Palenque, 16/10/16

En Amérique hispanique, un palenque est l’équivalent d’un quilombo brésilien : un refuge de cimarrons (de l’espagnol : « vivant sur les cimes ») ou esclaves marrons (coupé par attraction de la couleur...) se mettant à l’abri des recherches des esclavagistes. Le plus célèbre est Palenque de San Basilio, ou simplement Palenque, à 60 km au sud de Cartagena de Indias.

À Cartagena, les Palenqueras se remarquent facilement : vêtues de robes très colorées, elles arpentent les rues de la ville coloniale pour vendre leurs friandises, leur artisanat… Après l’étude des traditions afro-brésiliennes et la rencontre avec les traditions afro-cubaines, j’étais ici à la recherche de traditions afro-colombiennes : j’ai sollicité les conseils d’une Palenquera : Yeimi, d’une adorable gentillesse. Elle m’a parlé de la ville et de son Festival des tambours, tenu cette année du 15 au 17 octobre : une des raisons qui m’a poussé à revenir rapidement à Cartagena.

Yeimi, palenquera, plaza de la Aduana, Cartagena, octobre 2016

Durant ces 4 jours, Palenque est livrée aux groupes folkloriques locaux venus de Barranquilla, de Cali, de Bogotá… Qui dit folklore dit que le meilleur (l’endiablée Fuerza negra de jeunes Palenqueros de Barranquilla) peut voisiner avec le « moyen » : voix à la justesse douteuse et danses de mémères rappelant irrésistiblement Séraphin Lampion. La part du lion reste heureusement aux percussions et aux danses qu’elles rythment.

La furie de la « Force noire » de Barranquilla, Festival des tambours de Palenque, octobre 2016

Palenque, c’est un microcosme : à l’écart des grands axes, la communauté de 4 000 âmes descendantes des cimarrons (et une diaspora 10 ou 100 fois supérieure) a conservé une bonne part de son particularisme.
Sa structure sociale aurait ravi Lévi-Strauss. Comme ses premiers sujets d’étude au Mato Grosso, Palenque est divisée par une ligne imaginaire : les quartiers d’en haut et les quartiers d’en bas. Et comme chez eux, cette division est la base des règles matrimoniales. Ici (au contraire de nombreux villages amérindiens), on ne pouvait se marier qu’avec un partenaire de son territoire. Plus finement, le village est divisé en kuagros* (groupes d’âge) très vivants, chacun doté d’un nom et d’un habit de kuagro : il y en aurait aujourd’hui 400, fondés dès l’enfance jusqu’à la mort, sur la base des classes d’âge d’un quartier.

Réunion de "kuagro", Palenque, octobre 2016

Palenque c’est encore une langue : le palenquero est un créole hispano-bantou, lui aussi assez vivant. Certains indices laissent toutefois penser qu’il s’agit plus d’une marque identitaire que d’un outil quotidien.
Et Palenque, c’est une tradition de rites funéraires directement inspirée du culte des ancêtres africains : le lumbalú, cérémonie funéraire de 9 jours durant lesquels les tambours, encore eux, accompagnaient un défunt dans son nouveau séjour.

Les 5 instruments de base de la musique palenquera : llamador, tambor alegre, marímbula, tambora et maracas, Palenque, octobre 2016

Pour tout dire, je reste sur ma faim. Aux dires de mon informateur, le lumbalú serait éteint ou en voie d’extinction. Quant à l’alborada, cette marche réunissant tous les intervenants du festival de tambours et sillonnant la ville à l’aube du dimanche du Festival, elle a été annulée une première fois pour cause de pluie, puis une seconde le lundi, plus par défaut d’organisation.
Regroupement de cimarrons d’origines très diverses, Palenque (comme plus généralement la Colombie caribéenne et pacifique) a probablement manqué d’un socle ethnique suffisamment homogène pour entretenir et régénérer une culture africaine globale. Il en reste du moins plus que des bribes ; on souhaite les voir vivre durablement dans ce monde d’acculturation mondialisée.

« Parle la langue pour conserver la culture de Palenque. – Mon amie, tu me laves mon linge ? – Attends, je lave d’abord le mien », Collège de Palenque, octobre 2016

J’ai trouvé dans les rues de terre boueuse de cet hivernage nombre quelques étincelles africaines, et notamment celle-ci, qui m’a fait traverser un instant l’Atlantique. Un vieillard est passé devant notre groupe, qui discutait gaiement et passionnément de la culture palenquera ; après nous avoir salués, il s’est subitement mis à chanter. Je l’ai alors vu stupéfait fermer sa main en conque sur l’oreille, avec le geste exact des griottes sérères lorsqu’elles chantent.
À la réflexion, il avait tout d’un vieux Sérère…

* Précisions dans La organización social en San Basilio

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