Frontières, 13/09/16

Un livre récent* fait l’apologie des frontières, lieu de rapprochement des peuples : « Au commencement de toute civilisation est la frontière. » Il faut être poivrot du paradoxe et shooté au non-sens pour raconter des trucs pareils. Son auteur aime les frontières ? Je lui suggère des allers et retours à travers les 7 pays d’Amérique centrale**…

Fidèle à mes principes, je souhaitais rejoindre la Colombie à partir du Mexique en bus. J’ai dû y déroger 2 fois : les pays d’Amérique latine demandent un billet de sortie du territoire pour y entrer (sans visa)***. Je me suis donc (inutilement) muni d’un billet México-Guatemala pour ne pas être bloqué au départ de Cuba. Et (utilement) d’un billet Panamá-Medellín pour entrer au Panamá. À vrai dire, une autre raison y incite dans le 2e cas : il n’y a pas de route à travers le bien nommé Bouchon de Darién et les narcotrafiquants y font la loi**** ; certains n’en seraient jamais revenus…

Restait donc à suivre la mythique panaméricaine entre Guatemala et Panamá : à peine 2 000 de ses 25 000 km, seulement interrompus par le Bouchon de Darién. Elle en vaut vraiment la peine, serpentant au milieu des innombrables volcans émaillant la Cordillère centrale du Guatemala au Costa Rica, ou suivant la plaine côtière du Pacifique, ou retrouvant les paysages accidentés et les cascades du Panamá : elle y aboutit en vision d’apothéose, franchissant son canal par le pont des Amériques.

Le « volcán de Agua, en activité, au-dessus d’Antigua Guatemala, août 2016

Première étape en ce qui me concerne : Guatemala-León, via le poste-frontière de San Cristóbal pour entrer au Salvador : le temps que tombe la nuit, puis il faut dormir à San Salvador : impossible d’y rouler la nuit, pour raisons de sécurité… vient ensuite le poste-frontière d’El Amatillo à l’entrée du Honduras, le temps que se lève le jour. À vrai dire, les 4 pensums de chaque frontière demandant environ 2 heures et la traversée du Honduras se faisant en 2 heures, je connais mieux ses frontières que le pays… Enfin, après avoir admiré le golfe de Fonseca, nous abordons l’ultime épreuve : le poste-frontière de Guasaule avec le Nicaragua.

Crépuscule romantique sur la frontière nicaraguayo-costaricienne, septembre 2016

Le plus fort, c’est que ces 4 pays : Guatemala, Salvador, Honduras et Nicaragua sont non seulement membres du SICA (Système d’intégration centraméricain, regroupant les 7 pays d’Amérique centrale), mais de plus signataires de la Convention de libre circulation centraméricaine***** : je n’en ai vu aucune conséquence concrète.
Seconde étape 12 jours plus tard : Granada-Panamá… Après avoir longé le lac Nicaragua et les 2 volcans de l’île d’Ometepe, nous entrons au Costa Rica à Peñas Blancas. Le quart d’heure annoncé pour le contrôle de police du Nicaragua se transforme en 1 h et plus : un passager a fait exploser les 3 mois de présence autorisés et on ne le laisse pas partir – donc nous non plus – avant qu’il ait payé une amende plutôt salée…

Les 2 volcans de l’île d’Ometepe sur le lac Nicaragua, septembre 2016

Comme pour El Salvador, je vois peu de choses du Costa Rica, si ce n’est la nuit tomber sur le poste de Peñas Blancas en quittant le Nicaragua puis le jour se lever sur celui de Paso Canoas en entrant au Panamá. Et enfin : après 46 h de bus cumulées, nous arrivons au terminal d’Albrook, à l’heure pile ; c’est la première fois que je vois ça en Amérique latine !

L’entrée du canal de Panamá vue du pont des Amériques, route panaméricaine, septembre 2016

Je n’ai jamais vu les flots de latinos remontant vers le nord et dont les images font le tour du monde. Cela ne veut certes pas dire qu’il n’y en a pas. On m’avait aussi annoncé une cohorte d’Africains entrés au Costa Rica et bloqués à la frontière nicaraguayenne. Eux, je les ai bien vus, mais une frontière plus loin, bloqués à l’entrée du Costa Rica. Comment sont-ils arrivés au Panamá ?

Migrants africains bloqués à la frontière panaméo-costaricienne, septembre 2016

Les 7 pays d’Amérique centrale auraient tout intérêt à s’unir, bien plus que dans le vaporeux SICA : pour donner un coup d’accélérateur à leur économie ; pour peser face à leurs grands voisins colombien et mexicain, et plus encore face aux États-Unis ; enfin imagine-t-on ce que la masse de travail et l’énergie gaspillée dans ces contrôles de frontières internes, bureaucratiques, tatillons et inefficaces, pourrait produire, réaffectée à une véritable lutte contre le narcotrafic ! Mais bien sûr, ce ne serait du goût ni des financiers panaméens ni des potentats locaux…

* Frontières, Olivier Weber, éd. Paulsen, mai 2016
** Sept pays que tout rend inégaux :

Les 7 pays d'Amérique centrale en chiffres...

*** J’avais lu que cette exigence était contrôlée à Cuba (à la délivrance du visa) et au Panamá (lors de l’achat du billet aller). On l’a tout de même vérifiée à mon entrée au Costa Rica, et on a tenté de le faire au départ pour la Colombie, heureusement sans insister.
**** Une possibilité existe bien par la mer : franchir sur une barque de pêcheurs la dizaine de kilomètres séparant Puerto Obaldia (Panamá) et Capurgana (Colombie), mais… il n’y a non plus de route ni d’un côté ni de l’autre. Nori, Japonais rencontré à Panamá, l’a pourtant fait dans l’autre sens : compliqué, mais possible.
***** Le C4-A, « espace Schengen centraméricain », établit un espace de libre-circulation pour les citoyens de ces États, et les non-ressortissants peuvent passer 3 mois dans l’ensemble des 4 pays sans visa.

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