Péchés de chaires, 22/12/16
Par Dominique Sarr le 22/12/2016, 23:46 - Chronique - Lien permanent
Les églises de Quito, où est née la légende de l’El-Dorado, sont couvertes d’or, jusqu’à l’indigestion à la Compañia de Jesus. La (relativement) très bonne conservation du centre historique de la ville offre un parcours initiatique à l’art baroque au gré de ses églises, de ses chapelles et de ses monastères. J’ai choisi de le suivre avec le petit bout d’une lorgnette*…
Les chaires sont apparues tardivement dans les temples chrétiens. Jusqu’au moyen âge, on utilisait plutôt des ambons, sortes de tribune placée à l’avant du chœur, légèrement surélevé pour porter les lectures et le sermon aux fidèles. Santo Domingo de Quito en offre une survivance baroque, d’ailleurs remarquable, reléguant curieusement une chaire dans le réfectoire du couvent.
Au XIIIe siècle apparaissent les premières chaires, simples tribunes sans abat-voix et sans dossier, souvent accessibles par une porte ménagée dans le mur. Au XVe, elles s’enrichissent d’abat-voix et de dossier. La tribune du réfectoire de San Agustín, chargée de dorures baroques, rappelle ce à quoi elles pouvaient ressembler. Celle-ci a eu un destin éminent : elle a été utilisée pour la déclaration d’indépendance de Quito en 1809 !
Lors de l’époque coloniale, les chaires de prêche sont donc à leur apogée, coïncidant avec l’âge d’or du baroque. La construction de San Francisco commence quasiment à la fondation de la ville (1553). Quito compterait 33 chaires. Cela semble peu, un seul monastère pouvant en comporter 3 ou plus. Il est vrai que certaines n’en disposent pas, telle Santa Barbara, pourtant du XVIe. Une des plus belles est celle de San Francisco, supportée par 3 pantins hérétiques : Arius, Luther et Calvin !
L’ornementation riche, et bientôt excessive, vise à glorifier Dieu… mais aussi sa confrérie, sa paroisse ou son ordre. La chaire, spécialement dans le monde colonial, doit marquer les esprits analphabètes : sa position donne autorité au sermon (les lectures restent faites dans le cœur), sa conception ne doit pas laisser de doute sur la supériorité du dieu des conquérants. Elle est l’expression aboutie du pouvoir ecclésiastique et colonial. Celle de la Compañia (église des Jésuites) en est l’archétype.
Les styles son incroyablement variés, d’une part parce que plus de 3 siècles peuvent les séparer, d’autre part parce que toute époque est bien plus complexe que notre étiquetage : art mudéjar, renaissance, baroque, rococo, classique, s’interpénètrent. La chaire de la chapelle de Cantuña (une vieille connaissance**…) ne comporte aucune statue, c’est un écrin mettant en scène le prédicateur.
Ce luxe n’a guère de raison d’être dans les chaires de réfectoires conventuels. Comme dans le Carmen alto ou la recoleta de San Diego, elles y gagnent un charme incompatible avec le lyrisme ou la grandiloquence de leurs consœurs baroques.
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L’âge d’or des chaires de prêche s’achève. À San Agustín, lorsqu’il faut la rénover dans les années 20, la décoration réduite à sa plus simple expression témoigne d’une crise esthétique. À Santa Catalina, une statue prend place dans la cuve désertée. La volonté d’une église plus proche des fidèles sonne le glas d’un objet d’autorité et d’ostentation. Le concile Vatican II consacre cette évolution en 1965 et revient… à l’ambon médiéval.
Cette magnificence que nous admirons, après laquelle je cours même largement dans mon périple, tout de même, n’est-ce pas, dans une Église qui se veut le soutien des pauvres, un peu… haram ?
Une chaire de Quito au moins ne souffre pas discussion, ni pour son esthétique, ni pour sa signification politico-religieuse, ni pour son coût : la chaise immémoriale du royaume des Quitus, résidence de l’Inca Huayna Cápac, siège de l’Audience royale de l’époque coloniale :
* Sources
Convento maximo Santo Domingo de Quito, collectif, éd. Hoja del Norte
Iglesia y convento de San Francisco, una historia para el futuro, collectif, Instituto nacional de patrimonio cultural
La iglesia de la Compañia de Quito, JL Mico Buchón SJ
Púlpitos quiteños, la magnificencia de une arte anónimo, Ximena Escudero Albornoz
** Le vrai Cantuña, noble de souche inca, ne devait pas sa fortune au diable, mais à l’héritage d’un conquistador qui l’avait pris en pitié et traité comme son fils, après qu’il ait été gravement brûlé lors de la conquête de la ville.