiki-footnote-9">9</a>] Il est aussi communiste que Joe Biden...</p></div>
L'Empire russeurn:md5:0cb9105a519b02b8892f96923d9340372022-02-24T16:50:00+01:002022-03-04T16:09:31+01:00Dominique SarrChronique<p>24 février 2022. Ainsi a-t-il envahi l’Ukraine. Nous savions ce que valait la parole et la signature de Vladimir Poutine : pas un kopeck. Ni ses actes, ni ses écrits, ni ses paroles n’ont de relation avec des notions telles que l’éthique et la vérité : ils expriment chaque jour les besoins de sa stratégie. Mais cette stratégie n’est pas celle d’un demi fou arrivé par hasard au pouvoir. Elle est celle de l’Empire russe.</p> <p>Les observateurs ont relevé que la guerre contre l’Ukraine avait été savamment préparée selon les méthodes répétées en 2008 contre la Géorgie. Au-delà, le parallélisme avec la marche à la guerre d’Hitler est frappant. Réarmement et désinformation goebbelsienne (à partir de 1933 et 2004), tests croissants de la politique d’annexion, tout en endormant les démocraties (à partir de 1938 et 2008), blitzkrieg au moment opportun (1940 et 2022). Au point que la réduction au silence des oppositions russes et la guerre en Géorgie prennent aujourd’hui une autre signification à la lumière de la guerre en Ukraine. Comme si toute la politique russe depuis vingt ans était la préparation et la répétition du moment de vérité auquel nous sommes aujourd’hui arrivés.<br />
Cette politique est celle de l’Empire russe depuis Pierre le Grand, pour ne pas dire depuis Ivan le Terrible au xvie siècle, reprise par Staline au xxe siècle et aujourd’hui par Poutine. Contrairement aux empires coloniaux des puissances d’Europe de l’Ouest, l’Empire colonial russe en Asie a été humilié et amputé, mais jamais détruit, sans que personne ne semble ne s’en émouvoir.<br />
La responsabilité des Occidentaux dans la crise ukrainienne est certes lourde : avoir agité le chiffon rouge de l’adhésion de l’Ukraine et de la Biélorussie à l’Otan sans aucun moyen de cette politique fut une erreur stratégique et tactique grossière : Moscou ne pouvait davantage accepter des missiles ennemis dans le Donbass que Washington ne pouvait les accepter à La Havane en 1962. Comment la sécurité de l’Ukraine pouvait-elle être le moins mal assurée ? Par l’adhésion à une alliance occidentale dont on ne voit plus quel est le ciment, ou en décrétant sa neutralité ? Ni la Suède ni la Suisse n’en sont honteuses, et leur histoire est sur ce point plutôt enviable. Bien sûr, une telle décision relevait de la souveraineté de l’Ukraine ; bien sûr la valeur des garanties de la Russie serait restée figée au kopeck ; bien sûr, rien ne dit que cela lui aurait épargné la guerre, la dictature du Kremlin ne pouvant non plus accepter une vitrine démocratique à demi russophone sous sa fenêtre. Mais nous avons joué avec le feu, pour aujourd’hui implorer Poutine de « cesser la guerre ». Autant implorer le loup d’épargner l’agneau.<br />
La responsabilité de l'agression n'en est pas moins, cela va sans dire, et totalement, celle de l'impérialisme russe. Face à lui, l’équation actuelle est aussi simple qu’insoluble. Poutine attaque parce que le rapport bénéfice-risque lui est favorable. Il n'y a qu'une façon de l’arrêter : oublier prêches et moralisme, et rendre le rapport bénéfice-risque très négatif pour la Russie, ce qui peut s’envisager de trois manières : entrer en guerre et détruire le cœur de sa puissance militaire, entrer dans une cyberguerre qui la désorganise, assécher l’économie russe. Personne ne semble envisager une guerre classique, à laquelle les parlocraties occidentales ne sont d’ailleurs guère prêtes. Pour la cyberguerre, la difficulté est que la Russie a un temps d’avance dans l’expertise. Pour l’asphyxie économique, geler les comptes de dix ou de mille Russes n’y suffit pas, ce sont tous les circuits économiques et financiers avec la Russie et la Biélorussie qu’il faut suspendre. Regardons les choses en face : où nous nous engageons dans la riposte cinglante d’une (ou plusieurs) de ces trois voies, ou nous admettons que le loup va manger l’agneau sous nos yeux, et nous cessons de nous gorger de paroles creuses.<br />
Nous n'engagerons pas le fer, et Poutine remportera sa blitzkrieg. La seule question en suspens est celle de savoir si l’Empire russe, via des républiques fantoches, va se contenter d’annexer la moitié russophone de l’Ukraine ou s’il la croquera entière.<br />
Quelle que soit notre réaction, nous devons être conscients que la guerre s’accompagnera d’une crise énergétique et économique grave : celle-ci a débuté moins de 24 heures après l’invasion. Nous en serons tous victimes.<br />
Les impérialistes sont stupides, incapables de retenir les leçons de l’histoire, Ils vivent encore dans l’antiquité d’Alexandre et de César. Les stratégies impériales, celle de Napoléon, celle d’Hitler, celle des Ottomans, celle des Habsbourg, se sont toujours effondrées. Hitler n’a pas été que le bourreau des Juifs et de l’Europe : il a aussi détruit l’Allemagne.<br />
Une chose est de remporter une guerre, autre chose est de vaincre dans la paix. L’expansion russe sur ses marges européennes et asiatiques, la mise en place d’un nouveau colonialisme prédateur dans le Sahel réserveront quelques surprises à l’Empire russe. Budapest en 1956 et Prague en 1968 ne furent en réalité que les jalons annonciateurs du déclin soviétique. Le printemps finit toujours par fleurir.<br />
Les empires russes se sont déjà écroulés deux fois : le premier en 1917 et le second en 1989. Le troisième empire, celui de Poutine, suivra le même chemin. Peut-être sera-ce l’occasion de démanteler définitivement ses colonies. Mais il a le temps devant lui. Et il sait que ce jour-là, le bon peuple de Russie gardera pour lui, comme pour Staline et Ivan le Terrible, la nostalgie de la puissance perdue.</p>L’inconstance de la médianeurn:md5:f8de7db4839336e5d8b55dc3511a6ca12022-02-10T01:04:00+01:002022-02-15T12:40:01+01:00Dominique SarrChronique<p>Indépendamment de ses aspects politiques, la primaire populaire est à ce jour la plus large mise en œuvre du scrutin par jugement majoritaire. Selon ses promoteurs, celui-ci est le mieux à même de permettre l’expression de l’électorat sur chacun des candidats, le plus équitable et celui se prêtant le moins aux votes tactiques. Est-ce bien sûr ?</p> <p>Sur le premier point, chaque votant s’exprime bien sur tous les candidats, en les évaluant par une des 5 à 7 mentions prédéfinies. Gagne celui qui obtient la meilleure médiane (séparant en parts égales les voix plus favorables et les voix moins favorables).<br />
Tous les électeurs et les candidats sont bien égaux devant le jugement majoritaire… à condition que les mentions retenues suivent une distribution plane ou symétrique (loi normale). Et ce n’est jamais le cas. Nous avons trois expériences politiques de scrutin majoritaire : un sondage OpinionWay d’avril 2011 couplé à un sondage classique<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99inconstance-de-la-m%C3%A9diane#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>, un sondage OpinionWay de décembre 2021 (idem)<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99inconstance-de-la-m%C3%A9diane#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>, et la primaire populaire<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99inconstance-de-la-m%C3%A9diane#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup>. Dans ces trois cas, plus une mention est basse, et plus elle concentre de suffrages <em>au total </em>: la meilleure mention recueille entre 3 à 17 % des voix, quand la pire en recueille de 33 à 44 %. Cela se vérifie pour les totaux de <em>toutes</em> les mentions et de <em>tous</em> les votes. C’est assez humain : on élimine en général plus de candidats qu’on en retient. On n'y trouve qu'une exception, celle du vote <em>Très bien</em> massif en faveur de Christiane Taubira à la primaire populaire. Par ailleurs, il n’y a pas de raison pour que des votants <em>réels</em> ne prennent pas en compte des aspects tactiques.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/Jugement-majoritaire.png" alt="Synthèse des votes par mention" title="Synthèse des votes par mention" /><br />
Dans le cas du plébiscite de Christiane Taubira, cela n’a aucune espèce d’importance : elle frôle une majorité absolue pour la meilleure mention (49,4 % de <em>Très bien</em>) et un nombre très bas de pire mention (13 % de <em>Insuffisant</em>). C’est exceptionnel et n’importe quel mode de scrutin l’aurait placée de loin en tête pour le même corps électoral.<br />
Mais de manière générale, le problème est que les votes décisifs portent sur les mentions les plus nombreuses, donc les plus basses : les votes <em>Excellent</em>, <em>Très bien</em> et <em>Bien</em> n’ont de fait qu’un faible rôle dans le départage de candidats, puisque le meilleur candidat gagne avec la mention <em>Assez bien</em> (OpinionWay 2011) ou <em>Passable</em> (OpinionWay 2021) ; même pour Christiane Taubira, le faible rejet est aussi décisif que la forte adhésion. En revanche, les candidats que plombent un grand nombre de mentions <em>Insuffisant</em> ou <em>À rejeter</em> ne s’en relèvent pas, même s’ils ont par ailleurs un fan club important. Jean-Luc Mélenchon a en partie raison lorsqu’il affirme en substance que le jugement majoritaire est une fabrique de consensus mous : le jugement majoritaire est une machine à éliminer les candidats clivants (Martine Le Pen dernière sur OpinionWay 2011, Éric Zemmour dernier sur OpinionWay 2021), et lui-même n'est guère mieux loti.<br />
Le sondage OpinionWay de 2021 montre à quel point cet effet est puissant. Emmanuel Macron engrange plus de très bonnes mentions (19 %) que Valérie Pécresse (14 %) : 7 % contre 4 % d’<em>Excellent</em>, 12 % contre 10 % de <em>Très bien</em> et ils ont un pourcentage équivalent de <em>Bien</em> (14 % contre 15 %) Elle sort pourtant gagnante du scrutin majoritaire : ce ne sont pas ces bonnes mentions qui font la différence, mais les 32 % de <em>À rejeter</em> d’Emmanuel Macron, contre ses 24 % à elle. Or le <em>même</em> sondage accorde en mode classique 25 % à Emmanuel Macron au premier tour contre 17 % — et une victoire avec 54 % au second tour, selon les enquêtes de l’époque…<br />
Et qui est en troisième position de ce sondage ? Arnaud Montebourg, plafonnant pourtant à 1 % dans le <em>même</em> sondage classique : son taux d’adhésion (1 % <em>Excellent</em>, 2 % <em>Très bien</em>) le place au niveau de ses sondages calamiteux, mais son taux de <em>À rejeter</em> est de 33 % : le plus faible de tous les autres candidats.<br />
