Belém, 23/03/16

Il en est des villes comme des gens : on n’a jamais le même rapport avec deux d’entre elles, parce qu’aucune n’est semblable, parce qu’on est jamais ce qu’on était l’instant d’avant. São Luís, je n’ai craqué pour elle qu’en partant, malgré le charme de ses rues anciennes. Belém, j’ai subi son choc dans l’instant, à peine avais-je foulé le sol de son port et de son marché, le Ver-o-Peso (« Voir-le-poids »…).

Paul Thibaud disait, à propos de Marseille, que certaines villes ne sont pas seulement des villes, qu’elles ont une âme… Cela n’a rien à voir avec leur urbanisme, leur architecture, leur beauté, leur charme. Ce quelque chose en plus, cet indéfinissable éclat d’amour, Belém le recèle comme Marseille.

Baia do Guajará, Belém, mars 2016

Pourquoi ? Pour y sentir instantanément qu’on est dans la vraie vie, qu’on mesure sa souffrance, pour ce mélange de nonchalance et de turbulence ? Hier soir, deux femmes ont passé une heure à lessiver de fond en comble leur cantine à bière du Ver-o-Peso, une de ces innombrables cantines qui surplombent la baie du Guajará (en réalité l’estuaire du Guamá mêlé à ceux du Tocantins et de l’Amazone). Pourquoi tant de fièvre ménagère, dans un marché assez sale pour qu’un Canadien n’y pose jamais un orteil ?

Marché municipal, Ver-o-Peso, Belém, mars 2016

Ver-o-Peso est à lui seul une ville, aux blocs bien organisés, aux étals de fruits luxuriants et inédits, aux gargotes servant (aussi) la cuisine amazonienne : tacacá, maniçoba, pato no tucupi… Le Marché de fer concentre tous les poissons inconnus des Amazones, le Marché municipal – fonte venue d’écosse – accueille les étals des bouchers…

Marché de fer, Ver-o-Peso, Belém, mars 2016

À côté, le port ; on se dit que c’est Honfleur, en moins joli… Mais voilà, c’est Belém, avec son je-ne-sais-quoi qui vous prend aux tripes. Des bateaux de pêche y rentrent à la nuit : de quoi parlent tous les pêcheurs qui restent là par petits groupes, sur leur pont ou sur le quai, une bonne partie de la soirée ?

Port, Belém, mars 2016

Il faut ouvrir les yeux, mais dans la vieille ville et au-delà, Belém compte nombre de demeures anciennes d’un style rappelant São Luís. On doit à Antônio José Landi, architecte originaire de Bologne, la plupart des monuments intéressants de la ville coloniale : la Maison aux onze fenêtres, le Palais Lauro Sodré, l’Hôtel des douanes et surtout un bel ensemble d’églises du baroque tardif : la Cathédrale, São João Batista, Sant’Anna, le Rosaire des hommes noirs, Notre-Dame das Mercês et la plus belle, la seule affichant sa pierre nue : l’Église du Carmo.

Ruines du moulin de canne à sucre de Murucutu (chapelle), Belém, mars 2016

Et puis, et puis… Enfin, c’est Belém, à qui on pardonne tout, sa saleté, sa déconstruction, sa chaleur poisseuse, ses pluies incessantes. Et jusqu’à ces rails pleurant partout leurs tramways disparus…

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