Alerte Amérique latine

À l’heure où, dans la plupart des pays d’Europe, la pandémie de covid-19 est enrayée sinon vaincue, celle-ci est désormais hors de contrôle dans plusieurs pays ou régions d’Amérique latine. Les chiffres de cas et de morts sont en progression plus ou moins accentuée, mais que valent ces chiffres ?

Ils sont partout sous-estimés, toujours faute de tests suffisants ; presque toujours parce que des malades taisent leur état, par peur des conséquences sociales ou par peur de devoir aller dans des hôpitaux qui sont les premiers lieux de contamination… et de décès ; parfois parce que des dirigeants font tout pour cacher la réalité. On peut avoir une idée du nombre de cas sachant que le taux de létalité est de l’ordre de 0,5 à 0,7 %… à condition que le nombre de morts corresponde à la réalité. Dans des pays aux structures sociales défaillantes, on ne connaît probablement que le dixième des cas, voire moins.
On parle en France beaucoup du Brésil, tristement devenu le 3e pays du monde quant à la mortalité absolue, et où la situation est gravissime dans plusieurs États de la fédération. On parle un peu du Pérou et du Mexique, où elle gonfle dangereusement. Pratiquement pas des autres pays.
Metro de Medellín, premiers jours de confinement
Metro de Medellín, deux mois plus tard
En Colombie, la situation est très contrastée : 8 des 32 départements ne sont pas ou peu touchés (pas de mort, et même aucun cas actif dans le Vaupés et le Guaviare amazoniens) ; 17 d’entre eux connaissent une mortalité faible (de 1 à 10 morts/million d’habitants), comme les régions de Medellín, Bucaramanga ou « l’axe caféier » andin ; on constate dans 7 autres une propagation alarmante de la contagion (de 10 à 80 morts/Mh), comme à Bogota, Cali et sur la côte caraïbe ; enfin la situation est catastrophique dans la région de Leticia, où la mortalité (860 morts/Mh) est supérieure à celle de n’importe quel pays européen, Royaume-Uni et Belgique compris. Faut-il en voir la raison dans la position frontalière de Leticia avec le Pérou et le Brésil ? La ville est en tout cas voisine de l’État brésilien d’Amazonas, second état brésilien pour le taux de contamination après l’Amapá. Et le département ne comptait pas un seul lit de soins intensifs…
Quai du metro, premiers jours de confinement.jpg
Quai du metro, deux mois plus tard
On peut trouver qu’après tout, cette exception montre que « la situation n’est pas si grave », comparée à l’Europe. Ce serait oublier deux choses.
Enterrement d'un chef de bande durant le confinement : "L'ours", on t'aime
D’abord que la dynamique est loin d’avoir atteint son pic. Il y avait en Colombie 100 nouveaux cas et 10 morts quotidiens à la mi-avril, 400 nouveaux cas et 15 morts début mai, 700 nouveaux cas et 25 morts début mai, plus de 1 500 nouveaux cas et de 40 morts début juin : en une semaine le nombre de décès a augmenté de 50 %. De ce point de vue, le département de Barranquilla (2,5 Mh) donne le plus d’inquiétude : dans la seule journée du 4 juin y sont apparus 646 nouveaux cas. Mécaniquement, une hécatombe est à attendre dans 2 à 4 semaines.
Ensuite que le pays a déjà grillé la carte du confinement. Celui-ci a débuté le 20 mars, il a été très sévère (sorties 1 jour sur 5 — selon la carte d’identité —, seul, uniquement pour des achats ou la banque, pas d’exercice extérieur…) et il est théoriquement prolongé, bien qu’allégé, jusqu’au 30 juin. Le problème est qu’il était impossible à respecter dans beaucoup de cas : bidonvilles, mal-logés, emplois informels (50 à 70 % de la population active selon l’OCDE* !), migrants vénézuéliens… Confinez un habitant des rues, une prostituée, un vendeur des 4 saisons : ils vous riront au nez en disant qu’ils ne savent pas s’ils mourront du virus demain, mais que leurs enfants doivent manger aujourd’hui — et pas 1 jour sur 5…
Queue à Medellín, le 4 juin
De fait aujourd’hui, si le port du masque est bien généralisé en zone urbaine (parfois sur le menton…), quasiment plus personne ne respecte ni le confinement, ni les distances sociales : les queues de 200 personnes dans lesquelles on se serre comme des anchois se sont déjà reformées. Le confinement ne porte plus que sur la fermeture des salles de bars, restaurants, salles de jeu (institution colombienne !) et sur l’absence de transports intermunicipaux et internationaux.
Nous allons donc au-devant de jours difficiles.

(*) Études économiques de l’OCDE, Colombie, janvier 2015

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