Ce phénomène peut être aggravé par la règle de départage entre des candidats ayant la même mention médiane. Elle est importante, ce cas se produisant presque toujours et pouvant décider du vainqueur (comme entre Pécresse et Macron pour OpinionWay 2021). Plusieurs systèmes de départage ont été imaginés<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99inconstance-de-la-m%C3%A9diane#wiki-footnote-4" id="rev-wiki-footnote-4">4</a>]</sup>. Mais si le départage se fait sur la base du nombre total des mentions inférieures ou égales obtenues par les candidats à départager (comme cela a été le cas pour la primaire populaire), celles-ci, donc les plus basses, jouent un rôle encore plus important dans la décision.<br />
Cela fait-il du scrutin majoritaire un mode de scrutin… <em>à rejeter </em>? Pas plus qu’un autre. Les statisticiens, et avec eux les spécialistes des élections, savent qu’il n’y a pas de bonne méthode dans l’absolu, mais relativement à un ou des objectifs. Il en va de même pour les modes de scrutin. L’élection uninominale des députés est le meilleur mode de scrutin pour assurer des majorités stables ; leur élection à la proportionnelle de liste est le meilleur pour assurer l’équité entre les partis. Le jugement majoritaire n’échappe pas à la règle : c’est un très bon mode de scrutin pour permettre l’expression complète des électeurs, et un très mauvais parce qu’il ne tient quasiment pas compte de l’<em>adhésion</em> soulevée par un candidat…</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99inconstance-de-la-m%C3%A9diane#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] <a href="https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.tnova.fr%2Fnote%2Frendre-les-lections-aux-lecteurs-le-jugement-majoritaire#federation=archive.wikiwix.com" title="https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.tnova.fr%2Fnote%2Frendre-les-lections-aux-lecteurs-le-jugement-majoritaire#federation=archive.wikiwix.com">https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.tnova.fr%2Fnote%2Frendre-les-lections-aux-lecteurs-le-jugement-majoritaire#federation=archive.wikiwix.com</a></p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99inconstance-de-la-m%C3%A9diane#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] <a href="https://www.opinion-way.com/fr/component/edocman/opinionway-mieux-voter-etude-sur-le-jugement-majoritaire-decembre-2021/viewdocument/2733.html" title="https://www.opinion-way.com/fr/component/edocman/opinionway-mieux-voter-etude-sur-le-jugement-majoritaire-decembre-2021/viewdocument/2733.html">https://www.opinion-way.com/fr/component/edocman/opinionway-mieux-voter-etude-sur-le-jugement-majoritaire-decembre-2021/viewdocument/2733.html</a></p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99inconstance-de-la-m%C3%A9diane#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Primaire_populaire" title="https://fr.wikipedia.org/wiki/Primaire_populaire">https://fr.wikipedia.org/wiki/Primaire_populaire</a></p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99inconstance-de-la-m%C3%A9diane#rev-wiki-footnote-4" id="wiki-footnote-4">4</a>] <a href="https://www.parisschoolofeconomics.eu/docs/fabre-adrien/tie-breaking-highest-median--revision-2(1).pdf" title="https://www.parisschoolofeconomics.eu/docs/fabre-adrien/tie-breaking-highest-median--revision-2(1).pdf">https://www.parisschoolofeconomics.eu/docs/fabre-adrien/tie-breaking-highest-median--revision-2(1).pdf</a></p></div>
L’axe du caféurn:md5:c067db46b72527fea73545e640a423b92022-01-02T20:53:00+01:002023-01-30T23:37:35+01:00Dominique SarrChronique<p>Je n’en ai que peu parlé dans le post « Quand est-ce qu’on mange ? », mais cela n’étonnera pas grand monde : l’autre religion de la Colombie, c’est le café. La carte du café de Colombie suit celle de la cordillère des Andes. Logique, le café se cultivant entre 1 200 et 2 300 m d’altitude. On y distingue les 3 cordillères : Orientale, Centrale et Occidentale, séparées du sud au nord par la dépression du rio Magdalena et par la vallée encaissée de son affluent, le rio Cauca.</p> <p><img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.Mapa-de-cosechas-de-cafe-en-Colombia-legendee_m.jpg" alt="Nombre et saisons de récoltes de Café en Colombie selon la région" title="Nombre et saisons de récoltes de Café en Colombie selon la région" /><br />
Au contraire du Brésil, qui ne s’y est mis que sur le tard, la Colombie a toujours exclusivement cultivé l’arabica<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99axe-du-caf%C3%A9#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>, et la puissante Fédération nationale du café veille à l’amélioration de la productivité et de la qualité des plants et de la culture, ce qui peut être en soi une contradiction, mais la réputation du Café de Colombie n’est pas surfaite.<br /></p>
<h3>L’eje cafetero<br /></h3>
<p>L’<em>eje cafetero</em> (« axe du café ») occupe 3 petits départements du centre des cordillères Occidentale et Centrale (Caldas, Riseralda et Quindio), et le nord de deux autres (Valle del Cauca et Tolima). C’est le sud de la région « paisa » : la grande région de Medellín.<br />
C’est une des régions caféières les plus importantes de Colombie : on récolte un tiers de la production nationale dans ces 5 départements. Mais le département du Huila en fournit à lui seul 18,4 % et celui d’Antioquia (Nord paisa) 15,8 %<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99axe-du-caf%C3%A9#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>.<br />
Ce n’est pas exactement la région produisant la plus haute qualité. Les meilleurs cafés que j’ai bus personnellement sont ceux du Huila et un café bio de la Sierra Nevada de Santa Marta : ils pouvaient rivaliser avec les magarogypes du Guatemala et du Nicaragua, réputés les meilleurs du monde.<br />
Mais plus encore que sa production, ce qui assoit l’aura de l’<em>eje cafetero</em>, c’est en fait son charme et sa culture, qui lui a valu la reconnaissance au patrimoine de l’humanité par l’Unesco. Ses pentes offrent des paysages de rêve. Les plantations verdoyantes de caféiers y sont surveillées par les <em>casas fincas</em> (« corps de ferme »), lieux d’habitation de leurs maîtres et de travail de leurs ouvriers, pour la plupart saisonniers.<br />
<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.IMG_20170822_103421-opt_m.jpg" alt="La couleur jaune des cerises de café indique une variété bourbon, qui tire son nom de l’île Bourbon (aujourd’hui la Réunion), où les Français l’avaient acclimaté au XVIIIe siècle depuis le Yémen. Palestina, août 2017" title="La couleur jaune des cerises indique une variété bourbon, qui tire son nom de l’île Bourbon (aujourd’hui la Réunion), où les Français l’avaient acclimaté au XVIIIe siècle depuis le Yémen. Palestina, août 2017" /><br /></p>
<h3>Villes et campagne<br /></h3>
<p>Les paysages ne manquent pas de variété. Selon la région, les plantations sont mixtes, les bananiers plantain offrant un peu d’ombre aux caféiers, ou séparées, le plantain étant toujours cultivé d’une façon ou d’une autre. Les arbustes sont souvent serrés dans les plantations anciennes, alors qu’aujourd’hui on semble les éloigner pour faciliter, voire mécaniser, l’entretien et la récolte. Un autre élément caractéristique de ces paysages (mais présent du Mexique à l’Argentine) est le <em>Guadua</em>, un genre de bambous (plus rigoureusement : de Bambuseae) qui révèle un point très humide, et d’un bois si dur qu’il est surnommé ici <em>acero vegetal</em> (« acier végétal ») et utilisé comme tel. Entre Manizales et Pereira, les cultures sont gardées par l’ombre du Nevado del Ruiz et de ses 5 321 mètres. Le volcan enneigé est actif et a fait plus de 23 000 morts en 1985, lors de la « <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ruption_du_Nevado_del_Ruiz_en_1985">tragédie d’Armero</a> », pire catastrophe naturelle de l’histoire colombienne.<br />
<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.IMG_20170824_095908-Roundup-opt_m.jpg" alt=""Finca san José, libre de mauvaises herbes : RoundUp. Pas de quoi de vanter (heureusement, il y a aussi du bio)… Cartagena (Riseralda, août 2017)." title="Pas de quoi de vanter (heureusement, il y a aussi du bio)… Cartagena (Riseralda, août 2017)." /><br />
Les villes de l’<em>eje cafetero</em>, mal conservées, n’offrent pas d’intérêt majeur. Quelques exceptions : la crête sur laquelle est construite Manizales (Caldas), qui suit l’antique voie royale des Incas ; la cathédrale de Pereira (Riseralda), dont un autre cataclysme, le tremblement de terre de 1999, a détruit le toit, ce qui a donné l’excellente idée de laisser la charpente apparente ; la digne centenaire y a conquis ce qu’elle n’avait jamais eu : la beauté du diable ; Armenia (Quindio), en revanche, a été presque entièrement détruite à cette occasion et il n’en reste qu’une ville sans âme, si ce n’est celle des premiers occupants, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Quimbayas" hreflang="Quimbayas">Quimbayas</a>, qui survit dans son magnifique Musée de l’or. À une trentaine de kilomètres de là, c’est (comme souvent) parce qu’elle s'était endormie loin des axes de communication que Salento, bourgade touristique et centre de superbes promenades comme celle de la <a href="https://www.voyagecolombie.com/guide-colombie/attraction/vallee-del-cocora">vallée de Cocora</a><sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99axe-du-caf%C3%A9#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup>, qui a résisté à la barbarie des promoteurs, et permet d’imaginer la vie de l’époque coloniale.<br />
<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.IMG_20200304_093434-opt_m.jpg" alt="L’étonnante cathédrale de Pereira, avril 2020" title="L’étonnante cathédrale de Pereira, avril 2020" /><br /></p>
<h3>Les plantations<br /></h3>
<p>Lors de mon séjour dans la région, j’ai passé quelques jours enthousiastes dans deux <em>fincas</em>.<br />
