Fugue dans quelques paysages de rêve

Je veux des rêves qui ne m'endorment mais me réveillent
disait Magritte dans un nuage –
et ses rochers indifférents flottent au vent.
Matisse n'a peint que des fenêtres ouvertes grand
sur des pianos et des cerceaux,
des ciels profonds comme la nuit, comme la nuit.

Dans le miroir de Diego et ses regards
se reflètent tous nos regards,
regards de peintre ou de Ménine,
regards de nain ou de clébard.
Sommes-nous rois ou magiciens ?
Ce rêve-là, l'avons-nous peint, l'avons-nous feint ?

Monet aveugle voyait des choses qu'aucun autre oeil
n'a jamais vu, ne verra plus.
Vingt ans durant ses nymphéas
se sont dissous avec sa vie.
Que cherchait-il dans ces fleurs d'eau,
sinon un coeur battant à nu ?
Vincent fouillait les âmes aussi
mais une nuit, un champ de blé, lui ont suffi.
Nous, pauvres fous, dans notre nef où allons-nous,
vers quel mirage, vers quel festin ?

Entre nos vaines ambitions
nos rêves fous sont les plus sages ;
la petite pierre de la folie,
Bosch et Bruegel l'excisaient-ils,
ou bien ont-ils joué à nous l'innoculer ?

Je veux des rêves qui ne m'endorment mais me réveillent
disait Magritte - et ses rochers
s'envolent indifférents ;
Dans le miroir de Diego
se reflètent tous nos regards ;
Matisse n'a peint que des fenêtres
ouvertes grand comme la nuit ;
Monet, vingt ans, ses nymphéas
se sont dissous avec sa vie ;
Vincent, sa vie, un champ de blé
la chante encore à corps à cri ;
Bosch, Bruegel firent leur temps
se jouant de la folie ;
Etait-ce sage ou fou ?
Leur doigt errant sur la toile
déchirait les ombres et les voiles
dont notre oeil est le prisonnier.

A quoi bon peindre
l'oeuvre rêvée, elle fut si belle imaginée
questionnent Michelangelo,
la chapelle achevée,
Pasolini, le film monté.
Ils ont foulé le sable d'Ostie :
faut-il vivre ou rêver sa vie ?

Modigliani, que cachait-il
dans vos regards blancs de basalte,
femmes d'absinthe et de pavot,
que cachait-il dans vos statues ?
Sous le galbe de vos épures,
la douce paix du désespoir
déchire vos seins et vos cambrures.

Je veux des rêves qui ne m'endorment mais me réveillent
disait Magritte - et ses rochers
indifférents flottent au vent.
Je veux des rêves qui me réveillent, qui me réveillent.

Texte choral en canon : Dominique Sarr
Sur la fugue en ut majeur de Johann Sebastian Bach

Paris, 27 août 1995

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