Covid et mathématiques

La lutte contre le covid est aujourd’hui un échec. À qui la faute ? On se demande vraiment pourquoi poser une telle question : Macron bien sûr, c’est la faute à Macron. Comme je voudrais essayer de réfléchir, ce n’est pas cette question que je vais me poser, mais celle-ci : à quoi la faute ?

Pour cela, il faut partir d’une donnée simple : la lutte contre le covid est-elle un échec ? Voici un extrait de la performance des différents pays pour lutter contre la pandémie, avant variants et avant vaccin. J’utilise toujours le même indicateur, celui du nombre de morts par million d’habitants : c’est le moins faux dont nous disposions.[1]

Morts du covid par million d'habitants fin janvier 2021
Il faut être très prudent quant à ces chiffres, comme le montre un second éclairage : le graphique chronologique suivant du Lowy Institute de Sydney[2]. La situation est partout en évolution constante, mais discordante.

Évolution des performances de la lutte contre le covid par continent
Le constat limpide qu’on peut tirer de ces jeux de données est global : à l’échelle des continents, l’Asie (notamment l’Extrême-Orient) a toujours réagi aussi bien que possible au covid ; les Amériques, très mal ; l’Europe, saignée les 3 premiers mois, avait quasiment éradiqué la pandémie entre ses 3e et 6e mois, puis a été submergée à partir du 7e.[3]
Surprises : les différentes politiques et stratégies publiques n’ont eu que peu d’effets différenciés sur les résultats — tout au plus les régimes autoritaires résistent-ils aujourd’hui et légèrement mieux que les régimes libéraux — ; et la résistance au covid semble avoir tout aussi peu de rapport avec la qualité estimée des différents systèmes de santé.

Mystère ? C’est ici que peuvent intervenir les mathématiques. Une autre étude, l’enquête TIMMS de mai 2019[4] fournit les résultats des élèves en maths en CM1 et en 4e.

Timms-2019.png
Celle-ci confirme la suprématie acquise par les pays d’Extrême Orient dans la maîtrise des mathématiques : ils trustent les 5 premières places, suivis par les pays anglo-saxons, puis les pays nordiques, alors que Nouvelle-Zélande, France ou Chili ne sont pas loin du zéro pointé collectif. Au passage, pour la France de René Descartes, Évariste Galois et Cédric Villani, devenue le cancre de l'Europe, c’est un écroulement.
Est-ce à dire qu’on n’attrape pas le covid si on est fort en maths ? Hélas : réviser intégrales et trigonométrie ne vous vaccinera pas… Au moins, y aurait-il une corrélation entre la performance d’un pays face au covid et sa performance en mathématiques ? Pas vraiment : les résultats de la Nouvelle-Zélande et des États-Unis y sont presque inversés.