À Palestina, au-dessus de Chinchiná (Caldas), Sebastian a investi son épargne de directeur financier d’un négoce de café dans une superbe plantation de 60 hectares, taille très moyenne face aux ogres de la caféiculture industrielle : la <em>finca</em> Poema. Sans me priver de sillonner les chemins de la région, j’ai voulu me rendre compte par moi-même une journée de ce qu’est le travail des ouvriers agricoles des plantations. À l’aube, en Marie-Antoinette caféière, j’ai trouvé ça magnifique, ludique et facile, si ce n’est le déplacement au milieu des litres d’eau que la pluie de la nuit avait déversés sur les plants et sur le sol. Au bout de deux heures, je me suis vite rendu compte que l’argent gagné par les cueilleurs n’était pas volé. Il fallait pourtant tenir jusqu'au coucher du soleil… Et quand je suis arrivé tout fier de ma récolte à la pesée du soir (le cueilleur est payé au poids), admirant les 80, 100, 120 kilos de mes compagnons (ce chiffre peut monter à 300 kg par jour dans le sud de l’Antioquia), mon fier sourire s’est figé devant le chiffre de la balance : 20 kilos ! Sébastien a généreusement converti mon gain en repas gratuits…<br />
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<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.IMG_20170825_060208-opt_m.jpg" alt="Régisseur, cuisinière et cueilleurs de la finca Poema, août 2017." title="Régisseur, cuisinière et cueilleurs de la finca Poema, août 2017." /><br />
À Arabia, au sud de Pereira, j’ai découvert le très beau projet engagé par un couple d’universitaires de la ville lors de leur départ en retraite. Gabriel et Rubi ont acheté une petite <em>finca</em>, pour expérimenter la culture selon un mélange de principes traditionnels et écologiques. La <em>finca</em> Pachamama<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99axe-du-caf%C3%A9#wiki-footnote-4" id="rev-wiki-footnote-4">4</a>]</sup> réussit le tour de force de combiner sur 2 ridicules hectares un espace de plantation où la nature reprend ses droits, un espace de magnifique jardin exotique et un espace sauvage de forêt tropicale humide, source incluse… Ennui, le domaine est voisin de cultures industrielles de tomates : Gabriel et Rubi ont autant qu’il est possible résolu ce problème en laissant vivre une haie-buisson sauvage de bambous fixant une partie des nuages de pesticides.<br />
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<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.IMG_20170827_112836-GyR-opt_m.jpg" alt="Le petit paradis sauvage de la finca Pachamama, août 2017." title="Le petit paradis sauvage de la finca Pachamama, août 2017." /><br />
Le sud du département d’Antioquia est proche de l’axe du café par la nature et la culture. Certains de ses villages ont gardé comme Salento leur architecture coloniale. <a href="https://www.mifuguemiraison.com/fr/jardin-village-antioquia-colombie/">Jardín</a> est sans doute le plus beau, et on peut n’y aller que pour le plaisir de passer des heures sur son Parque central, envahi par les tables des bars et des boulangeries de la place, où, à toute heure du jour et de la soirée, on se contente de suivre l’habitude du pays en se dégustant ses <em>tintos</em> (« coloré » : café)…<br />
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<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/.IMG_20170901_102954-opt_m.jpg" alt="Une rue de Salento, septembre 2017." title="Une rue de Salento, septembre 2017." /></p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99axe-du-caf%C3%A9#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Tout sur les variétés d’arabica sur le site de la <a href="https://cafesbelleville.com">brûlerie Belleville</a></p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99axe-du-caf%C3%A9#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] Chiffres 2020 de la <a href="https://www.yoamoelcafedecolombia.com/2021/03/03/ranking-de-los-departamentos-productores-de-cafe-en-colombia/">Fédération nationale du café</a>.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99axe-du-caf%C3%A9#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] Du nom de la princesse quimbaya Cocora (« Étoile d’eau »)</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/L%E2%80%99axe-du-caf%C3%A9#rev-wiki-footnote-4" id="wiki-footnote-4">4</a>] Pachamama : la Terre-mère des cultures andines.</p></div>
Mon gouvernementurn:md5:131cbad5a83760f521f62b16ddaff1672021-12-05T14:19:00+01:002021-12-05T15:31:50+01:00Dominique SarrChronique<p>Face à la grande pagaille du paysage politique français, et à la nécessité urgente de changer de modèle environnemental, social et économique, ce qui rend impossible d’attendre les élections de 2022, moi-même même j’ai décidé de procéder à un coup d’État et de nommer les membres de l’exécutif de la République française. Voici ses nouvelles compétences et leurs titulaires. Je poursuis les contacts avec les uns et les autres pour les amener à travailler ensemble (ça va jaser, et c’est pas gagné).</p> <p>L’organisation des pouvoirs n’étant pas le souci de l’heure, elle n’est pas modifiée, sous réserve d’aménagements mineurs. Les titulaires des trois pouvoirs sont invités à les exercer dans le dialogue et le débat entre eux et avec les forces vives de la nation.<br />
<br /></p>
<h5>Présidence de la République<br /></h5>
<p><strong>Citoyen Yannick Jadot</strong><br />
Pour donner l’impulsion d’un changement de cap vers le respect de la biosphère, l’égalité des sexes, la justice sociale, la solidarité internationale et la prise en compte des générations présentes, passées et futures, il faut une volonté politique audacieuse et un pilotage pragmatique, garants du résultat.<br />
<br /></p>
<h5>Primature et coordination de l’action publique<br /></h5>
<p><strong>Citoyenne Christiane Taubira</strong><br />
Elle dispose de l’autorité morale nécessaire, a fait ses preuves et énerve les cons.<br />
<br /></p>
<h5>Ministère d’État, en charge du Climat et de la Biodiversité<br /></h5>
<p><strong>Citoyen Cyril Dion</strong><br />
Il doit piloter la gestion des priorités numéro 1 des décennies à venir.<br /></p>
<h5>Ministère d’État, en charge de l’Équité<br /></h5>
<p><strong>Citoyenne Clémentine Autain</strong><br />
La grande cause nationale du traitement équitable de tous les groupes sociaux mérite une titulaire radicale et mesurée. Pas d’assistance : une mission et de la dignité pour tous.<br /></p>
<h5>Ministère d’État, en charge de la Solidarité internationale<br /></h5>
<p><strong>Citoyen Pascal Canfin</strong><br />
Cette grande cause internationale mérite un responsable pointu et déterminé. Rien d’humain ne saurait nous être étranger.<br />
<br /></p>
<h5>Ministère de l’Éducation et de la Formation<br /></h5>
<p><strong>Citoyen Cédric Villani</strong><br />
Un chercheur brillant et plein d’idées est appelé à démultiplier la matrice du futur.<br /></p>
<h5>Ministère des Relations sociales et économiques<br /></h5>
<p><strong>Citoyen Thomas Piketty</strong><br />
Il est parfois énervant, mais on a besoin de lui pour projeter un nouveau modèle.<br /></p>
<h5>Ministère du Bien-être<br /></h5>
<p><strong>Citoyenne Delphine Batho</strong><br />
Dans cette équipe, elle travaille à ce que la croissance soit celle du bien-être commun, pas de la fiction statistique du PIB.<br /></p>
<h5>Ministère du Droit et de la Sécurité<br /></h5>
<p><strong>Citoyenne Marlène Schiappa</strong><br />
Elle a montré sa capacité à faire avancer la citoyenneté dans un contexte de désagrégation sociale.<br /></p>
<h5>Ministère du Travail et du Loisir<br /></h5>
<p><strong>Citoyen Pierre Larrouturou</strong><br />
Il devra entreprendre la transition vers une économie de plein emploi et de plein loisir.<br /></p>
<h5>Ministère de l’Intégration européenne<br /></h5>
<p><strong>Citoyenne Isabelle Thomas</strong><br />
Sa mission est de travailler à renforcer l’Union européenne en la mettant au service de tous.<br /></p>
<h5>Ministère de la Défense et de la Paix<br /></h5>
<p><strong>Citoyenne Monique Legrand-Larroche</strong><br />
Son expérience la qualifie pour élaborer l’armée pacifiste et redoutable de demain.<br /></p>
<h5>Ministère de l’Avenir<br /></h5>
<p><strong>Citoyen Emmanuel Macron</strong><br />
C’est l’empêcheur de tourner en rond-ronnant pour que cette équipe accouche d’un futur audacieux, fondé sur l’initiative et la responsabilité généralisées.<br /></p>
<h5>Ministère des Racines et de la Folle Sagesse<br /></h5>
<p><strong>Citoyen Wajdi Mouawad</strong><br />
Il doit faire de la culture une arme pour une société effervescente faite de relations riches, justes et douces.<br /></p>
<h5>Ministère des Générations<br /></h5>
<p><strong>Citoyenne Martine Aubry</strong><br />
Son humanisme la désigne pour œuvrer à ce que toutes les générations aient un cap et un espoir.<br /></p>
<h5>Ministère des Ressources naturelles et des Sols<br /></h5>
<p><strong>Citoyen Marc-André Selosse</strong><br />
Il travaille à ce que le vivant, la production et la consommation donnent les moyens de subsistance adéquats au vivant, aux producteurs et aux consommateurs.<br /></p>
<h5>Ministère des Biens sociaux<br /></h5>
<p><strong>Citoyenne Marie-Noëlle Lienemann</strong><br />
Son rôle est de dynamiser les services fondamentaux, donc publics, pour qu’ils couvrent correctement les besoins essentiels de manière souveraine.<br /></p>
<h5>Porte-parolat<br /></h5>
<p><strong>Citoyenne Mathilde Panot</strong><br />
Elle est le relais de communication faisant entendre la parole populaire aux gouvernants et celle des gouvernants à leurs mandants.<br />
<br />
&<br />
<br />
<em>Et vous ? Votre gouvernement ? Pour quoi et par qui ?</em></p>Ève sanctifiéeurn:md5:87659491473c71c56a588118645a69f92021-10-31T18:50:00+01:002021-11-01T11:52:16+01:00Dominique SarrChronique<p>Je vais pour une fois rompre avec ma schizophrénie et mon autisme pour parler de mon travail de plasticien, plus précisément de mon dernier travail : <em>Ève sanctifiée</em>.</p> <p>Mais d’abord, quelle est votre propre lecture du tableau ? Elle vaut autant que la mienne…<br />
<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/DSC05049-Eve-opt-lo.jpg" alt="''Ève sanctifiée", huile sur acrylique, 3 feuilles, 58,5 x 87, octobre 2021" title="''Ève sanctifiée", huile sur acrylique, 3 feuilles 58,5 x 87, octobre 2021" /><br />
<br />
<em>Ève sanctifiée</em> est une œuvre opportuniste. Je ne suis pas parti, comme le plus souvent, d’une « idémotion ». J’ai d’abord voulu peindre ce nu. Dans mon esprit, la nudité c’est l’innocence<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>, et le désir, « l’arme de création massive » de la nature<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>. Si je respecte toutes les religions, j’en veux à celles qui ont trouvé le moyen de mettre du péché là où il n’y a que de la vie à l’état brut.<br />
