Ça va mieux, mais en pire
Par Dominique Sarr le 04/09/2020, 10:00 - Chronique - Lien permanent
Décidément, alors qu’il y a un mois on voulait croire la partie gagnée en Europe, alors que le discours des autorités d’Amérique latine, mais aussi les statistiques du sous-continent, se montraient rassurantes ces derniers jours, les projections s’alourdissent inexorablement. C’est le cas de la Colombie, où on a passé le cap des 20 000 morts le 1er septembre, où on en projetait il y a un mois 33 509 pour le 1er novembre, mais où on pense aujourd’hui atteindre les 44 501 au 1er décembre, date à laquelle la facture continuerait à s’alourdir : le pire est à venir.*
Ça va mieux…
Ça va mieux, certes. Tant le gouvernement pour la Colombie que la mairie pour Medellín prévoyaient le pic épidémique pour la mi-août. Au sens strict, c’est confirmé, sachant que la définition épidémiologique du pic est le maximum d’occupation des lits et en particulier des lits de réanimation avec respirateur. À Medellín, celui-ci a été dépassé le 14 août avec 348 lits. Le maximum hebdomadaire de nouveaux cas avait lui été atteint dans la semaine du 5 août.** Pour le pic de décès, il a peut-être été atteint le 1er septembre, et ce décalage de 3 à 4 semaines entre l’apparition des symptômes et la mortalité subséquente correspondrait à la normale.
Il semble donc logique de voir le confinement en pratique levé : depuis le 31 août, on peut faire ses courses tous les jours et même manger au restaurant. Évidemment, après 165 jours de confinement, c’est un soulagement. Presque tous les commerces sont ouverts. Parcs, églises, cinémas, bars, casinos, boîtes de nuit… rouvriraient par étapes d’ici à décembre.
… mais en pire
Nous pourrions nous réjouir, si dans le même temps n’arrivaient des nouvelles alarmantes. D’abord cette réactivation est vue par beaucoup comme « tout est permis ». Les masques sont sur le menton, les distances n’ont jamais été respectées dans les queues — sous la totale indifférence des policiers en faction — mais elles sont maintenant plus nombreuses. Medellín et ses quartiers ont repris l’allure de ruche qui les caractérise, et cela fait autant peur que plaisir… Les statistiques ont immédiatement suivi : la chute des nouveaux cas, à peine amorcée le 12 août, a marqué le pas le 2 septembre, avec 208 cas par semaine pour 100 000 hab.**
Rien d’étonnant, finalement, à ce que les projections pour la Colombie se fassent plus pessimistes. La stabilisation constatée des décès ne devrait pas tenir plus d’une semaine désormais (date à laquelle la Colombie aura dépassé la France), et ceux-ci atteindraient des pics allant de 423 à 590 morts par jour, entre le 23 octobre et le 26 novembre selon les scénarios. Le cap des 1 000 m/Mh (morts par million d’habitants), s’il n’est pas dépassé au 1er décembre, le serait au cours du mois.*
Ces perspectives peu réjouissantes ne sont pas propres au pays. La Belgique et le Pérou sont appelés à se battre pour le record de mortalité, autour de 1 500 m/Mh (morts par million d’habitants), contre environ 900 aujourd’hui. Plus surprenants, ils seront talonnés dans cette course par les Pays-Bas, qui pourraient faire exploser à partir de novembre ces chiffres si une réaction forte n’y met pas un frein***. La France, qu’on croyait à l’abri, verrait elle-même le plafond de 450 m/Mh enfoncé et bondir à plus de 700. La plupart des pays devraient voir leur mortalité due au covid-19 multipliée par 1,4 à 3,9 d’ici à décembre et, à l’échelle mondiale, on s’oriente vers plus de 2 800 000 morts en janvier contre 915 000 au 4 septembre.*
Faute de la discipline de fer qu’ont su mettre en place certains pays d’Asie ou Cuba, on ne voit hélas pas ce qui pourrait endiguer le fléau avant la disponibilité d’un vaccin, courant 2021.
(*) Toutes les données par pays sont calculées à partir des valeurs pivots des projections moyennes de l’IHME de Seattle et des populations de populationdata.net.
(**) Données pour la municipalité de Medellín seule.
(***) Les Pays-Bas sont le pays présentant le plus d’incertitude, de 485 à 2 715 m/Mh au 1er décembre, pour les valeurs pivots des différents scénarios.