Communauté indienne Beija-Flor, 3/4/16

En 1986, Richard Melnick, un Américain installé à Manaus tient une boutique d’artisanat amérindien avec un associé, Ivan, métis tchikuna, et un employé, Fausto, d’ethnie satéré-mawé. Il décide d’acheter une terre en vue d’y implanter une communauté amérindienne multiethnique pour y vivre de l’artisanat. La Comunidade indígena Beija-Flor s’installe en 1991 sur les 42 hectares qu’il a acquis à Rio Preto da Eva, à 80 km à l’est de Manaus…

Une première tentative semble échouer, en partie parce que les premiers occupants sont yanomamis et que les autres nations ont peur des Yanomamis ! Après leur départ, d’autres peuples s’installent effectivement : Satéré-Mawé, Tukano, Dessana, Arará… Mais Richard Melnick décède en 2001.
Quinze ans plus tard, Beija-Flor compte 5 unités, de I à V, rassemblant plus de 700 habitants. Ivan préside la fondation, Fausto – Morya de son nom satéré-mawé – est le cacique de la communauté. Il est à ce titre, l’employé de la Funai (*).

Rio Preto da Eva, bourg de 30 000 habitants au milieu de la forêt amazonienne, avril 2016

La cohabitation de plusieurs peuples est un succès, ce qui n’allait pas de soi eu égard à la réputation guerrière de certains. Beaucoup de couples sont interethniques, et la langue véhiculaire est le portugais.
Les familles produisent effectivement des objets de leur ethnie ou d’une autre. On trouve, comme à Manaus, des pau-de-chuva (« bâton de pluie », instrument à percussion) satéré-mawé, des tamis satéré-mawé ou baniwa, des sarbacanes, mais aussi des objets plus rares comme des sièges à motifs satéré-mawé ou des tangas de cérémonie.
Quant au mode de vie, avec des écarts importants selon l’aisance de la famille, il est très proche de celui de leurs voisins de Rio Preto da Eva, au point qu’il n’est pas évident de savoir où passe la limite : vêtements occidentaux, réfrigérateur, cuisinière, voire écran plat et parabole. La principale différence serait que certaines maisons n’ont pas de porte « puisqu’il n’y a pas de voleurs » à Beija-Flor.

Une maison de Beija-Flor, pas très différente de celles de Rio Preto, avril 2016

La forêt de Beija-Flor est préservée. On y compterait 7 onças (jaguars), de grands et de petits singes, des perroquets semi-domestiques (qui rient à gorge déployée quand les enfants rient…), etc.
Les anciens et les adultes continuent à parler leur langue. Pour les jeunes et les enfants, ceux que j’ai rencontrés en étaient incapables.
Je n’ai pas une vue d’ensemble me permettant de dire quelles sont les religions présentes et dans quelles proportions, mais un des premiers bâtiments qui s’impose dès l’entrée de la communauté est l’Église adventiste du 7e jour, assortie de son groupe de scouts, et on dit les grâces à certaines tables avant le repas.

Les évangélistes mêlent bourrage de crâne et largesses pour prendre pied dans les populations indigènes, avril 2016

J’avais refusé les agences touristiques proposant des danses d’indiens avec des plumes, sachant ce que peut valoir cet exotisme sur commande. Je cherchais plutôt à comprendre comment différentes communautés vivent le rapport entre leur tradition et une modernité à laquelle la plupart sont confrontées : j’en ai avec Beija-Flor un cas plus qu’intéressant, et qui me plonge dans un abîme de perplexité : une communauté reconstruite, multiethnique, maintenant des traditions culturelles et artisanales, mais ayant adopté le mode de vie et les religions des « blancs ».
Ces traditions sont-elles intègres ? À partir de quand sont-elles surtout un gagne-pain ? Combien de générations perpétueront les langues et les cultures ? Mais bien sûr : au nom de quoi voudrions-nous leur refuser le droit à la santé et aux écrans-16/9-affichant-des-images-4/3 ?

Télévision, évangélisme & Coca-Cola : que conservera la nouvelle génération des traditions amérindiennes, avril 2016

Nous changeons, les peuples amérindiens changent. Que vouloir, pour eux-mêmes et pour nous, sinon que ce changement soit libre et ne s’accompagne pas de la perte de pans entiers de la culture humaine ?

(*) Funai : Fondation de l’Indien (fédérale)

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.carnetsdexil.com?trackback/142

Fil des commentaires de ce billet