Mais, presque instantanément, j’ai pensé à raccorder cette innocence et ce désir à Ève, « mère de l’humanité », à les charger de la signification de notre origine. Mère mythique, sans doute, la mère de l’humanité étant plutôt Lucy, ou tout au moins celle de ses cousines dont nous sommes plus directement issus.<br />
<br />
Pourquoi ? Parce que je suis depuis longtemps troublé par un mystère majeur de la <em>Genèse</em><sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup>, premier livre de la <em>Bible</em>. Dans notre imaginaire, Ève est la première pécheresse (car bien sûr, c’est elle qui a entraîné son innocent Adam, comme ce dernier le dit à Dieu : « C’est pas moi, c’est elle. » — <em>Genèse</em>, III, 12), elle qui a croqué la pomme et l’a donnée à cet homme sans malice, elle qui a commis le péché de chair et l’y a entraîné.<br />
Sauf que… ce n’est pas du tout ce que dit la <em>Genèse</em> ! D’ailleurs, pour la <em>Bible</em> (et le <em>Coran</em>), Adam et Ève ne sont-ils pas mari et femme ? Non : s’ils sont chassés du jardin d’Éden, c’est pour avoir goûté au fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal (III, 17). Ce que Dieu leur reproche, ce n’est pas d’avoir copulé, c’est d’avoir fait la seule chose qu’il leur avait interdite : « devenir son égal » en en sachant autant que lui (III, 22).<br />
Que mes amis croyants n’y voient pas d’offense, mais le Dieu de la <em>Genèse</em>, en fait, est un fieffé gredin : il veut bien créer l’homme pour qu’il domine la Terre — au passage, ce n’est pas ce qu’il a fait de mieux, nous nous rendons maintenant compte de la catastrophe à laquelle cela conduit. Il le veut bien, mais en gardant pour lui le monopole du savoir. Il leur ment, en leur faisant croire qu’ils mourront s’ils mangent le fruit de cet arbre (II, 17). Et le serpent a beau jeu de leur révéler l’arnaque : « Vous ne mourrez pas ! », dit-il, « mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux » (III, 4-5). Ils goûtent donc au fruit défendu : la connaissance. Que fait alors Dieu : il se venge de ceux qui deviennent ses rivaux en les chassant de l’Éden, et en faisant garder l’arbre de vie par ses Kéroubim, cet autre arbre dont le fruit leur aurait donné, comme à lui, l’immortalité (III, 24). Réminiscence juive de l’épopée babylonienne de <em>Gilgameŝ</em> : « Quand les dieux ont créé les hommes, ils leur ont assigné la mort, ils ont gardé la vie entre leurs mains » ?<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#wiki-footnote-4" id="rev-wiki-footnote-4">4</a>]</sup> Dieu n’en restera pas là : voyant que les hommes s’unissent pour bâtir la tour de Babel, il prend peur, « embrouille leur langue » pour qu’ils ne se comprennent plus et ainsi les diviser (XI, 4-9). Et ainsi de suite : la première extinction de masse (celle du Déluge<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#wiki-footnote-5" id="rev-wiki-footnote-5">5</a>]</sup> — VII, 6-17), le génocide de Sodome et Gomorrhe (dont Abraham tente de négocier pied à pied, mais en vain, qu’il les épargne — XVIII, 24-33)… Nous comprenons mieux en quoi Dieu a créé l’homme à son image. À moins que…<br />
À moins tout simplement que les auteurs de la <em>Genèse</em> n’aient construit leur image de Dieu avec celle qu’ils avaient sous les yeux : celle de l’homme ?<br />
<br />
Bref, nous devons tout à cette Ève mythique ; elle représente le désir vital, et surtout nous a apporté ce bien précieux parmi tous : la connaissance. C’est à elle que nous devons d’avoir dépassé notre condition animale pour devenir des êtres conscients de nous-mêmes et avides de savoir. La <em>Genèse</em> comporte à cet égard une ambiguïté : elle parle de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal, mais dit aussi que son fruit « donnait l’intelligence » (III, 6).<br />
Le mythe biblique des origines explique encore à sa façon ce trait spécifiquement et universellement humain qu’est la pudeur<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#wiki-footnote-6" id="rev-wiki-footnote-6">6</a>]</sup> : « Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus. Ils attachèrent les unes aux autres des feuilles de figuier, et ils s’en firent des pagnes. » (III, 7) Mon <em>Ève</em> ne s’encombre pas de ce détail : quitte à être rebelle, elle n’use même pas de feuilles de figuier. C’est que le Bien et le Mal ne sont que des catégories de la morale, plus exactement des morales, subjectives, puisqu’il y en a autant que de groupes humains, avec toutefois ce caractère que toutes ont en commun : fixer et imposer les règles du patriarcat. Pire : le Bien y est plus dangereux que le Mal. Gilles de Rais, le docteur Petiot ou Michel Fourniret, acteurs du Mal, ne sont que des épiciers du crime ; les plus grands criminels de l’histoire humaine, Hitler, Pol Pot, George Bush junior… : tous ont agi au nom du Bien, de <em>leur</em> conception morale du Bien. Les diverses morales mènent à des catastrophes : oublions-les au profit de l’éthique, ce sens qui devrait nous appartenir à tous, qui doit nous être commun, fondé sur le juge de paix du respect : respect du vivant, des cultures, de l’autre, de soi-même.<br />
Mais je m’égare. Revenons à la <em>sainteté originelle</em>.<br />
<br />
Est-il besoin de le dire ? Prendre, comme cette <em>Ève</em>, le contre-pied de la <em>Genèse</em>, ce n’est pas être en guerre contre une ou contre les religions. C’est considérer la <em>Genèse</em> comme un des mythes fondateurs majeurs de l’humanité, et pour cela même le questionner. C’est se placer d’un point de vue anthropologique, qui n’est pas dressé contre quelque religion que ce soit, mais simplement <em>ailleurs</em> : rien n’interdit d’être croyant d’une religion, et <em>ailleurs</em>, anthropologue s’intéressant à, et tentant de comprendre, les dix mille religions humaines.<br />
On aura peut-être une moue de surprise face à l’anachronisme qui structure le tableau. D’Ève ou de Lucy à l’écrit, et plus encore à la science moderne, il y a certes un monde. Qu’importe : quitte à être dans le mythe, au-delà des aléas de l’Histoire et des sociétés, autant insister sur sa vérité fondamentale et enjamber allègrement les époques.<br />
À propos de mythe, un détail curieux : je voulais symboliser le jardin d’Éden par un arbre portant une myriade de fruits différents. À peine en avais-je dessiné l’ébauche que je tombe sur ce mythe amérindien de l’Amazonie vénézuélienne expliquant l’origine des crues : « Aculi (…) découvrit un arbre gigantesque au fond d’un bois ; c’était Vazacá qui donnait toutes sortes de bons fruits : beaucoup de bananes, de papayes, d’acajous, d’oranges et de maïs. »<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#wiki-footnote-7" id="rev-wiki-footnote-7">7</a>]</sup> Et un mythe des Uitotos, peuple de la frontière colombo-péruvienne, à plus de mille kilomètres infranchissables de là, expliquant pour sa part le Déluge (tiens, encore ?), parle lui aussi d’un arbre portant « tous les fruits connus »<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#wiki-footnote-8" id="rev-wiki-footnote-8">8</a>]</sup>. On croit parfois inventer, on ne fait que redécouvrir…<br />
Quoi qu’il en soit, Ève mérite bien d’être sanctifiée, pour cela même qui l’a fait chasser du paradis, pour ce monstrueux péché : nous avoir ouvert le chemin de la connaissance, nous avoir donné le meilleur de ce qui est humain.<br /></p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] « Ce n’est (…) pas le corps neutre qui est porteur d’érotisme, c’est (…) sa mise en scène » — <em>Sexe, le Grand Organisateur</em>, p.145.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] <em>Sexe, le Grand Organisateur</em>, p.17.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] La datation des textes qui compose la <em>Genèse</em> fait débat. Sa base pourrait avoir été écrite vers le Ve siècle av. J.-C.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#rev-wiki-footnote-4" id="wiki-footnote-4">4</a>] Versions primitives de l’<em>Épopée de Gilgameŝ</em>, autour du XVIIIe siècle av. J.-C.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#rev-wiki-footnote-5" id="wiki-footnote-5">5</a>] Également présent dans l’<em>Épopée de Gilgameŝ</em>.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#rev-wiki-footnote-6" id="wiki-footnote-6">6</a>] Voir <em>Sexe, le Grand Organisateur</em> : « L’invention de la pudeur », p. 138.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#rev-wiki-footnote-7" id="wiki-footnote-7">7</a>] Publié par Carlos Teschauer (1925), cité par Benjamin Péret, <em>Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique</em>, Paris, Albin Michel, 1960.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/%C3%88ve-sanctifi%C3%A9e#rev-wiki-footnote-8" id="wiki-footnote-8">8</a>] Publié par Konrad Theodor Preuss (1921), ibidem.</p></div>
De l’immédiatetéurn:md5:e2fa82ddda50dd86caf3c4a85ae47ace2021-10-02T10:45:00+02:002021-10-08T14:11:55+02:00Dominique SarrChronique<p>Radio puis télévision entre 1930 et 1970, chaînes d’information en continu autour de 1990, internet à partir de 1990, réseaux sociaux après 2000, smartphones depuis 2010 : cinq des révolutions surgies depuis un siècle — 0,004 % de l’histoire d’<em>Homo</em> – ont concouru à la naissance d’<em>Homo communicans</em>.</p> <h3>Travaux en cours</h3>
<p>Historiens, sociologues ou politistes n’avancent que depuis peu sur une prise en compte globale des bouleversements qu’elle implique.<br />
En 2011, Eli Pariser ouvre une brèche avec <em>The Filter Bubble — What The Internet is Hiding from you</em> (« Les bulles filtrantes : ce qu’internet vous cache ») : une bulle filtrante, c’est ce que créent les algorithmes de Google ou facebook en personnalisant les résultats en ligne, isolant ainsi des groupes fondés sur les mêmes préoccupations, idées ou croyances.<br />
En 2019, Jérôme Fourquet fait paraître <em>L’archipel français — une nation multiple et divisée</em> : les groupes sociaux, comme les îles d’un archipel, y vivent désormais à distance les uns des autres.<br />
En 2021, Pierre Rosanvallon publie <em>Les Épreuves de la vie — comprendre autrement les Français</em> : les mouvements sociaux ne sont plus éclairés par les structures globales de la société, il faut les penser en termes d’épreuves, telles que harcèlement, violences sexuelles, manipulation, mépris, injustice, discrimination, pannes de l’existence…<br />