Alors pourquoi rapprocher une réponse très conjoncturelle à l’épidémie et un niveau mathématique hérité de l’apprentissage de plusieurs générations ? Pourquoi ? Pour ce que, bien au-delà, ce rapprochement nous dit des cultures et des civilisations.
Contre le covid, les pays d’Extrême-Orient ont réussi où l’Europe a échoué. Ce résultat est d’autant plus frappant que l’Europe était parvenue à juguler la pandémie en été avant d’être submergée en hiver. Les conditions climatiques ne sont pas à mes yeux déterminantes dans ce rebond : en Colombie, Leticia l’amazonienne, Barranquilla la caribéenne torride, Bogotá la frigorifiée et Medellín « ville de l’éternel printemps » ont été tour à tour l’épicentre de l’épidémie.
Naturellement, certaines politiques ont mieux réussi que d’autres, mais personne en Occident n’a déniché la martingale. Ne nous le cachons pas : la gravité de la crise sanitaire a finalement peu à voir avec les régimes et leurs politiques. Au passage, qui a pu croire un seul instant qu’il fallait faire un choix entre la santé et l’économie : les pays qui ont su juguler rapidement l’épidémie sont ceux dont les économies sortent les moins fragilisées de la crise.
Non, ce qui a été déterminant dans la lutte contre le covid, c’est la culture des peuples : les peuples disciplinés, prêts à des sacrifices, ayant foi en l’avenir et se battant pour lui ont gagné. Les Européens ont perdu. C’est en cela que, pas dans le détail, mais en tendance, les peuples qui travaillent avec acharnement à l’éducation de leurs enfants, et notamment à sa base mathématique, ont aussi pu faire ce qu’il fallait pour vaincre le covid.
Et ceci correspond à des cultures où l’individu n’est pas au centre d’un culte, où on est conscient que les individus ne sont rien s’ils ne savent pas jouer collectif. C’est notre individualisme qui nous met en faillite.
Dans un monde idéal, aucune mesure coercitive n’aurait été nécessaire : il aurait suffi que 95 % de la population applique strictement les mesures barrières pour que la pandémie soit maîtrisée. Or, en France, le port du masque n’atteignait pas 50 % début août et pas 80 % lors du second confinement ; pour la réduction des contacts, elle ne se situait qu’autour de 20 à 30 % en été et n’a connu qu’un pic passager d’environ 50 % en novembre.[5] C’est parce qu’une partie de la population n’a pas appliqué ces mesures en été que nous revenons en boucle à des mesures coercitives. Et c’est parce que les gouvernements occidentaux sont muselés par la trop faible « acceptation sociale » de ces mesures et des contraintes que leur non-respect impose qu’ils réagissent avec retard et avec faiblesse aux nouvelles flambées du covid. Cercle vicieux. Leur rejet est instrumentalisé par des populistes d’extrême droite, d’extrême gauche, d’extrême apolitisme… Les dégâts du covid sont un bon étalon du succès du populisme et du complotisme dans chaque pays, qu’ils soient au pouvoir ou pas — ces « libertariens » qui, à 1 millier ou 1 million, se décrètent le peuple et sont prêts à confisquer la liberté de tous les autres. Et ceux par qui l’épidémie s’est propagée sont ceux qui hurlent contre les restrictions, dont ils sont pourtant la cause… Naturellement nous avons tous ras-le-bol des freins mis à la vie sociale, parfois jusqu’à des tendances suicidaires ; et pourtant nous n’avons pas le choix, nous devons écouter les scientifiques et faire tout, vite et fort pour que demain ne soit pas pire.
Il en va de la santé comme de l’économie : en apparence, les intérêts individuels et l’intérêt collectif s’opposent ; si chacun agit pour maximiser son propre profit ou sa propre liberté dans l’instant, la collectivité en pâtit au bout du compte, et tout le monde est perdant. Si chacun comprend que son intérêt individuel, à terme, n’est assuré que comme un atome de l’intérêt collectif, tout le monde est gagnant.
Une des raisons de l’homogénéité territoriale de l’efficacité contre le covid est d’ailleurs qu’on ne peut pas le combattre efficacement si les pays voisins sont, eux, emportés. Les villes frontières hébergent souvent les premiers clusters. Si cela peut nous consoler, la France ne pouvait gagner seule. Là encore, des réactions collectives, coordonnées et solidaires s’imposent. Mieux vaudrait s’en souvenir pour la vaccination et veiller à un minimum de parallélisme entre les campagnes des pays riches et celles des pays pauvres…
Lutter contre le déclin, ce ne serait rien moins que le comprendre, et apprendre la leçon de l’Extrême-Orient en infléchissant notre culture. C’est la première condition pour que le « monde d’après » ne soit pas un retour à l'anormal...

Notes

[1] Source : Wikipédia, sur la base des données les plus récentes connues au 31/01/2021, classement hors micro-États.

[2] Indicateur composite de 6 données. La chronologie n’est pas uniforme, les données étant mesurées pour chaque pays au cours des 36 semaines qui ont suivi leur 100e cas. Comme dans tout ce post, la Chine n’est pas traitée, faute d’informations.

[3] Je n’aborde pas ici le cas de l’Afrique : personne ne sait pourquoi elle est en général, heureusement et relativement, épargnée.

[4] Voir une synthèse dans Le Monde

[5] Voir les 2 graphiques sur le site de l'IHME

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