L’origine des Incas, 25/02/17

Recherchant des informations sur les sites archéologiques de El Cusco et de sa région que je découvrais, j’ai lu quelque part que si le quechua était la langue de communication de l’Empire inca, l’aymara était sa langue officielle. Ayant consacré des années de ma vie à l’étude de la prise du pouvoir des « guerriers de paix » mandingues sur le monde sérère (les Guelwaars), je ne pouvais que réagir d’un coup à cette information : les Incas auraient-ils été d’origine aymara ?

Plusieurs données ont à mes yeux abondé dans ce sens : ce fait linguistique d’abord, les mythes fondateurs ensuite, une rencontre fortuite enfin.
Toutes les sources ne font pas la distinction entre langue vernaculaire et langue officielle, mais plusieurs le font clairement. L’origine du nom de El Cusco, capitale des Incas, est d’ailleurs significative. Garcilaso Inca de la Vega a très malheureusement répandu la thèse de l’étymologie quechua de ce nom comme « le nombril du monde », ce qui réjouit naturellement les Cusqueños… En réalité, il est d’origine aymara : qusqu wanka, ce qui signifie le « rocher de la chouette ».
Deux mythes fondateurs différents expliquent l’origine des Incas. Dans le premier, Mango Cápac et sa sœur-épouse Mama Ocllo, fils et fille du dieu Soleil, seraient nés de l’écume du lac Titicaca pour venir fonder El Cusco. Dans la seconde, les 4 frères Ayar et leurs 4 sœurs-épouses auraient quitté la montagne aride de Tampu Tocco, au nord-est, pour fonder la ville. Dans les 2 cas, Mango Cápac ou Ayar Manco est le fondateur de la dynastie inca. Dans les 2 cas, l’origine de la dynastie est à l’est, sud ou nord, et au moins pour l’une dans la région aymara.

Des eaux paisibles du lac Titicaca serait né le premier fils du Soleil… Taquile, février 2017

J’en étais là lorsque, passant quelques jours dans l’excellente Posada Santa Barbara de mon ami Santiago à Chucuito, au bord du lac, je suis allé voir la zone archéologique d’Incatunuhuiri, à mi-chemin entre Puno et Chucuito. Contrairement à ce que nom pourrait laisser croire, le site est rattaché à la culture pukara, contemporaine de la période initiale de Tiwanaku, au début de note ère. Cherchant un chemin à travers les innombrables terrasses de la colline, je rencontre Wayra, un berger aymara radieux qui conduit ses brebis, et nous engageons la conversation. Sa première phrase me stupéfie : « Les Incas étaient aymaras ».

Wayra : « Les Incas étaient aymaras », Incatunuhuiri, février 2017

Il me parle ensuite volontiers de l’étymologie de Titicaca*, de l’origine d’Incas venus de la planète rouge (traduction complotiste et hurluberlue de « fils du Soleil »), de leur capacité à commander aux pierres pour les déplacer, de Jésus-Christ… Peu importe : il persiste avant de me quitter : « Les Incas étaient aymaras ». Seule, cette affirmation pourrait n’être qu’une tentative de s’approprier la gloire des Incas. Avec le faisceau d’autres indices connus, elle signifiait que la tradition orale aymara conserve la trace d’une parenté avec les Incas. Satisfaction d’amour propre d’une ethnie discriminée par sa cousine quechua, dominante dans la région de Puno et dans tout le Pérou. J’étais en tout cas conforté dans ma conviction d’une origine aymara des Incas.

Mango Cápac et ses 7 premiers successeurs ne furent que les roitelets de El Cusco… Généalogie des incas, Marco Chillitupa Chávez, 1837, Museo de Arte de Lima, janvier 2017

Pour les anthropologues et les archéologues, la réalité est plus complexe : le clan de Mango Cápac aurait été taipicala, ethnie héritière des pukinas de Tiwanaku, détruit à la fin du XIIe siècle par la progression des Aymaras ; les Aymaras venaient eux-mêmes du sud, soit après un changement climatique, soit chassés par une autre migration. Après une vingtaine d’années de semi-nomadisme, le petit groupe arrive dans la vallée du Huatanay où il fonde El Cusco et se fond dans une confédération quechua où il n’a d’abord qu’un strapontin. Mais le clan inca, servi utilement par l’origine divine qu’il revendique, par ses qualités politiques, par le prestige de la langue aymara qu’il a adoptée, et parfois simplement par les armes, parvient peu à peu à prendre les rênes de la coalition.

Santo Domingo fut construit sur le socle du temple de Koricancha, cœur du monde inca. El Cusco, janvier 2017

Contrairement à celle des Guelwaars sur les Sérères, la prise du pouvoir par les Incas n’a rien eu de pacifique, mais les rapprochements entre les 2 épopées ne manquent pas. Un petit groupe qui ne peut excéder quelques dizaines ou centaines de personnes, chassé de sa terre, l’un par la migration aymara, l’autre par sa défaite dans la guerre dynastique pour le contrôle du Gabou, croyant indéfectiblement dans son étoile surnaturelle, usant habilement des divisions et des impuissances des chefferies locales, tissant non moins habilement des alliances matrimoniales avec les peuples qu’ils trouvent sur place, se rend maître d’un maigre royaume, point de départ pour les Incas de l’empire et de la civilisation les plus brillants des Amériques…

* En quechua comme en aymara, titi désigne le puma, animal sacré de toutes les populations amérindiennes. Pour caca, c’est plus discuté ; de nombreuses sources internet indiquent que Khar'ka est un rocher en aymara ; le Titi Khar'ka serait une proéminence de l’île sacrée du Soleil, sur le lac. Localement, tous mes interlocuteurs m’ont indiqué que Qaqa désignait la couleur grise. Ils associaient ce toponyme à la forme du lac, ce qui est très douteux : le sens cartographique des Aymaras n’était pas de nature à les faire relier la forme d’un lac immense à celle, très lointaine, d’un puma. Alors, Rocher du puma ou Puma gris ?

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