Cette prise en compte ne fait que commencer. Je m’interroge même : les travaux de Fourquet et Rosanvallon, en quête d’un nouveau paradigme des liens et des ruptures sociales, ne sont-ils pas d’abord un aveu d’échec, notre échec à comprendre les nouvelles structures de classes (mais aussi de classes à l’échelle internationale, de sexes, etc.) d’une société en constant tsunami ? Leur limite est d’ailleurs d’être centrés sur un seul pays, une analyse franco-française ne permettant pas de comprendre des phénomènes de portée à l’évidence mondiale.</p>
<h3>Homo communicans</h3>
<p>Un des éléments qui a bouleversé nos vies, et qui résulte des cinq révolutions citées en préambule, est assez trivial pour que nous puissions l’oublier : notre connexion permanente nous donne à l’instant accès à toute information ou croyance… et nous permet de transmettre à l’instant toute information ou croyance.<br />
Notre interaction avec le monde est devenue <em>immédiate</em> aux deux sens du mot : instantanée, et ne nécessitant aucun média. <em>Homo communicans</em> se met en relation instantanée et sans intermédiaire avec le monde.<br />
Lors des débuts d’internet et plus encore du web 2.0, une vague d’enthousiasme nous promettait un paradis démocratique, puisque la parole, enfin, allait devenir libre, échappant au contrôle des puissants. C’est peu dire qu’il a fallu déchanter.<br />
Des puissants se sont empressés de reprendre le contrôle, nous enfermant dans nos bulles filtrantes, accaparant journaux ou chaînes de télévision (France-Soir, CNews...), payant des sociétés dédiées (Cambridge Analytica...), tordant cette parole, fabriquant des « faits alternatifs », des « post-vérités » et des charlatans qui prospèrent sur elles : Trump, Bolsonaro, Zemmour…<br />
Plus profondément, cette parole supposée sans contrôle échappe à tout critère de légitimité. Pouvant imaginer, dupliquer sans recouper, reposer sur l'amalgame et l'approximation, elle n'offre aucune prise à la contestation. Pire, le journalisme éthique ou la science, qui eux respectent ces critères, deviennent en cela même suspects : longuement formés à produire du vérifiable, donc du contestable, ils perpétueraient la parole d’une élite. Devant le tribunal de facebook, la voix de Jean Foutre a le même poids que celle de tous les experts du GIEC réunis. Autant ce serait louable quant à la citoyenneté, autant c’est un désastre quant à l’intelligence du monde.<br />
Un nouvel ignorantisme triomphe.</p>
<h3>Uniformisation et schismes</h3>
<p>Nous pouvions rêver, encore, à un grandiose colloque universel, que la révolution de l’immédiateté devait nous offrir. Par-dessus les élites et les frontières, pouvait émerger une pensée de convergences, orientée vers la compréhension mutuelle et le bien-être commun…<br />
Las, l’uniformisation d’un village planétaire devenu <em>immédiat</em>, c’est celle du mode de vie et des modes. Aux quatre coins du monde, nous déambulons dans les mêmes centres commerciaux, habillés des mêmes jeans H&M, buvant le même Coca dans les mêmes McDo, regardant les mêmes séries sur Netflix… L’immédiateté du monde, c’est l’acculturation.<br />
Or, plus nous nous coulons dans ce moule unique, plus nous nous recroquevillons sur nous-mêmes. Plus <em>Communicans</em> a des moyens sophistiqués pour communiquer, plus il restreint le champ de ceux avec lesquels il communique, moins il parle à cette société en modèle réduit qu’est son village ou sa rue : pourquoi le faire, il est si doux et facile de ne communiquer qu’avec ceux de sa <em>bulle filtrante</em>, de son <em>île</em>, dont on partage les <em>épreuves</em>, sans éprouver le besoin de « se contrôler »…<br />
Paradoxalement, l’archétype du mutant qu’est « <em>Communicans</em> » ne « communique » plus (<em>communicare</em> : « rendre commun », partager) : il ne parle plus à ceux qu’il côtoie, ne parle plus aux autres, il parle, seul devant son écran, aux <em>mêmes</em>, ceux de sa secte, rumine avec eux ses dogmes, sans qu’importe leur rapport à la réalité.<br />
Alors ces chapelles, de la cause qui les fondent, louable ou odieuse, peu en chaut : djihad, véganisme, évangélisme, « pro-vie », black bloc, masculinisme, antimasque, antivax ou antipass, suprémacisme, anti-loup, « néo-féminisme », intégrisme… Peu ou prou, toutes actionnent les mêmes ressorts, jusqu’à la haine et ses certitudes. Radicales ? Ce n’est pas le problème, la radicalité n’est en elle-même ni un bien ni un mal. Le problème, c’est le rejet de ceux qui sont différents, de ceux qui pensent différemment. Certes, certaines sont fanatiques, pire, meurtrières, d’autres pas — ou pas encore.</p>
<p>Dans ce tableau, il y a peu matière à optimisme. On voit mal ce qui pour l’instant pourrait gripper la désocialisation en cours. Comment croire que les actions et les politiques contre la haine en ligne ou le complotisme briseront l’inculture de l’immédiat ?<br />
Du moins chacun de nous pourrait-il s’interroger et réagir, en ouvrant les yeux sur ceux que nous croisons et sur leur différence, et en apprenant à parler à ceux qui ne parlent pas comme nous ? Ce qui se partage est légitime, ce qui nous enferme cesse de l’être.</p>Arrêtez le massacre !urn:md5:ededd048cdf301ab56ccc46e890126862021-09-07T16:15:00+02:002021-09-12T01:24:51+02:00Dominique SarrChronique<p>La signature de la paix entre les FARC et le gouvernement de Juan Manuel Santos en septembre 2016 a fait naître beaucoup d’espoirs. Après les 70 ans de la <em>Violencia</em> puis du <em>Conflicto armado</em>, qui ont fait de l’ordre de 600 000 morts et 7 millions de déplacés, la Colombie allait-elle enfin connaître la paix ?</p> <p>Cinq ans après, la réponse est non. Certes les conflits résiduels tuent moins que le covid (125 000 morts au 06/09, pour 50 millions d’habitants), mais la litanie des victimes de groupes armés continue.</p>
<h3>Les chiffres</h3>
<p>— En 2020, 91 <em>massacres</em> ont fait entre 3 et 24 morts chacun, soit un total de 381 victimes. Les départements les plus endeuillés sont ceux d’Antioquia (Medellín) puis de Cauca (Cali). Au 30 août, le bilan de 2021 est de 68 massacres, de 3 à 9 morts, pour un total provisoire de 247 victimes.<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Arr%C3%AAtez-le-massacre-%21#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup> D’une année sur l’autre, le nombre de victimes a donc augmenté, passant de 6,7 à 7,2 par semaine. Les victimes sont abattues froidement par des commandos pouvant être très mobiles, parfois en pleine ville.<br />
— En 2020, 386 <em>assassinats sociopolitiques individuels</em> ont été perpétrés, et 151 en 2021. Ici, en revanche, le nombre de victimes a baissé de 7,4 à 4,4 par semaine d’une année sur l’autre.<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Arr%C3%AAtez-le-massacre-%21#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup> Le département de loin le plus touché est celui de Cauca (Cali), suivi par ceux de Nariño (Pasto) et d’Antioquia (Medellín).<br />
Et nous ne parlons pas des cibles d’opérations militaires officielles (38 dissidents des FARC tués entre janvier et novembre 2020), des morts au cours de la grève nationale de cette année (80 recensés par l’Indepaz), des disparus, des blessés, des viols de mineures ou abus sexuels (pour lesquels pas moins de 118 militaires ou ex-militaires sont actuellement mis en cause<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Arr%C3%AAtez-le-massacre-%21#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup>), des milliers de déplacés…<br />
La JEP (Juridiction spéciale de paix, mise en place après la paix de 2016) indiquait fin janvier que le début de 2021 était la période la plus violente depuis la signature de la paix. La Colombie semble de nouveau sur une pente infernale.<br />
Essayons de comprendre…</p>
<h3>Qui sont les victimes ?</h3>
<p>Elles relèvent de plusieurs catégories :<br />
- Les <em>leaders communautaires et sociaux</em> sont les plus ciblés (310 assassinats en 2020, sans compter les massacres) : leaders syndicaux, communautaires (villageois, amérindiens, afrodescendants), défenseurs de l’environnement (64 tués en 2019, triste record mondial), défenseurs des droits humains… ;<br />
- Les <em>combattants démobilisés des FARC</em> payent ensuite un lourd tribut (249 assassinats entre la signature de la paix et novembre 2020, sans compter les massacres) ;<br />
- Les <em>membres ou soutiens de groupes illégaux</em>, victimes de leurs concurrents et de la lutte pour un territoire, comptent pour une part importante dans les massacres ;<br />
- Les <em>proches des leaders sociaux</em>, conjoints, enfants ou autres sont eux-mêmes des cibles (12 en 2020), degré supplémentaire dans la barbarie.</p>
<h3>Qui sont les tueurs ?</h3>
<p>La plupart du temps, ce sont les groupes armés illégaux qui sont à l’œuvre : dissidents des FARC, ELN (avec laquelle les pourparlers de paix ont été rompus par le gouvernement uribiste), ex-paramilitaires, dissidents de l’ancienne EPL, narcotrafiquants.<br />
Leur maillage est assez important pour donner lieu à une classification officielle<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Arr%C3%AAtez-le-massacre-%21#wiki-footnote-4" id="rev-wiki-footnote-4">4</a>]</sup> :<br />
- Les <em>Groupes armés organisés</em> sont les plus importants (Clan del Golfo{qui agrège autour d’anciens paramilitaires des AGC, de purs narcotrafiquants et d’anciens guérilleros des EPL<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Arr%C3%AAtez-le-massacre-%21#wiki-footnote-5" id="rev-wiki-footnote-5">5</a>]</sup>}, ELN, dissidence EPL) :<br />
- Les <em>Groupes délinquants organisés</em>, narcotrafiquants ou hommes de main, présents plus localement ;<br />
- Les <em>Groupes armés organisés résiduels</em> sont ceux des guérilleros des FARC qui ont refusé la paix, ou ont depuis rejoint la dissidence, considérant que ses termes n’étaient pas respectés par le gouvernement.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/Carte-groupes-armes.jpg" alt="Groupes armés en Colombie - Le Grand Continent" title="Groupes armés en Colombie - Le Grand Continent" /><br />
Par ailleurs, l’armée colombienne est responsable de bavures (comme le bombardement d’un camp de dissidents ayant tué au moins une mineure à Calamar{Guaviare}) et d’assassinats délibérés : entre 2002 et 2008, elle a ainsi exécuté au moins 6 402 civils (les « faux positifs », que les militaires présentaient comme guérilleros, pour faire monter les statistiques ou… gagner des jours de permission<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Arr%C3%AAtez-le-massacre-%21#wiki-footnote-6" id="rev-wiki-footnote-6">6</a>]</sup>). Le commando qui a exécuté Jovenel Moïse à Port-au-Prince était composé de 26 ex-militaires colombiens sur 28 assaillants. Ceci en dit long sur la nature de la formation reçue par les militaires…</p>
