Arroyo Naranjo, 09/07/16
Par Dominique Sarr le 10/07/2016, 00:21 - Chronique - Lien permanent
Arroyo Naranjo (« Ruisseau de l’oranger »), c’est une municipalité de la banlieue de La Havane, à une douzaine de kilomètres du centre, mais jouxtant l’aéroport José Martí, où on vend en duty free aux prix de Roissy ou d’Heathrow. La commune est très étendue et comptait 210 000 habitants il y a dix ans…
C’est au moins en partie un semi-bidonville, comme il en existe dans toutes les villes du sud – et parfois maintenant aussi au nord : y règnent la misère, l’insalubrité, les trafics. Les amis qui l'habitent m’y ont interdit de sortir seul, même la journée : il y a un mois, un muchacho a été abattu tout près de là en plein jour. Ce n’était pas le premier. Histoires de trafic de drogue, sans doute. Cuba s’ouvre au monde moderne.
Yenis, 28 ans, vit ici avec sa mère Marisel, dans le « Conseil populaire » de la Güinera ; toutes 2 travaillent dans l’administration d'un hôpital. Le demi-frère de Yenis, Nicel, est élevé par sa mère et va à l’école primaire. Durant les vacances, il accompagne sa mère à l’hôpital. Deux tantes de Yenis habitent à côté, l’une dans une maison assez bien construite, l’autre dans une cabane devant le quintal commun. Yenis a une autre sœur, mariée près de là. À ce que j’ai compris, leur père vit maintenant en habitant tour à tour chez diverses maîtresses. Elle le voit assez souvent et cela n'a pas l'air de la choquer.
Comme à Dakar ou dans beaucoup d’autres villes, on économise sou par sou pour construire sa maison et on bâtit un mur, une chambre, selon le rythme des rentrées d’argent. Comme à Saint-Domingue ou ailleurs, il n’y a pas toujours de quoi payer la facture d’eau et il faut parfois se débrouiller pour en trouver ailleurs. On habite la maison quand le gros œuvre d’une ou deux pièces est achevé. Un seau fera office de douche et de chasse d’eau pendant quelques années. Le crépi et à la peinture sont un luxe.
Mais ici, curieusement, on éteint rarement les lumières – il n’y a pas d’interrupteur pour certaines lampes. On allume la télévision en se levant, on l’éteint en se couchant – si on ne l’oublie pas. Les climatiseurs, chez les riches (et même : avec les fenêtres ouvertes) ou les ventilateurs, chez les pauvres, fonctionnent à peu près en permanence. Ceci ne peut vouloir dire qu’une chose : que l’électricité ne coûte rien. Ou plutôt, que cette gabegie coûte une fortune à l’État et autant au réchauffement climatique.
On passe du temps à se parler le soir, on boit beaucoup de rhum et de bière. On verse même le rhum dans les canettes de bière, vides ou non, je l’ignore. Et comme à Bogota ou dans toutes les banlieues latinos, les ongles des femmes rivalisent de créativité…
Enfin, Marisel et Yenis font vivre avec courage la famille. Marisel complète ses fins de mois en achetant du rhum au litre et en le revendant au détail ; elle fait des économies en se passant de portable, rare en cela. Quant au téléphone fixe, il est inconnu par ici. Yenis, elle, fait études sur études pour s’en sortir. Mais elle ne veut pas entendre parler d’enfants. Allez savoir pourquoi ?