Lettre persane, 04/04/17

Après 10 mois d’Amérique latine, débarquer à Satolas en pleine campagne présidentielle a quelque chose d’irréel. Je m’étonne de tout, et pour tout dire les bras me tombent quand je constate comment s’ébroue cette curieuse ethnie et comment elle s’apprête à choisir son cacique…

Je m’attendais à voir s'affronter des projets de société (quels rapports sociaux, que faire de nos vieux, quelles mœurs accepter…). Je ne vois que du marketing, fait de petites phrases, d’invectives, de mesures tirées du chapeau et que personne ne croit applicables : revenu universel*, suppression de 500 000 emplois publics, sortie de l’euro, colonisation de la lune… Les candidats au caciquat ne dessinent pas un projet de société, ils cherchent le packaging qui fera préférer leur produit à celui de leur concurrent. Démocratie des têtes de gondole…

Je m’attendais à des débats de fond. Emploi, logement, ville, vieillesse, politique pénitentiaire, dette, construction européenne : cette ethnie mérite de débattre des choix d’avenir qu’elle doit faire. Que vois-je ? Des candidats en représentation sur leur estrade ou en studio : discours creux, harangues vides, gesticulations oratoires, prises de poses caciquales, petites phrases pour le 20 h… Bien sûr qu’il leur arrive de parler du fond : ils sont inaudibles ! Journalistes, analystes, politicologues ? Ils s’interrogent sur la performance des uns et des autres – s’agit-il donc de footballeurs ou de chanteurs ? Non : ce n’est pas ça, la politique !

Je m’attendais à ce que deux candidats mis en examen** puissent à peine parler sans qu’on les vilipende ou les brocarde. Rien : ils se pavanent dans un débat où personne, ou à peu près, n’évoque les casseroles qu’ils traînent derrière eux***. Mieux, 83 % de l’électorat de droite n’attache pas plus que ça d’importance à l’honnêteté du cacique à élire (ça tombe bien pour son favori…).

Je m’attendais à ce qu’une candidate qui a pour tout programme la haine de l’autre (tiens, c’est la même) soit clouée au pilori, et à ce que tous ses concurrents dressent contre elle un front commun sur la base du socle républicain. Non, ce qu’elle dit est normal, banal, elle sera au second tour, et alors ? Et vous savez elle peut le gagner… Depuis quelques années, le F haine a tout changé, il est dédiabolisé, il est devenu le défenseur du pauvre, de l’ouvrier, du paysan, de l’écologie, de l’industrie... Il est le peûûûûûple, puisqu’on vous le dit. La seule chose qui ne change jamais au F haine, c’est la haine de l’autre, c’est la faute de l’autre, c’est qu’il faut virer l’autre. Le F Haine est le parti des Démocrates sudistes : le parti des petits blancs contre les négros. Mais tout est normal. « Chère madame… cher monsieur… »

Je m’attendais à ce que la droite haïsse la gauche (le gauchisme de Hollande…) et réciproquement, mais je découvre (articles, et plus encore commentaires) que le système de parenté de l’ethnie a beaucoup évolué : la droite et la gauche haïssent ceux qui ont rejoint le centre, la gauche modérée hait la gauche radicale, la gauche du PS hait le centre du PS, etc., et réciproquement. Finalement, dans cette ethnie, tout le monde hait tout le monde ? Le F Haine a bien travaillé.

Une semaine après le débat des cinq grands candidats (où personne n’avait vraiment performé, disaient les politicologues, hein…), on découvre que Mélenchon a pris 4 ou 5 points dans les sondages ! Diable ! La France se convertit à la gauche dite radicale, elle devient égalitaire, elle est prête à tourner le dos à l’ultralibéralisme sans céder aux sirènes xénophobes et islamophobes ? Mais non : la France a ri à une formule qui a fait mouche : les pudeurs de gazelles sur les malversations de Fillon et de Le Pen !

Si l’élection avait eu lieu aujourd’hui, le résultat aurait été le suivant :

Sondage Cevipof du 4 avril...

Nous devrions élire un abstentionniste.

Pourtant il faudra bien que je me décide… Et je fais encore partie des indécis-mais-passionnés-par-l’élection… Que ferai-je le 23 avril ?… Ma pente naturelle est d’opter pour le cacique Mélenchon (malgré de nombreux désaccords) ou le cacique Poutou (parce que le seul citoyen de la bande). Mais si nous risquons de subir un second tour entre extrême droite et droite extrême, entre détrousseur de l’Assemblée nationale**** et pilleuse du Parlement européen, je voterai pour celui ou celle qui aurait les meilleures chances de l’empêcher. De m’éviter d’avoir à voter blanc le 7 mai.
Quel qu’il soit.

/* Non que ce débat n’ait pas d’intérêt, bien au contraire. Il n’est malheureusement mûr ni pour son promoteur, ni dans ce contexte.
/** L’une ne l’est pas : elle ne se rend pas aux convocations…
/*** Jusqu’à ce que Philippe Poutou rompe l’omerta sous les applaudissements dans le débat du 4 avril.
/**** Fillon a raison : il est présumé innocent et peut être blanchi en justice. Il a tort : il veut être jugé par le peuple. Celui-ci ne lui pardonne pas, aurait-il volé légalement.

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