L’écriture inclusive est une ânerie

Juste ciel ! L’auteur d’un livre (Sexe, le Grand Organisateur) scientifique et fémino-gauchiste — si si, madame Vidal — ou, ici même, d’une profession de foi féministe (Aussi longtemps…) se livre à une attaque en règle contre la sacro-sainte écriture inclusive. A-t-il d’un coup viré sa cuti, mangé son chapeau et retourné sa veste ?

Le problème, ce n’est pas l’écriture, c’est la langue[1]. Et une langue est par définition parlée-écrite. Les langues sont-elles sexistes ? Oui, sans aucun doute. Elles le sont toutes, parce que toutes les sociétés, depuis bien avant le Néolithique, sont (et restent largement) patriarcales, qu’elles soient patri- ou matrilinéaires, patri- ou matrilocales, monogamiques, polygyniques et/ou polyandriques… Je crois l’avoir montré dans le livre cité, de même que le sexisme de l’indo-européen commun voici 7 à 9 000 ans : la femme y était déjà réduite à « celle qui engendre », et l’homme, s’y confondait déjà avec l’être humain : « le terrien », dialoguant, lui, avec le céleste divin.
Le français, spécialement à partir du XVIIe siècle, est d’ailleurs une des langues les plus sexistes qui soient, bien plus que ces langues de machos que sont le castillan (qui ne privilégie pas le masculin dans les accords, mais fait un accord de proximité) ou le wolof (qui ignore totalement le genre (ex. : pronoms), sauf à le préciser si nécessaire dans des périphrases : sama rakk bu jigéen « mon cadet qui est une femme »).
Il est donc non seulement louable, mais essentiel de tourner le dos à des millénaires — voire des dizaines de millénaires — de sexisme en faisant l’effort de traiter hommes et femmes de la même façon dans la manière de s’exprimer. Notre usage de la langue se doit d’être équitable, ou inclusif. Alors, où est le problème ?

Le problème c’est de le prendre à l’envers en dénaturant la langue, par exemple à travers le/la fameu.x.se point.e inclusi.f.ve.
1. L’exemple ci-dessus montre incidemment que le point inclusif est une fausse solution, il est impuissant à battre en brèche le masculinisme qui innerve la langue. Pas convaincu ? Nous remplaçons à juste titre droits de l’homme par droits humains, mais étymologiquement, humain n’est rien d’autre que de l’homme ! Quant à droits de l’homme et de la femme, il dit tout simplement que les unes et les autres n’auraient pas les même droits ! Pourquoi la moitié des substantifs sont-ils masculins ou féminins, quand ce qu’ils désignent est neutre ou bisexué ? Il faut admettre, faute de choix, que la langue est intrinsèquement sexiste, et refuser d’en être dupe.
2. Le point inclusif ne peut être parlé : les solutions inclusives parlées sont parfaites pour le remplacer élégamment à l’écrit. Voici un exemple extrait du Guide du Haut Conseil à l’Égalité (où voisinent le meilleur et le pire) : « Pour que les femmes comme les hommes soient inclus.e.s, se sentent représenté.e.s. et s’identifient ». Pourquoi ne pas juste écrire ce qu’on dit, par exemple : « Pour que les femmes soient incluses, se sentent représentées et s’identifient, comme les hommes » ?
3. Le point inclusif est donc paresseux : c’est une béquille qui évite de chercher comment soigner la jambe.
4. Le point inclusif alourdit la langue et rend la lecture difficile. Sur ce point, on m’objectera non sans raison qu’on aurait pu se préoccuper depuis longtemps de passer d’une orthographe étymologique à une orthographe phonologique, comme l’ont fait avec bonheur le castillan en 1713 (!) et le portugais en 1911.
5. Pire sans doute, il est tribal. On use du point inclusif pour se démarquer, pour ne pas se mélanger avec les horribles machos ou les ignares. Ceci est une tare récurrente de mouvements progressistes incapables de s’engrener avec la population — et c’est une signature de ce qu’on appelle néo-féminisme. Cela porte un nom : la dérive sectaire. Les horribles machos et les ignares, il faut les amener à respecter les femmes, pas les exclure ![2] Anecdote personnelle : j’ai pour ma part été enthousiasmé en découvrant la possibilité offerte par l’espagnol de « dégenrer » certains mots : niño (« garçonnet »), niña (« fillette »), niñe (« garçonnet ou fillette »). Je trouvais cela à la fois juste et élégant, et j’ai cessé de m’adresser à un groupe mixte en disant Amigos (les amis) pour passer à Amigues (les ami(e)s). Je me suis vite rendu compte que cette innovation (d’origine argentine) n’était pas comprise, et j’utilise maintenant Amigos y amigas (« les amis et les amies »). Évidemment, je me fatigue plus (!)…
6. Les promoteurs de l’écriture inclusive semblent oublier que la première fonction de la langue est de com-mu-ni-quer, elle est de nous re-lier les uns aux autres, pas de nous enfermer dans les ghettos aujourd’hui à l’œuvre pour faire imploser nos sociétés.

Éliminer du discours (et surtout de ce qu’il sous-tend !) tous les traitements inégaux (chef de famille, mademoiselle…) : bravo ! Accorder les noms de métiers au sexe (gazière, sage-homme) : évidemment ! User de contournements ou de périphrases pour un langage non sexiste (comme ci-dessus) : j’applaudis ! Ne pas mettre en avant des caractéristiques dédiées au genre (plastique versus force…) selon qu’on parle d’hommes ou de femmes : bravo encore ! Etc.
Mais dénaturer la langue en inventant arbitrairement des formes qui lui sont étrangères : pitié ! Bienheureuses les langues qui ignorent les genres, comme le wolof dans lequel dafa est aussi bien « elle » que « il », ou ne connaissent que les genres commun (féminin ou masculin) et neutre, comme le suédois. Ne dénaturons celles qui n’ont pas cette élégance par l’invention d’épouvantables iel (il ou elle) ou celleux (« celles et ceux »).
Oublions l’impasse d’une écriture exclueuse : engouffrons-nous dans la révolution d’un usage inclusif et empathique du langage!
Les langues évoluent en permanence. Elles ne le font pas sous les diktats de l’Académie ou du bureau politique du Parti, mais dans la rue. Ainsi le veut la vie.
Je dois plaider coupable : j’ai moi-même inventé des pronoms amatifs, horrifié de ce que les relations amoureuses soient exprimées par des pronoms possessifs : « ma copine » ! Je plaide toutefois, mesdames les jurées et messieurs les jurés, les circonstances atténuantes. J’attirais ainsi l’attention sur une autre dérive universelle des langues : l’aliénation des sentiments dans la possession des êtres aimés — autre effet, indirect celui-ci, du patriarcat. Mais, aussi tristement que sagement, une fois poussé ce cri du cœur, du moins en ai-je refermé l’innovation sous le couvercle de la fiction[3]

Notes

[1] Voir Comment la théologie chrétienne a lancé l’écriture inclusive.

[2] C’est pour cette raison qu’il faut écouter les bourreaux autant et plus que les victimes de violences conjugales : c’est eux, d’abord, qui doivent changer. Voir : À Lyon, paroles d’hommes violents pour prévenir la récidive

[3] Quelques-unes des vies et des morts de Benjamin P.

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