<h3>Pourquoi ?</h3>
<p>Historiquement, ces groupes armés étaient pour les uns politiques (guérillas contre paramilitaires), pour les autres délinquants (narcotrafic). Aujourd’hui, ce qu’il en reste vit de la culture et du trafic de drogue, des mines illégales, ainsi que d’extorsions et de coupes forestières. Le crédit accordé aux prétextes idéologiques dont certains groupes se parent est limité.<br />
Les différents groupes s’allient ou se combattent pour des territoires au gré de leur intérêt du moment. En ce moment, des milliers de paysans et d’indigènes du Choco (Pacifique), mais aussi ailleurs (Antioquia), pris sous des feux croisés, sont contraints de quitter leur terre.<br />
Les leaders communautaires ou sociaux sont des cibles parce qu’ils gênent, et ils gênent principalement les trafiquants. Ceux-ci n’ont pas d’états d’âme : concurrent, villageois voulant vivre en paix ou refusant de céder son champ pour la culture de la coca, protestataire contre les exactions, peu importe, on l’abat, pour que lui-même, mais aussi les autres se taisent.<br />
Le cas des ex-combattants des FARC, abattus froidement alors qu’ils sont désarmés, est particulier. Selon la JEP, 57 % de ces assassinats sont le fait de groupes armés pour torpiller les projets politiques ou économiques dans lesquels les ex-combattants sont impliqués, susceptibles de gêner leur activité ; et 36 % celui de dissidents afin de maintenir le pouvoir qu’ils avaient conquis sur leurs zones<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Arr%C3%AAtez-le-massacre-%21#wiki-footnote-7" id="rev-wiki-footnote-7">7</a>]</sup>.<br />
<br />
Face à ces massacres, malgré les déclarations officielles, l’État est dépassé, soit faute de réelle volonté politique, soit du fait des relations passées ou présentes entre d’anciens paramilitaires et certains politiques, soit parce que les revenus colossaux de la drogue rendent les fonctionnaires aux salaires seulement « normaux » impuissants, démotivés ou corrompus… La seule différence avec la France ou les États-Unis est à cet égard que les groupes armés ont de fait pris la place de l’État sur des portions non négligeables du territoire.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Arr%C3%AAtez-le-massacre-%21#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Chiffres de l’<a href="http://www.indepaz.org.co/informe-de-masacres-en-colombia-durante-el-2020-2021" title="Indepaz">Indepaz</a> (Institut d’études pour le développement et la paix).</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Arr%C3%AAtez-le-massacre-%21#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] <a href="http://www.indepaz.org.co/lideres-sociales-y-defensores-de-derechos-humanos-asesinados-en-2021" title="Indepaz">Indepaz</a>.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Arr%C3%AAtez-le-massacre-%21#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] « <a href="https://www.elcolombiano.com/colombia/paz-y-derechos-humanos/ejercito-de-colombia-confirma-mas-de-100-investigaciones-por-abusos-sexuales-contra-menores-de-edad-OE13246392" title="118 soldados del Ejército estarían involucrados en supuestos abusos sexuales contra menores de edad">118 soldados del Ejército estarían involucrados en supuestos abusos sexuales contra menores de edad</a>», <em>El Colombiano</em>, 01/07/2020</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Arr%C3%AAtez-le-massacre-%21#rev-wiki-footnote-4" id="wiki-footnote-4">4</a>] Voir leur <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Bandas_y_grupos_emergentes_en_Colombia" title="tableau">tableau</a> dans Wikipédia en espagnol</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Arr%C3%AAtez-le-massacre-%21#rev-wiki-footnote-5" id="wiki-footnote-5">5</a>] « Autodefensas Gaitanistas de Colombia (AGC) o Clan del Golfo », Crimen organizado y saboteadores armados en tiempos de transición, FIP, 2017</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Arr%C3%AAtez-le-massacre-%21#rev-wiki-footnote-6" id="wiki-footnote-6">6</a>] « <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/22/pour-le-tribunal-de-la-paix-6-402-civils-ont-ete-assassines-par-l-armee-colombienne-entre-2002-et-2008_6070759_3210.html" title="Pour le tribunal de la paix, 6 402 civils ont été assassinés par l’armée colombienne entre 2002 et 2008">Pour le tribunal de la paix, 6 402 civils ont été assassinés par l’armée colombienne entre 2002 et 2008</a> », <em>Le Monde</em>, 22/02/2021</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Arr%C3%AAtez-le-massacre-%21#rev-wiki-footnote-7" id="wiki-footnote-7">7</a>] « <a href="https://www.elcolombiano.com/colombia/paz-y-derechos-humanos/jep-afirma-que-homicidios-de-excombatientes-de-farc-si-son-sistematicos-BA14146250" title="Homicidios de exFarc sí son sistemáticos y tienen patrones: JEP">Homicidios de exFarc sí son sistemáticos y tienen patrones: JEP</a>, <em>El Colombiano</em>, 25/11/2020 »</p></div>
Quand est-ce qu’on mange ?urn:md5:4b6f1ed3d099c0fd255405e3efeece212021-08-03T04:28:00+02:002021-08-20T00:00:50+02:00Dominique SarrChronique<p>Ayant vécu dans différents pays, je suis accoutumé à ce que les habitudes alimentaires soient partout différentes. Mais lorsque je fais incidemment une remarque sur un horaire de repas ou l’accompagnement d’un plat, il m’arrive de voir mon interlocuteur… estomaqué. Petite ethnographie des habitudes alimentaires colombiennes.</p> <p>Certes, ce qui suit ne prétend pas à la généralité. Vaste comme deux fois la France, la Colombie comporte des régions différentes à l’extrême, une kyrielle d’ethnies (80 pour les seuls Amérindiens) et des classes sociales aux antipodes les unes des autres. Aussi ne sais-je parler, et encore avec la plus grande prudence, que d’une tendance au quotidien dans l’alimentation des classes urbaines moyennes ou pauvres et pas trop américanisées…<br />
La journée colombienne commence le plus souvent par un simple <em>tinto</em> (« coloré » : café) au réveil, soit autour de 5 h 30 quand il y a des enfants d’âge scolaire.<br /></p>
<h3>Petit-déjeuner</h3>
<p><img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/IMG_20170514_072957-opt.jpg" alt="Petit-déjeuner de fête des mères..." title="Petit-déjeuner de fête des mères..." /><br />
Le <em>desayuno</em> (petit-déjeuner), occasion d’un second <em>tinto</em> (ou d’un <em>perico</em><sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Quand-est-ce-qu%E2%80%99on-mange-#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup> (café au lait) ou encore d’un chocolat), n’interviendra que plus tard, entre 8 et 10 heures. À la maison, il peut être composé suivant la région et le jour d’une <em>arepa</em> (galette de maïs) ou de plantain, de manioc ou de pomme de terre, bouillis, avec des œufs brouillés ou du fromage, mais aussi du boudin avec du riz... Ce peut encore être un <em>sanguche</em> (forme latino de sandwich…) de fromage et jambon (enfin cette chose carrée et insipide qu’on appelle jambon et dont je n’ose imaginer ni la fabrication ni les additifs) lorsqu’il faut le faire à l’avance, comme au départ des enfants pour l’école ou le collège à 6 h 30. Dans un restaurant populaire, il peut s'agir d'un bouillon, un <em>sancocho</em> (pot-au-feu), des travers de porc, des <em>frijoles</em> (haricots rouges), accompagnés d’arepas et/ou de riz.<br /></p>
<h3>Déjeuner</h3>
<p><img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/IMG_20170812_125323-repas_equilibre-opt.jpg" alt="Menu (ici excellent et équilibré) d’un restaurant populaire : crème de courgette, porc ''a la plancha'', riz blanc, ''frijoles'', salade, jus de goyave – prix : environ 2 euros" title="Menu (ici excellent et équilibré) d’un restaurant populaire : crème de courgette, porc a la plancha, riz blanc, frijoles, salade, jus de goyave – prix : environ 2 euros" /><br />
L’<em>almuerzo</em> (déjeuner) se prend à un horaire très variable selon la faim et les contraintes : entre 11 h et 15 h. Le menu populaire est peu varié : poulet (qui en Colombie naît congelé), porc (dont le <em>chicharrón</em> : lard frit), bœuf, poisson blanc (vous ne saurez pas lequel avant de manger, et encore), et c’est à peu près tout. Avec guère plus de préparations, interchangeables : <em>a la plancha</em> (grillé), <em>sudado</em> (à l’étouffée), <em>guisado</em> (en ragoût), en <em>milanesa</em> (pané). Eh oui : pintade, lapin, dinde, veau, agneau, mouton, etc. sont in-trou-va-bles en Colombie, tout comme le <em>chivo</em> (chevreau) en dehors de la région très amérindienne de la Guajira, dont c’est le succulent plat régional… L’accompagnement varie peu : riz blanc (ou parfois à la noix de coco), grain (le plus souvent des <em>frijoles</em> : haricots rouges), plantain, salade composée et souvent avocat. Mais ce peut aussi être riz <strong><em>et</em></strong> pâtes <strong><em>et</em></strong> pommes de terre… À part une <em>sopita</em> (petite soupe) en entrée, c’est un plat unique. J’oubliais l’<em>arepa</em>, le plus souvent immangeable à Medellín, parfois excellente sur la côte<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Quand-est-ce-qu%E2%80%99on-mange-#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>.<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/IMG_20170822_080752-opt.jpg" alt="''Almuerzo'' des cueilleurs de cerises de café dans une exploitation de « l’axe du café » ; au second plan, les plantations." title="Almuerzo des cueilleurs de cerises de café dans une exploitation de « l’axe du café » ; au second plan, les plantations." /><br />
