France : suicide collectif ?

Je pensais ne plus revenir sur les projections concernant le covid-19. Sentiment que la partie est déjà perdue, crainte, si le virus m’épargne, de risquer la mise à mort tel un messager de Sophocle… Hélas, si les perspectives sont aujourd’hui moins négatives en Amérique latine, elles deviennent depuis 15 jours catastrophiques quant à la France : difficile d´éviter le sujet.

La seconde vague est là, ou approche, partout. Pour la plupart des régions du monde, les courbes — ici celles de l’IHME de Seattle[1] — ont commencé à reprendre leur ascension, ou devraient le faire entre le 15 octobre et le 15 novembre. Avec des pics qui pourraient être généralement atteints entre le 15 novembre et le 15 décembre. Les comptes sont simples : 55 000 morts le 1er avril, 900 000 le 2 septembre, et 2,5 millions attendus dans le monde au 1er janvier. Le pire étant peut-être qu’à cette date, ce ne sera toujours pas fini.
Projections de l'IHME du 24/09/20, par région de la banque mondiale. [2]
L’Afrique subsaharienne risque bien de voir la mortalité due au covid doubler, mais elle part de niveaux très bas, et resterait le meilleur élève de la classe mondiale. Les craintes que générait son système de santé ne sont donc pour l’instant pas vérifiées.
En Amérique latine, si la décrue actuelle doit bien être suivie d’un rebond, celui-ci serait moindre que ce qu’on redoutait. Le Pérou passe le seuil des 1 000 morts par million d’habitants (m/Mh), la Colombie passe celui des 500, mais les estimations pivots de l’IHME au 1er janvier redescendent de 49 500 à 44 000 morts pour le Pérou et de 55 000 à 39 500 morts pour la Colombie.
Pour les « bonnes » nouvelles, c’est à peu près tout. En Asie du Sud — essentiellement le sous-continent indien —, le nombre de morts pourrait être multiplié par 4 à 7, ce qui resterait encore bien en dessous de la prévalence européenne actuelle. L’Amérique du Nord verra probablement doubler le nombre de ses victimes, déjà le plus lourd du monde proportionnellement.
Mais la plus mauvaise surprise concerne l’Europe, qu’on pouvait croire tirée d’affaire depuis juin, où les signaux d’alerte se multipliaient depuis un mois, mais où ceci n’est rien par rapport à ce qui nous attend dans les 3 mois à venir : dans le scénario le plus favorable, le nombre de victimes doublerait, dans la projection courante il triplerait, et dans la perspective la plus noire il serait multiplié par 5.
Et les deux pays connaissant la pire évolution dans ces deux hypothèses seraient l’Irlande et la France : selon le scénario, cette dernière pourrait subir une hécatombe de 75 000 à 394 000 morts, soit de 1 131 à 5 880 m/Mh. Ce sont des valeurs pivots, les fourchettes allant de 46 000 à 779 000 morts. Depuis 3 mois que je suis ces données, je n’ai jamais vu de tels chiffres, quel que soit le pays.
Projections de l'IHME pour la France au 24/09/20.png
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Ceci pose deux questions terribles : pourquoi une telle catastrophe annoncée, et quelle est la probabilité de sa réalisation ?
Sur le pourquoi, il faudrait connaître les données et les modèles utilisés pour répondre, puis être capable d’en juger : ce n’est pas mon cas. On peut juste constater que les zones les plus touchées sont souvent celles où les règles sanitaires sont ensuite le mieux respectées (voir l’exemple de Barranquilla en Colombie). Marseille, embarquée dans des réflexes anti-parisiens et se croyant protégée par la réussite autoproclamée du Pr Raoult, se serait-elle crue à l’abri de la deuxième vague comme de la première ? La désaffection croissante à l’égard du président et du gouvernement pousserait-elle un nombre croissant de Français à jeter les consignes de sécurité aux orties ?
Je voudrais tout de même qu’on m’explique pourquoi la Chine (touchée la première par la pandémie, donc la plus surprise) et Singapour l’ont très vite endiguée et ne courent toujours (pour l’instant) aucun risque de récidive — contrairement à la Corée du Sud. Certes, il est plus facile à des régimes autoritaires de mettre en place la dictature sanitaire à même d’étouffer la pandémie qu’à des démocraties déchirées auxquelles ne croit plus une part non négligeable de leur population. Quand le feu est à la maison, on ne réunit pas devant un verre pour dégommer les autres et bavarder sur ce qu’il faut faire. La Chine, pour haïssable que soit son régime cadenassé, a réussi ce qu’aucune démocratie n’a fait : imposer la discipline de fer qui lui a permis d’enrayer une crise sanitaire meurtrière, échappant grâce à cela à une épouvantable saignée économique et sociale. La France, et plus généralement l’Occident, ont quant à eux perdu sur les deux tableaux. Au-delà des drames humains que génèrent ces crises, l’équilibre du monde s’en trouvera bouleversé.
Projection médiane pour la France : comparaison avec la moyenne ECA et les autres pays. Seule l'Irlande ferait pire.png
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Sur la probabilité, il y a deux bonnes raisons de penser que le pire n’est pas le plus probable. D’abord, statistiquement, le scénario catastrophe du relâchement s’est rarement vérifié par le passé. Seulement, même si celui-ci devait être écarté, le risque de voir 2 ou 3 fois plus de décès qu’aujourd’hui sous 3 mois est majeur. Ensuite, la fonction des projections n’est pas de prédire l’avenir, mais de contribuer à la prise de mesures visant à les empêcher de se réaliser. Si aucun régime ne semble communiquer sur ces données, on veut espérer que scientifiques et décideurs les regardent de près et agissent en conséquence. On a hélas la désagréable sensation que les gouvernements, presque tous les gouvernements, sont dans la réaction aux faits à un instant t. Mais c’est aux projections à un ou deux mois qu’il faut réagir : après, il est trop tard.
En tout cas, en France, en Colombie ou ailleurs, notre sort n’est pas seulement entre leurs mains : il dépend, pour des mois encore, et jusqu’au déploiement d’un ou de vaccins, de notre capacité à chacun à non seulement suivre, mais à durcir les règles de biosécurité contre le SARS-CoV-2.
Certains remplacent encore les contacts présentiels par des contacts virtuels quand ils le peuvent, ne se rassemblent nulle part à plus de 5 personnes, respectent 1,5 m de distance entre eux, portent un masque quand ils se sont pas isolés, ne se serrent pas la main et ne s’embrassent pas, s’écartent du courant d’air d’un climatiseur ou d’un ventilateur, ne touchent ni leur visage, ni leur masque, évitent de toucher les objets touchés par d’autres, pire, se lavent les mains 20 secondes avec du savon chaque fois qu’ils l’ont fait, ont chargé et activé StopCovid… Attention : ces gens risquent de nous faire rater notre suicide collectif, et à cause d’eux, nous pourrions rater la médaille d’or de la nation la plus endeuillée. Si tout le monde faisait comme eux, en un mois l'épidémie s'écroulerait, sans confinement ni fermeture de bars !
À nous, à chacun de nous, de voir ce que nous voulons.

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