Paysans cubains, 15/07/16

En 1964, Mikhaïl Kalatozov, tourne Soy Cuba, premier film né de la coopération soviéto-cubaine*. Ce qui n’aurait dû être qu’un film de propagande déconcerte suffisamment les autorités des 2 pays pour qu’il soit censuré. Le film est pourtant un chef d’œuvre : tant pour ses images brûlées mais somptueuses de champs de canne et de palmiers que pour l’intensité avec laquelle il montre la vie des Cubains autour de la révolution.
Depuis 50 ans, peu de choses, en apparence, ont changé dans la campagne cubaine… Pour la connaître – et admirer les mogotes, ces formidables formations calcaires qui surplombent la vallée –, j’ai sillonné les environs de Viñales, de República de Chile, de Los Hoyos de San Antonio en camion-bus, en charrette, à pied...

Une ferme sous les mogotes, Viñales, juillet 2016 -

La région est fertile. On s’y consacre à toutes sortes de cultures et d’élevages vivriers, mais on y pratique aussi une culture polyvalente pour la vente, dans laquelle domine le tabac le plus réputé de Cuba.

Les feuilles de tabac sont presque sèches. Los Hoyos, juillet 2016

Mais les fruits y sont aussi produits en grande quantité, notamment des ananas, des papayes, des bananes…

Plantation de papayers, Viñales, juillet 2016

… ainsi que des tubercules, au nom générique de vianda dans les Caraïbes hispaniques (le manioc, le taro)…

Champs de manioc et de maïs, República de Chile, juillet 2016

… comme du maïs, et du riz que l’on sèche sur ou au bord des routes.

Séchage du riz, Viñales, juillet 2016

Quand au transport, tous les moyens sons bons : le plus curieux est cette carreta, traîneau tiré par des bœufs et d'une maniabilité douteuse…

Viñales, juillet 2016

Les paysans ont le droit de chasser et de pêcher, mais pas d’y convier les étrangers. Ils ne peuvent non plus loger ceux-ci sans les formalités très strictes des casas particulares, dont le coût serait plus élevé que le gain d’hébergements occasionnels.

Ici, des « jutías » (rat poilu ou hutia cubain), Los Hoyos, juillet 2016

Voici une famille paysanne. Rodrigo et sa femme Elvira n’ont jamais quitté leur village ; bientôt octogénaires, ils travaillent toujours, l’œil vif, et curieux de tout. Leur fils, Miguel (que tout le monde connaît comme Palomo), est resté avec eux et avec son fils lorsque sa femme l’a quittée pour aller vivre à Viñales. Ils vivent sobrement, mais dans un paysage de rêve, du produit de la terre… Ce jour-là, Isaura, sa fille, 28 ans, a fait ses bagages à República de Chile, dans la maison de son second compagnon, qu’elle venait de quitter ; elle allait pour l’instant vivre chez sa mère à Viñales.

Rodrigo, Isaura, Palomo, Elvira. Los Hoyos, juillet 2016

C’est ainsi que les hommes vivent… Leur vie est dure. Mais les liens entre toutes ces familles plus ou moins apparentées sont étroits, ils se soutiennent et puisent chez les autres leur force et leur joie de vivre. J’ai rarement vu un car aussi gai que le camion pris entre Viñales et Los Hoyos, bondé d'ouvrières agricoles du tabac qui allaient rejoindre leur travail, dans les moqueries et les éclats de rire.

La Coopérative de Production d’Agroélevage República de Chile est aussi devenue une cité dortoir à la soviétique, juillet 2016

L’économie de l’agroélevage est publique. Je vais simplifier un peu : les paysans cubains sont autorisés à garder ou à vendre 10 % de leur production. Les 90 % restant sont cédés à Tabacuba pour le Tabac, à la coopérative pour les autres productions, à 20 % du prix du marché : la terre appartient à l’État. La Coopérative leur fournit les semences, du matériel et leur loue les machines, le tout à un bon prix.

Réunion de travailleurs du tabac, Viñales, juillet 2016

Comme tous les Cubains, ils disposent d’une carte d’alimentation qui leur donne droit « pour une misère » au riz, au manioc, à la viande, au pain, etc. mensuels de la famille. Mais elle ne suffit pas à la première semaine, et tout n’est pas sur la carte : il faut acheter le reste au prix fort.

Comme dans les campagnes à Saint-Domingue, la cuisine et les chambres sont séparées, ici par une terrasse qui fait office de salle de réception. Los Hoyos, juillet 2016

Pour certains (je suspecte que ce soient les jeunes…), cette organisation collective pilotée en dernier ressort par l’État est synonyme d’intrusion et de spoliation ; pour d’autres (les vieux, ceux qui ont connu la république bananière et la dictature de Fulgencio Batista), avec la réforme agraire et la mise en œuvre de solutions collectives, cela va beaucoup mieux maintenant.
Une info pour finir, : si vous venez dans la région, à la campagne tout le monde se salue, connaissances comme inconnus, mais le Hola latino y laisse la place au Yo : le yo de yogourt, juste avec un o traînant…
Alors… Yoooo !

(*) DVD disponible. À voir aussi pour un Jean Bouise égal à lui-même en « gentil » colonialiste.

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