Ce <em>sopa y seco</em> (soupe et plat sec) peut être remplacé par de copieux <em>sancocho</em> ou <em>mondongo</em> (« boyaux » : soupe de tripes), surtout les dimanches et jours de fête, ou encore par un poisson fin (truite, bar, poisson-chat, etc.)<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Quand-est-ce-qu%E2%80%99on-mange-#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup>, suivi ou non d’un <em>postre</em> (dessert) : <em>tres leches</em> (« trois laits » : biscuit avec du lait, de la crème et du lait concentré), <em>mazamorra</em> (à base de maïs bouilli et de lait), mousse de citron, etc. Quant à la boisson, c’est un jus de fruits frais (en réalité nectar) : mûre, <em>tomate de árbol</em> (tamarillo), <em>lulo</em> (narangille), fruit de la passion, goyave, tamarin et ananas en sont les délicieuses vedettes sur les tables populaires. Les pauvres et les restaurants bon marché se contentent souvent d’<em>aguapanela</em> (eau de pain de vesou, issu de la canne à sucre) ou de <em>claro</em> (eau de cuisson du maïs additionnée de lait et de sucre).<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/20210815_131150-Mondongo-opt.jpg" alt="''Sancocho'' dominical à Medellín : bœuf, poulet, os de porc, manioc, plantain, pomme de terre, ''mazorka'' (épi de maïs), légumes ; et son accompagnement : riz blanc, avocat, ''arepa'', salade composée, banane crue – prix : environ 3,3 euros" title="''Sancocho'' dominical à Medellín : bœuf, poulet, os de porc, manioc, plantain, pomme de terre, ''mazorka'' (épi de maïs), légumes ; et son accompagnement : riz blanc, avocat, arepa, salade composée, banane crue ; jus d'ananas – prix : environ 3,3 euros" /><br />
Les enfants prennent souvent dans l’après-midi une <em>merienda</em> (goûter). Comme à toute autre heure du jour, celle-ci fait la part belle au poison des innombrables sachets industriels trop gras et trop sucrés ou trop salés, et des boissons gazeuses non moins sucrées.<br /></p>
<h3>Dîner</h3>
<p>Enfin la <em>cena</em> (dîner), prise autour de 19 ou 20 h, est un repas très léger (dont certaines familles font purement et simplement l’économie), souvent composé d’œufs, de saucisse ou de <em>chorizo</em><sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Quand-est-ce-qu%E2%80%99on-mange-#wiki-footnote-4" id="rev-wiki-footnote-4">4</a>]</sup> (aussi insipides et cancérigènes que le jambon) accompagnés d’<em>arepas</em>, ou de plantain et de fromage frits, ou de <em>bollo</em> (pâte de maïs bouillie dans une feuille, agrémenté ou non de fromage). Le jus de fruit maison reste roi, même s’il peut alors inclure le chocolat instantané ou le lait d’avoine. À part la restauration « de loisir » et les <em>comidas rápidas</em> (repas rapide), les restaurants limitent leur service au petit-déjeuner et au déjeuner, mais ce dîner plus que sommaire est souvent pris dans la rue sous forme de <em>frito</em> (tout ce qui est frit avec une pâte enrobant une garniture : <em>empanada</em> de viande, <em>pastel</em> de poulet, <em>panzerotti</em>, etc.).<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/20161008_101239-mais-tacos-empanadas-opt.jpg" alt="Fritos : ''tacos, empanadas, pastels'' en vitrine d’une cafeteria de Bogotá." title="Fritos : tacos, empanadas, pastel en vitrine d’une cafeteria de Bogotá." /><br />
On mange d’ailleurs peu chez soi le samedi soir et le dimanche soir : certaines places, comme le Parque Boston à Medellín) et rues (comme la grand-rue de San Javier) se couvrent de cuisines roulantes proposant <em>chorizos</em>, brochettes, pizzas, <em>salchipapas</em> (frites et tranches de saucisse), <em>arepas</em> garnies, <em>patacones</em> (tranches de plantain écrasées et frites deux fois), etc., mais aussi de jeux d’enfants, trampolines, manèges… pour le bonheur des familles. C’est même le seul cas où on est à peu près sûr de voir la famille réunie pour manger, puisqu’à la maison, la mère (ben oui, quoi, la mère) doit souvent se prêter aux horaires de faim ou de caprice de chacun.<br /></p>
<h3>L’alcool<br /></h3>
<p>Alors, ne boit-on pas d’alcool en Colombie ? Oh que si ! Mais pas pendant les repas. Et en quantité, au point que la « loi sèche » doit être décrétée pour les week-ends d’élection ou les pics pandémiques. Les alcools étrangers, surtaxés, sont hors de prix : on boit rarement du vin. Le Buchanan fait exception, considéré comme le summum des whiskies et le signe extérieur de richesse majeur (et menteur). En général, la bière fait l’affaire : on empile donc les cadavres de bière courante (bof bof) ou de bière light (imbuvable). Dans l’ordre ascendant, l’Andina, la ClubColombia, déclinée en 3 « couleurs », la Corona sont meilleures. Certaines bières artisanales valent leur prix, largement plus conséquent, d’autres pas. L’<em>aguardiente</em> (eau-de-vie de canne fortement parfumée à l’anis) et les rhums locaux (Medellín, Caldas…), presque toujours bruns, un peu plus onéreux, sont bus en <em>trago</em> (« coup ») lors les fêtes, dans un petit verre qu’on se repasse et qu’on boit cul sec jusqu’à épuisement de l’alcool, et parfois des buveurs. On le boit en alternant alcool et <em>pasante</em> (eau gazeuse, boisson sucrée, etc. qui le fait donc « passer »).<br />
<img src="http://www.carnetsdexil.com?post/carnetsdexil/public/IMG_20170225_225101-Yolima-opt.jpg" alt="Petite bringue lors du carnaval de Barranquilla. Les bouteilles de bière sont bien celles de la fonda (bar musical), mais l’eau minérale de la bouteille a été remplacée avant d’entrer par de l’aguardiente, achetée à la boutique, bien moins chère que que la fonda." title="Petite bringue lors du carnaval de Barranquilla. Les bouteilles de bière sont bien celles de la fonda (bar musical), mais l’eau minérale de la bouteille a été remplacée avant d’entrer par de l’aguardiente, achetée à la boutique, bien moins chère que la fonda." /><br />
Il y aurait à boire et à manger dans les qualités et les défauts de l’alimentation colombienne, sur les plans gastronomique, nutritif, sanitaire, voire sur le tissu agro-industriel qui la produit. Mais je sens que vous frisez l’indigestion : ce sera pour une autre fois.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Quand-est-ce-qu%E2%80%99on-mange-#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Le terme de <em>perico</em> est l’objet de plaisanteries, car il désigne aussi un homosexuel en argot colombien.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Quand-est-ce-qu%E2%80%99on-mange-#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] L’<em>arepa paisa</em> (grande région de Medellín), froide et à moitié crue, ne comporte ni sel, ni fromage. L’<em>arepa costeña</em> (de la côte), poêlée ou frite, se mange chaude et contient du fromage.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Quand-est-ce-qu%E2%80%99on-mange-#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] Je ne cite pas la <em>bandeja paisa</em> (plateau paisa), pseudo-spécialité de la région de Medellín. C'est un <em>seco</em> de création récente, dont la particularité est juste de comporter 5 <em>viandes</em> : bœuf haché, <em>chorizo</em>, <em>chicharrón</em>, boudin et œuf, </p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Quand-est-ce-qu%E2%80%99on-mange-#rev-wiki-footnote-4" id="wiki-footnote-4">4</a>] Rien à voir hélas avec le chorizo espagnol.</p></div>
Colombie : le tournant ?urn:md5:4d541b0fe240b97cdf0dd8d409d7ebf22021-06-03T02:13:00+02:002022-03-15T14:34:33+01:00Dominique SarrChronique<p>Depuis le 28 avril, la Colombie connaît une révolte d’ampleur inégalée. Plusieurs indices montrent que le pays change profondément et conduisent à se demander s’il n’entre pas dans une nouvelle étape de son histoire.</p> <h3>L’histoire récente</h3>
<p>La Colombie est le seul pays d’Amérique latine à n’avoir jamais basculé à gauche. Depuis l’indépendance, la lutte pour le pouvoir se circonscrivait à un combat entre libéraux et conservateurs émaillé de guerres civiles. C’est l’assassinat du leader libéral Jorge Eliécer Gaitán en 1948 qui a sonné l’ouverture de la période de <em><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Violencia">La Violencia</a></em>, jusque vers 1970, puis de celle du <em><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Conflit_arm%C3%A9_colombien">Conflicto armado</a></em> ensuite.<br />
En 2002, Álvaro Uribe, ex-libéral, fait sa campagne présidentielle sur la lutte à mort contre les guérillas. Joli coup ! Il est élu au premier tour, puis réélu en 2006, et tient parole : en liaison avec des paramilitaires bien plus violents que les guérilleros et souvent narcotrafiquants<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Colombie-%3A-le-tournant-#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>, il « fait du chiffre » : l’armée élimine des rebelles supposés, dont beaucoup de <em><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Scandale_des_faux_positifs">faux positifs</a></em> : des civils maquillés en combattants après leur mort. Depuis 2010, il est faiseur de rois : d’abord Juan Manuel Santos, son ex-ministre de l’Intérieur, qui comprend que cette politique ne mène à rien et commet alors le crime absolu de signer la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Processus_de_paix_entre_le_gouvernement_colombien_et_les_FARC-EP">paix avec les FARC</a><sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Colombie-%3A-le-tournant-#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>, puis Iván Duque en 2018, celui-ci se montrant assez inconsistant et habile à courber l’échine pour que les Colombiens le baptisent <em>el títere</em> (« le pantin »).<br />
Il faut rappeler que la Colombie est le pays le plus inégalitaire d’Amérique latine après le Brésil — sauf durant les présidences parallèles de Lula et d’Uribe, où ces positions se sont inversées…<br />
Si un parlement miné par le clientélisme, le népotisme et la corruption ne joue guère son rôle, la Cour suprême est le seul véritable contre-pouvoir, tendant au moins à conformer la loi à la réalité sociétale, comme sur l’euthanasie, le mariage homosexuel, ou appelant la vice-présidente conservatrice au respect du… « principe de laïcité ».<br />
La politique de droite extrême menée par les uribistes d’un « Centre démocratique », qui n’est ni centriste ni démocratique, suscite depuis des années des mouvements de protestation de plus en plus importants. Des grèves d’étudiants ou d’enseignants de longue durée, des grèves nationales, des <em>mingas</em><sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Colombie-%3A-le-tournant-#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup> amérindiennes ont déjà eu lieu, faisant les unes et les autres figure de répétition générale des événements actuels.<br /></p>
<h3>Une situation inédite</h3>
<p>Jamais elles n’avaient pourtant pris le caractère préinsurrectionnel que nous voyons à ceux-ci, où on n’hésite pas à exiger la démission du <em>títere</em>. Malgré le retrait de la réforme fiscale idiote qui les a fait exploser (comment peut-on vouloir augmenter la TVA sur les produits de première nécessité face à une population étranglée par les conséquences de la pandémie !), malgré le dialogue national auquel le pouvoir uribiste a été contraint, le mouvement prospère. Façon de parler, alors que des routes sont bloquées, que les rayons des magasins se vident, que les transports et la circulation sont chaotiques, et qu’une répression indigne a fait au moins 59 morts et 123 disparus au 31 mai.<br />
