La Malinche, 20/08/16

Étrange destin que celui d’Hernán Cortés. Pour certains, le conquérant de l’Empire Aztèque est un conquérant de génie, pour d’autres un monstre barbare : il fut sans doute les deux. Mais Cortés ne serait probablement arrivé à rien sans la rencontre d’une femme hors du commun…

On ne sait d’elle que 2 ou 3 choses : même son nom est dans le flou : Malinalli Tenépatl, Doña Marina, Malintzin ou la Malinche (prononcer Malin'tché) : indianisation d’un nom espagnol, hispanisation d’un nom indigène, allers et retours ?

Un des hauts faits d’Hernán Cortés : la destruction du Templo mayor de Tenochtitlán. México, août 2016

Sur l’époque, les sources neutres sont inexistantes : nous avons soit celles des conquistadors, en l’occurrence surtout Bernal Díaz del Castillo, participant à et chroniqueur indulgent de la conquête* ; soit celles des codex méso-américains, en l’occurrence surtout le Lienzo de Tlaxcala** (toile, ou description, de Tlaxcala). Ces sources partagent le même respect voué à celle que Díaz del Castillo appelle toujours Doña Marina, et que le Lienzo montre le plus souvent en compagnie de Cortés, le traduisant et sans doute le conseillant, ou parfois seule.
Le peu qu’on sait d’elle avant qu’elle croise la route de Cortés vient de Díaz del Castillo, qui dit avoir ensuite bien connu sa famille : des caciques nahuatl de la région de Veracruz. Malintzin, orpheline de père en jeune âge, gêne sa mère qui a un fils de son second mari : elle aurait été cédée à des marchands d’esclaves, qui l’auraient revendue en pays maya, puis aux Mayas-Chontals de Potonchán.

Prise de Teocalhucyacan. La Malinche assiste ou guide Cortés et les conquistadors (Lienzo de Tlaxcala, XVIe siècle))

On connaît mieux sa vie entre 1519 et 1524. Elle fait partie d’un groupe de 20 femmes données le 15 mars 1519 à Cortés par les Mayas-Chontals qu’il a vaincus la veille à Centla. Celui-ci les fait baptiser : ce sont même les premiers indigènes christianisés du continent, d’après Díaz del Castillo. Il les répartit ensuite entre ses lieutenants, et la Malinche échoit à Hernández Puertocarrero, que Cortés cherche probablement à gagner car, contrairement à Cortés, il est loyal au supérieur de ce dernier, Diego Velásquez de Cuellar***. La Malinche, qui a entre 18 et 23 ans, impressionne les participants.
Elle suit dès lors l’expédition de Cortés. Dès le lendemain de ce « cadeau », elle commence à traduire le nahuatl en maya au moine Jerónimo de Aguilar (qui, des années prisonnier des Mayas, retraduit) et, avec le temps, pourra traduire directement en espagnol divers dialectes du maya et du nahuatl (entre autres parlé par les Aztèques). Mais elle joue un rôle bien plus important, renseignant vite Cortés sur les peuples rencontrés et leurs coutumes, parfois sur leurs révoltes, et le conseillant : elle est une pièce essentielle de sa diplomatie.

Ruines de Cempoala (nord de Veracruz). La Malinche y fait découvir les réalités méso-américaines à Cortés en 1519 puis 1521. Zempoala, août 2016

En avril 1519, lorsque les Espagnols arrivent à Cempoala****, capitale des Totonèques, elle permet à Cortés de comprendre tout de suite que ceux-ci sont excédés de la soumission aux Aztèques : les liens tissés aboutissent à la première alliance décisive dans la victoire contre les Aztèques en 1521.
À cette date, Cortés a depuis longtemps et opportunément envoyé Puertocarrero rendre compte à Charles Quint de ses progrès, et la Malinche, aussi appréciée pour son intelligence que pour son physique, est devenue sa maîtresse. Elle lui donne un enfant, Martin Cortés, en 1522, mais le nouveau maître de Tenochtitlán (futur México) doit contracter une union conforme à son statut et la fait épouser par un autre hidalgo, Juan Jaramillo, ce qui a pour effet de l’émanciper. Elle a rapidement une fille de son mari. En 1524, elle aide encore Cortés à réduire une rébellion au Honduras. On ne sait plus rien d’elle ensuite, si ce n’est que des lettres parlent toujours d’elle en 1550. Elle mourra sans doute peu après.
Son rôle majeur dans la conquête de la Nouvelle Espagne fait peu de doute. Cortés a lui-même reconnu qu’il n’aurait pu soumettre les Aztèques sans elle.

Statue de la Malinche à Huamantla

Personnage controversé, la Malinche a pour certains trahi les siens (ceux qui l’ont vendue où ceux qui l’ont achetée ?...), quand d’autres la considèrent comme la mère symbolique du Mexique issu de la conquête : beaucoup de villes mexicaines et, au-delà, d’Amérique latine ont aujourd’hui une rue à son nom ou lui ont érigé une statue.

* Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne, traduction Denis Jourdanet, Typographie Lahure, Paris, 1877. Díaz del Castillo reprend par exemple sans sourciller les mots de Cortés, selon qui « Charles Quint nous envoyait pour redresser les torts, châtier les méchants et empêcher qu’on sacrifiât des êtres humains »
** Les 3 originaux du Lienzo sont perdus. Il n’en reste que des copies, dont celle de 1773, au Musée d’Anthropologie de México.
*** Díaz del Castillo décrit très clairement les 2 partis qui s’opposent dès l’arrivée d’Hernán Cortés sur le continent : ceux qui entendent appliquer les instructions du gouverneur de Cuba (en un mot : ramener de l’or), et ceux qui avec Cortés veulent les outrepasser en colonisant ce qui sera la Nouvelle Espagne, puis le Mexique.
**** L’arrivée à Cempoala donne lieu à une méprise significative : « … on avait repeint les habitations depuis peu de jours et embellies comme ces Indiens le savent très bien faire. L’un des cavaliers crut même que cette blancheur qui reflétait la lumière était de l’argent, et il accourut à bride abattue pour dire à Cortés que les murailles étaient faites de ce métal. Dona Mariña et Aguilar firent observer que ce n’était sûrement que du plâtre ou de la chaux, et nous rîmes bien fort… » (ibidem). On y apprend d’un coup que les constructions méso-américaines étaient blanchies (ou colorées), que les conquistadors étaient obsédés par l’or et l’argent, enfin que Malintzin (ici avec Aguilar) se chargeait de leur expliquer ce qu’ils découvrent…

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