Journal, Machu Picchu, 01/02/17
Par Dominique Sarr le 06/02/2017, 03:06 - Chronique - Lien permanent
Parler du Machu Picchu ? Empiler des superlatifs sur des superlatifs éculés ? Ils sont mérités. Ça, c’est fait. Alors, peut-être, mon expérience personnelle du Machu Picchu ?…
5 h du matin. Réveil. Toilette de chat. Je sors entre les murs incas d’Ollantaytambo. Dans la nuit fraîche, ils retrouvent l’austérité que les couleurs péruviennes gomment le jour.
5 h 40. J’entre dans la gare des escrocs de Perú Rail. Les employés sont les plus stylés d’Amérique du Sud. C’est tout.
6 h 30. Le train s’enfonce dans la vallée sacrée des Incas. Les neiges éternelles du Nevado Verónica la dominent. J’avale les 2 pains de yuma achetés le soir.
7 h 40. Arrivée à Aguas Calientes. Mauvaise surprise. Ce ne se sont pas 10’ de marche, mais 2 h. Ou 25’ de bus et 12 dollars (dollars !) non compris avec le train. J’avale la couleuvre jusqu’à l’hallali. J’achète billet de visite et ticket de bus.
8 h 15. Daniel, un guide, propose de m’accompagner. Je ne peux pas seul : il attend le bus suivant pour former un groupe.
8 h 30. Il me met dans les mains d’un collègue qui a dragué un Catalan. Dix minutes de bla-bla, avant de découvrir le site et de subir son choc. Ce n’est pas le premier : j’ai eu le même à Sacsayhuaman et à Piquillacta.
8 h 50. 15’ de bla bla plus tard, je largue le guide après lui donné son dû. Je lui ai dit 2 fois que les cultures préincas et l’empire m’intéressaient vivement, mais pas ici ! Ici, ce que voulais entendre, c’était sur le Machu Picchu, tout, tout sur le Machu Picchu. Le reste, je l’avais vu ailleurs… J’ai engagé un guide pour la première et la dernière fois de ma vie.
9 h 15. Je découvre le temple du Soleil. Il ressemble peu à celui de Tintin. Sa situation, ses pierres savamment taillées et polies, sa forme en font le cœur battant du site.
9 h 15. J’arrive à la place principale. La même splendeur architecturale, pierres claires et non plus gris fumée. Un affaissement curieux dans un angle, mais d’un seul mur : il ne doit pas s’agir d’un effondrement, mais que peut-il signifier ? Contrairement à l’Afrique, je n’arrive pas à me rendre sensible la présence des Incas, à imaginer leurs rites dans ce lieu sacré, à les voir. Je reste étranger, trop de choses nous séparent. Mais émerveillé.
10 h 30. J’ai dû repasser par l’entrée, le guide était parti à contresens… Après une demi-heure de marche, j’arrive à Inti Punku : la porte du Soleil. Celle sur laquelle le soleil se levait dans toutes les cités incas. J’embrasse la vue sur le levant, sur le canyon du rio Urubamba, sur le site sacré.
11 h 30. Encore une demi-heure de marche : le pont inca. Effarant. Combien de morts pour construire leur chemin ? Combien de morts pour l’avoir emprunté ?
12 h 00. Le groupe des 3 façades. Avec sa situation grandiose, c’est à mes yeux ce qui fait l’intérêt majeur du Machu Picchu : un ensemble de constructions où tout est en place (si ce n’est les toits) : intégralité des murs, linteaux, pierres d’arrimage des charpentes…
12 h 15. Temple du Condor. Exemple stupéfiant de ce qui fait la force de l’architecture inca : la manière dont ils tiraient profit de la roche et s’y appuyaient. Les ailes du condor s’envolent, portant leur château de cartes…
12 h 20. 4 heures et 407 photos plus tard (j’en garderai 130) mais pas un selfie, il est temps de redescendre. Je dévale en 30’ le sentier annoncé por une heure. Plus 10’ pour retrouver mes lunettes perdues dans la course : je dois être avant 3 h à Hidroelectrica pour sauter dans un bus et échapper aux vautours de Perú Rail.
13 h 00. Je longe la voie ferrée et le rio Urubamba pour rejoindre Hidroelectrica. Le train passe. Je dois m’écarter en catastrophe. Je n’avais pas pensé qu'il s’inclinait dans les courbes… 1 h 30, à belles enjambées : je double marcheurs et cyclistes, que leur vélo aide peu sur le ballast.
14 h 30. Hidroelectrica. Tous les mochileros* du monde s’y sont donné rendez-vous mais… pas de bus. Un taxi collectif me prend en charge jusqu’à Santa Maria. J’ai ma dose d’adrénaline : piste de terre sur un précipice de 300 m à mes pieds, ni parapet ni glissière. On ne croise pas dans les virages, où les pneus crissent sur le gravier. Je suis toujours le seul à attacher ma ceinture. À quoi servirait-elle ?
15 h 15. Santa Teresa. Le taxi s’est foutu de moi. Il me largue et je dois en reprendre un autre.
16 h 00. Santa Maria. 1 150 m : je n’ai plus été aussi bas depuis que j’ai quitté la panaméricaine au sud de Lima. Je mets à profit l’attente du combi d’Ollantaytombo pour avaler la meilleure citronnade de ma vie. Je ne pense même pas à manger.
17 h 50. Montée vertigineuse vers l’Abra de Malaga, col entouré de steppes pierreuses. L’altimètre indique 4 350 m. Nous avons grimpé de 3 200 m en 40 km et 1 h 30.
19 h 00. Arrivée à Ollantaytambo. Repas rapide dans un restaurant populaire. Le premier de la journée. Je ne peux pas manger un steak d’alpaga tous les soirs… Soupe de frites (!), poulet doré, manioc, riz blanc, salade et camomille. Je n’en viens pas à bout. Trop à digérer.
20 h 00. Je retrouve la calle del Medio, ses murs et ses linteaux incas imposants. En face de chez moi, une maison inca entièrement conservée. Personne ne la visite. Je peux envoyer quelques mails et parcourir Le Monde.
20 h 00. Extinction des feux. Ma rencontre avec le mythe a été gâchée par Sa Majesté Dollar, la traite des touristes, les innombrables informations fantaisistes (1 sur 2, la moyenne), les petits vieux de 25 ans qui calent tous les 100 m et un guide oiseux.
5 h 00 du matin. Réveil. Fourbu et courbatu par mes 7 heures de marche… Une nouvelle journée de bagne commence. Greniers, Inti punku et Cent fenêtres** d’Ollantaytambo, terrasses circulaires de Moray… Quelle vie !
* Mochilero : « porteur de sac de dos », routard
** Appellation fallacieuse : ce sont des niches (elles abritaient des statues à qui on destinait des offrandes), et il n’y en a que 84, + 4 manquantes.