Le phénomène de la conscience

Il est aussi des exils intérieurs…
La conscience est un mystère. Elle comporte même 2 mystères à mes yeux. Inexplicables. Envoûtants.

Nous sommes des assemblages de molécules, et plus finement d’atomes : il y a quelque 4 milliards d’années déjà, ces molécules se sont associées et ont formé des organismes vivants ; 3 milliards d’années plus tard, certains de ces organismes ont acquis un cerveau et, avec lui, des facultés cognitives permettant de ressentir, d’interpréter leur environnement, de projeter des actions…
À partir de quel moment un nouveau pas décisif a-t-il été franchi avec le surgissement d’une conscience ? Anthropoïdes ? Australopithèque ? Homo erectus ? Nous voyons bien que la conscience, la conscience d’être, la conscience de soi est ce qui caractérise le genre homo*, sans savoir où situer le chaînon de son apparition dans l’histoire des espèces.
Sur un plan cette fois individuel, je connais le moment précis de mon éveil. J’avais 7 ans, j’étais devant un bazar, dans la rue de la gare de ma ville, et une pensée subite m’a frappé : je suis, je suis moi, je suis dans le monde.

Le premier vrai mystère, c’est celui-ci : comment un jeu de transferts chimiques et électriques dans notre cerveau peut-il créer, non seulement des déductions et des plans d’action à la portée d’un robot performant, mais cet indéfinissable état de lucidité qu’est la conscience : précisément ce à quoi aucun robot, aucun ordinateur, même champions du monde d’échec, n’accéderont jamais ? Cet état sans lequel nous ne pourrions pas accéder aux sentiments, à la rêverie, au sens éthique, aux émotions esthétiques ? J’ignore si des cogniticiens se sont penchés et ont obtenu des résultats sur cette question, mais si c’est le cas… il y a une page contact sur ce site !

Un second mystère est pour moi encore plus étrange. Qu’est-ce qui fait que cette conscience est mienne ? Qu’est-ce qui fonde le sentiment d’identité ? Je peux comprendre que dans l’histoire de la vie, une étape extraordinaire a été franchie, attribuant à homo la capacité unique de la conscience. Je ne peux comprendre qu’une de ces consciences ait élu domicile en moi. Je peux comprendre la réalité objective de la conscience, je ne peux comprendre qu’une de ces consciences me soit propre et subjective. Comment, tout à coup, est-ce moi qui suis conscient, et de moi que je suis conscient ?
Si cette question me trouble profondément, c’est pour une raison liée à l’histoire de ma naissance. Je sais depuis l’enfance que j’aurais dû avoir une sœur, de 3 ans mon aînée. Et je sais aussi que si Catherine était alors venue au monde, elle ne serait pas ma sœur… parce que je ne serais pas né moi-même. Je dois ma vie à sa mort in utero. Ceci m’emplit de tristesse. J’ai hérité du jeton de sa vie. Ai-je aussi hérité du jeton de sa conscience ? Si elle était née, serait-ce ma conscience qui serait hébergée en elle ? Aurais-je été moi en elle ? Est-ce parce que j’ai hérité de sa conscience que je me sens, psychiquement parlant, autant femme qu’homme ?

Je suis pourtant conscient que ces deux mystères n’existent en réalité qu’à mes yeux, ou à nos yeux : si nous n’en connaissons pas les ressorts, nous nous doutons bien que toutes les fonctions cérébrales (perception, intelligence, conscience, etc.) reposent sur l’interaction complexe de nos neurones et de nos synapses. Ma conscience n’est mienne que parce qu’elle est produite par les cellules de mon cortex, elle n’est que ce qu’impriment leurs échanges chimico-électriques. Mais ce qui est une évidence scientifique n’est pas à la portée du ressenti humain.

Toutes les civilisations opèrent une dichotomie entre le corps (le matériel), et l’âme, ou l’esprit, ou le souffle vital (le spirituel) : en Occident, l’aura immatérielle du défunt est supposée s’élever au-dessus du corps défunt ; en Afrique de l’Ouest, le souffle du défunt reste « en vie », il reviendra s’installer dans le corps d’un de ses descendants. Contre toute logique et raison, la conscience humaine dicte à l’homme sa propre indépendance de la réalité biochimique. Aucune conscience ne peut supporter l’idée qu’elle ne serait pas pur esprit. Aucune conscience ne peut supporter l’idée qu’elle est appelée à disparaître avec le corps dont elle est conscience.
Alors, sans doute, est-il beaucoup plus confortable d’attribuer sa création, son origine, sa perpétuation supposée à une autre conscience, surnaturelle, en un mot divine, elle-même détachée de tout socle matériel. « Si Dieu nous a faits à son image, nous le lui avons bien rendu », écrivait Voltaire*.
La barbe blanche et la chevelure de Karl Marx, certes… L’homme ne s’est-il pas surtout créé un créateur à l’image qu’il se fait de sa propre conscience, éthérée et immortelle ?
Précisément pour refuser de voir que cette conscience n’est que matière éphémère ?***

* Françoise Armengaud dira à juste titre que les animaux ont aussi une conscience, et que celle de l’homme ne représente qu’un nouveau degré dans sa formation. Question de définition. L’état de lucidité que j’évoque est strictement humain, mieux : c’est ce qui définit l’humain…
** Le sottisier, Voltaire, milieu du XVIIIe siècle, (éd. Garnier frères, 1920, p. 165). Sa citation est rarement sourcée et souvent déformée...
*** Ce propos n’a pas d’autre source que l’expérience sensible, l’intérêt pour les sciences cognitives, une longue fréquentation de ces interrogations, et se revendique comme tel. Il me conduit après coup à les prolonger, notamment par la lecture de John Searle, Le mystère de la conscience, Éditions Odile Jacob, 1999.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.carnetsdexil.com?trackback/135

Fil des commentaires de ce billet