Les Colombiens d’aujourd’hui, malgré la haine pavlovienne des rouges qu’Uribe s’emploie depuis 20 ans à entretenir sans craindre d’écrire l’Histoire en la dénaturant<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Colombie-%3A-le-tournant-#wiki-footnote-4" id="rev-wiki-footnote-4">4</a>]</sup>, malgré la pression des évangéliques et des secteurs ultraconservateurs du catholicisme, ne semblent plus prêts à tout accepter avec un sourire forcé comme le faisaient leurs parents.<br />
Dans cette situation, le mouvement indigène<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Colombie-%3A-le-tournant-#wiki-footnote-5" id="rev-wiki-footnote-5">5</a>]</sup> a franchi une nouvelle étape. Le « réveil amérindien » (<em>emergencia indígena</em>) n’est pas nouveau, il a pris racine dès les années 1970, obligeant les États latinos à engager bon gré mal gré des politiques de reconnaissance et de respect des minorités. Ce réveil est à la fois démographique et culturel<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Colombie-%3A-le-tournant-#wiki-footnote-6" id="rev-wiki-footnote-6">6</a>]</sup>. Entre les recensements de 2005 et 2018, la proportion des personnes se déclarant amérindiennes s’est accrue de 36,8 %. Dans le même temps, celle des personnes se déclarant afrocolombiennes a baissé de 30,8 %. On est à nouveau fier d’être amérindien, on vit de plus en plus mal le fait d’être victime du racisme contre les Noirs. Et la <em>minga</em> de 2021, constamment pacifique, converge avec le mouvement social.<br />
Enfin, la colère actuelle semble trouver une expression politique. Fait inouï, les sondages récents pour les présidentielles de 2022 donnent une large avance au candidat potentiel de gauche, Gustavo Petro (24,9 %), devant un candidat de centre gauche souvent allié aux verts, Sergio Fajardo (16,9 %), la vice-présidente conservatrice Marta Lucía Ramírez étant largement distancée (6,9 %)<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Colombie-%3A-le-tournant-#wiki-footnote-7" id="rev-wiki-footnote-7">7</a>]</sup>. Certes, rien ne dit qu’il sera élu, beaucoup de choses peuvent encore se passer en un an. Mais dans un pays où la présence de Petro au 2d tour en 2018 avait été saluée comme un exploit, cela semble en soi une petite révolution.<br />
Bogotá (plutôt à gauche depuis 2001), elle, a déjà franchi le pas, en portant à sa tête une femme, écologiste et lesbienne : Claudia López. Triple tremblement de terre !<br />
C’est peut-être ce que nous voyons se dérouler à l’échelle du pays : un tremblement de terre. La Colombie bouge dans les profondeurs. Serions-nous à l’aube de la fin de l’uribisme et d’une <em>emergencia colombiana </em>?</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Colombie-%3A-le-tournant-#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Uribe est poursuivi à divers titres pour cette coopération. Son frère Santiago est détenu depuis 2016 et en cours de jugement pour son implication directe dans le groupe paramilitaire des <em>Douze apôtres</em>.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Colombie-%3A-le-tournant-#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] Il recevra pour cela le Nobel de la paix.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Colombie-%3A-le-tournant-#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] Terme quechua désignant des travaux d’intérêt commun, puis toute action solidaire.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Colombie-%3A-le-tournant-#rev-wiki-footnote-4" id="wiki-footnote-4">4</a>] Quand Daniel Quintero, le maire de Medellín, a envisagé de faire venir des médecins cubains alors que l’épidémie échappait au contrôle, Uribe a poussé des cris d’orfraie.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Colombie-%3A-le-tournant-#rev-wiki-footnote-5" id="wiki-footnote-5">5</a>] En Amérique latine, c’est <em>indio</em> (« indien ») qui est péjoratif et <em>indígena</em> (« indigène ») qui — comme <em>negro</em> - est respectueux… Vérité en deçà des Pyrénées…</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Colombie-%3A-le-tournant-#rev-wiki-footnote-6" id="wiki-footnote-6">6</a>] La population amérindienne d’Amérique latine est estimée autour de 40 millions en 1500, 14 millions après un siècle de génocide, selon Colin Clark et 47 millions vers 2000 selon Francisco Lizcano.</p>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Colombie-%3A-le-tournant-#rev-wiki-footnote-7" id="wiki-footnote-7">7</a>] <a href="https://www.valoraanalitik.com/2021/04/27/petro-fajardo-y-gutierrez-lideran-encuesta-presidencial-a-2022/">Guarumo: Petro, Fajardo y Gutiérrez lideran encuesta presidencial a 2022</a>.</p></div>
Dans la famille …, je demande le pèreurn:md5:ed30128cacda29f7e3e6ed4c2dd43efb2021-05-03T11:58:00+02:002021-05-06T02:43:03+02:00Dominique SarrChronique<p><em>Le sang des femmes qui sont mortes sans un rêve…</em><br />
Léo Ferré, <em>À toi</em>, 1969<br />
<br />
Pour comprendre ce qui suit, il faut imaginer une maison colombienne (voire latino). Quand elle n’est ni building ni individuelle, une maison de ville ou de village occupe entièrement les quelque 100 ou 150 m2 de sa parcelle. À part une façade parfois étroite, elle n’est souvent aérée et éclairée que par les patios qui la percent de haut en bas : chaque appartement des 2, 3, 4… étages a le sien, réduisant les surfaces quand on monte dans les étages, et la luminosité quand on les descend.</p> <p>Principal inconvénient, ces percées (qui ne permettent pas de voir les autres appartements) sont aussi des puits sonores, chacun bénéficiant allègrement du niveau sonore de ses voisins : discussions, cuisine, <em>blender</em> (utilisé pour le jus de fruits de chaque repas — son absence est le meilleur indicateur du seuil de la misère), chasse d’eau, ébats (cris, gémissements, coups de boutoir…), ronflements, visioconférences durant la pandémie…<br />
<br />
Voici les occupants d’une maison comme une autre, située dans un quartier autrefois populaire de Medellín, que l’arrivée du métro il y a 25 ans a fait évoluer vers la classe moyenne, prix obligent.<br />
Au 3e demi-étage (le 4e selon la terminologie espagnole), habite, seule, la propriétaire âgée de l’immeuble, vivant des loyers des autres appartements. Qu’est devenu son mari, père sans doute de ses (grands) enfants ? Mort ou loin, mystère.<br />
Au 2e, au fond, habite sa fille, qui travaille, et vit seule avec son chien. C’est bien la seule de la maison dont les voisins ne connaissent pour ainsi dire pas la voix.<br />
Au 2e, sur la rue — insigne privilège d’un balcon —, ont récemment emménagé une mère, sa fille et leur chien. Elles reçoivent de temps à autre un homme qui pourrait être un cousin ou un ami. La mère travaille plus ou moins régulièrement, la fille, quotidiennement, dans d'interminables heures de visioconférence. Qu’est devenu le père : mystère…<br />
Au 1er, au fond, une fillette pleine de vie de 2 ans, son père, sa grand-mère, un copain du père et leur chat. Ah ! Il y a un père ! Ici, c’est la mère qui fait défaut : elle est partie quand sa fille avait 5 mois. La grand-mère travaille dans un restaurant, elle se lève à 6 h, puis part pour rentrer vers 14 h. Le père, lui, travaille de la fin d’après-midi à une heure du matin, puis cuisine, regarde la télé ou reçoit sa copine jusqu’à 4 h. Ils sont en instance de départ, virés pour cause de bruit, de jour comme de nuit.<br />
Au 1er, sur la rue, deux sœurs, qui peuvent avoir une bonne cinquantaine. Ce sont les seules à avoir racheté leur appartement. De quoi vivent-elles ? Difficile à dire. Leur seul contact avec les hommes semble être de recevoir parfois un prédicateur à la voix de crécelle et d’écouter des sermons radiophoniques et masculins (ceci quotidiennement lors de la <em>terreur</em> pandémique…).<br />
Au rez-de-chaussée, au fond, le plus grand appartement est celui d’un artiste, qui l’occupe seul (la vie est mal faite).<br />
Au rez-de-chaussée, sur la rue, dans le plus petit des appartements, vit la belle-fille de la propriétaire avec ses deux filles (la vie est vraiment mal faite), collégiennes, et un chien. Elle est séparée de leur père depuis 5 ans ; il est parti à Atlanta, où il travaille comme serveur. Les subsides qu’il envoie semblent la ressource principale de la famille.<br />
<br />
En résumé, 14 personnes, dont 6 femmes sans amoureux (ni amoureuse), 3 hommes sans amoureuse, sinon épisodique pour l’un d’entre eux (ni amoureux), 3 enfants, plus 3 chiens et un chat (qu’on prive d’amoureux ou d’amoureuses).<br />
Que conclure de ce tour d’horizon ? À lui seul, il n’a certes pas de valeur statistique, mais il est assez représentatif de ce qu’est une famille colombienne : on y trouve plus souvent un chien qu’un père, et quand il y a un père, il n’est pas rare que ce soit la mère qui manque… Beaucoup de femmes seules — sinon seules, du moins sans homme. N’ont-elles tout simplement pas confiance dans des hommes dont le sens des responsabilités, il est vrai, s’arrête souvent à la naissance ou la présence d’un enfant ?…<br />
Le taux de fertilité de la Colombie est de 1,81 enfant par femme<sup>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Dans-la-famille-%E2%80%A6%2C-je-demande-le-p%C3%A8re#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>. Encore est-il largement dû à des filles surprises à 15 ou 16 ans. Ce n’est pas non plus le summum de la responsabilité. Ce pays, qui a constamment la religion et sa morale à la bouche, ferait mieux d’apprendre la contraception et l'éthique à ses filles et à ses fils, et de pratiquer des avortements autrement que dans la clandestinité.<br />
La natalité et les familles ne s’en porteraient-elles, finalement et paradoxalement, pas mieux ?</p>
<div class="footnotes"><h4>Note</h4>
<p>[<a href="http://www.carnetsdexil.com?post/Dans-la-famille-%E2%80%A6%2C-je-demande-le-p%C3%A8re#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] En 1960, ce taux s’élevait à 6,74. Il est aujourd’hui plus faible qu’en France (1,88), et c’est le 5e le plus bas d’Amérique latine hors micro-États, après Cuba (1,62), le Chili (1,65), le Brésil (1,74) et le Costa Rica (1,75). Données <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SP.DYN.TFRT.IN?most_recent_value_desc=false&locations=CO-CU-CL-BR-CR-FR" title="Banque mondiale">Banque mondiale</a> 2018.</p></div>