Torrents de boue, 13/02/17
Par Dominique Sarr le 13/02/2017, 21:47 - Chronique - Lien permanent
Le mois de janvier a été dur pour le Pérou. Conséquence del Niño, les précipitations abondantes sur les Andes ont amené des inondations importantes dans une grande partie du pays. Lima, Ayacucho, Abancay… j’y ai toujours échappé de peu. Je parlais au début du mois de la sécheresse de Piura, où il ne pleut jamais : la ville est aujourd’hui inondée. Or, l’eau l’inonde pas seule ici : les huaycos les accompagnent : des torrents de boue et de pierre qui emportent tout sur leur passage. Les glissements de terrain suivent. On dénombrerait au moins 23 morts. Mais aujourd’hui, les huaycos ne sont pas tous dus à une nature folle…
Je crois être revenu un an en arrière. Février 2016, Rio de Janeiro. On ne parle que du lava jato*. Le Bouygues brésilien, Odebrecht, son Total, Petrobras, et une partie des politiques de tous bords sont impliqués dans le plus grand scandale de corruption de l’Histoire. Décembre 2016 : Quito. J’apprends avec stupéfaction que le Lava Jato a une dimension internationale et qu’Odebrecht a aussi arrosé fonctionnaires et politiciens équatoriens. Janvier 2017. Lima. Les télévisions ne parlent que du Lava Jato péruvien. Ici aussi, Odebrecht a versé des dizaines de millions de dollars pour remporter des marchés litigieux et engranger 4 à 5 fois autant de profits illicites.
Les marchés du métro de Lima, de la liaison transocéanique, le gazoduc du sud Pérou… sont frauduleux. À Cusco, on s’interroge sur la voie express et la voie de contournement construites par la multinationale brésilienne…
Plusieurs anciens présidents pourraient être impliqués : Alan García (social-démocrate, 2006-2011), Ollanta Humala (gauche nationaliste, 2011-2016) sont cités. Alexandro Toledo (droite, 2001-2006) est inculpé, en fuite, et depuis hier sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Je rappelle que l’ancien président Alberto Fujimori (droite populiste, 1990-2000) purge déjà 6, plus 7, plus 8 ans de prison pour des faits similaires. Plusieurs dizaines de hauts-fonctionnaires et d’anciens ministres sont incarcérés, inculpés ou font l’objet d’une enquête.
C’est naturellement un traumatisme au Pérou. Inutile de dire l’état de la confiance des Péruviens dans leur classe politique. Assez pour que PPK (Pedro Pablo Kuczynski), le président actuel, ait lancé hier soir un message solennel à la nation, et présenté une série de 8 mesures destinées à empêcher à l’avenir ce type de pratiques : clause anti-corruption des appels d’offre, résiliation de tous les contrats frauduleux, remboursements à l’État péruvien, etc. Ces mesures seront-elles efficaces ? Elles paraissent du moins crédibles. L’administration actuelle pourrait-elle être à son tout impliquée ? La confiance populaire peut-elle être restaurée ? Beaucoup de questions et peu de réponses.
Encore les sommes en cause au Pérou sont-elles loin de celles évoquées pour le Lava Jato au Venezuela, à Saint-Domingue, à Panamá…
PPK a dit hier soir à voix haute ce que tout le monde suspecte : « L’affaire Odebrecht est sans doute la plus importante mais ce n’est pas probablement pas la seule ». Nous n’avons pas fini d’entendre parler des torrents de boue qui ont inondé le Pérou et, au-delà, l’Amérique latine et l’Afrique.
* En concurrence avec le zika et la microcéphalie : en revanche, tout le monde a oublié ces derniers…