Vie violence, 1/2

Medellín (prononcer Mededjín, à l’argentine), ses banlieues comme Envigado, sa région (Antioquia) ont un lourd passif avec la violence. La « ville de l’éternel printemps », près de 4 millions d’habitants, n’aimerait pas qu’on dise qu’elle en a été la capitale. Et pourtant Medellín a tout vu, tout subi.
Le 24 août, des accords de paix ont été conclus à La Havane entre le pouvoir et les FARC. Ils doivent être signés à Carthagène le 26 septembre, puis validés par référendum le 2 octobre. Qu’en est-il : la paix règne-t-elle vraiment ?…

Vie violence ça va de pair
Les deux se balancent paradis enfer
Vie violence chair contre chair
Dansent les cadences d’un tango pervers*

L’ami Claude donne le la. Je voudrais tellement qu’il se trompe. Mais la violence et la mort sont consubstantielles à la vie. Peut-être plus encore à la Colombie. Peut-être plus encore à Medellín…

Le massacre du 9 avril (1948), Debora Arango, Museo de arte moderno de Medellín, septembre 2016

Rappelez-vous : tout a commencé avec l’assassinat du leader de la gauche Jorge Eliécer Gaitán, le 9 avril 1948, et la période de La Violencia qu’il a déclenché. Elle a été suivie par celle du Conflit armé : guérilla des FARC, de 1964 à 2016, guérilla de L’ELN, depuis 1964, guérilla du M19 entre 1974 et 1990… Les groupes paramilitaires leur ont répondu au centuple à partir des années 80, avec le soutien passif ou actif des autorités. Et parallèlement, les cartels de la drogue – en premier lieu le cartel de Medellín – ont fait leur propre loi entre 1975 et 2010. Mais tous les groupes se sont plus ou moins financés avec la drogue, et se combattaient en s’alliant souvent avec les mêmes narcotrafiquants…

Paysans massacrés à Samaná, sud de Medellín, en 2004. Photo Alberto Lopera, Casa de la Memoria, Medellín, septembre 2016

Après les 150 000 morts de La Violencia, le conflit armé a généré 220 000 morts, 25 000 disparus, 27 000 séquestrations, 5 700 000 personnes déplacées pour l'ensemble de la Colombie** (les cartels auraient pour leur part fait ou subi 30 000 morts entre 1984 et 2007). Je ne vais pas distribuer les bons et les mauvais points – pas plus que renvoyer tout le monde dos à dos. C’est juste la réalité, une réalité dans laquelle les civils ont constitué 81 % des pertes**. Le superbe palmarès de ces années ? En voici un exemple (parmi d’autres, largement concordants) :


Pablo Escobar est mort en 1992. Les paramilitaires ont été démobilisés entre 2003 et 2006. En 2016, la paix est signée avec les FARC.

La mort de Pablo Escobar (1999), Fernando Botero, Musée d’Antioquia, Medellín, septembre 2016

Pour les habitants de Medellín, c’est un peu plus compliqué que ça. La souffrance, les absences cruelles, la volonté de se reconstruire se lisent ici partout : sur les visages lourds, sur les visages qui s’illuminent au mot Paix, dans tous les médias, à la Fête du livre, dans l’omniprésence de l’armée, de la police et des vigiles privés, dans les tableaux de Fernando Botero, de Pedro Nel Gómez, de Debora Arango***, et bien sûr à la Casa de la Memoria, dont c’est la vocation… Partout.
Comme les mères de la place de Mai en Argentine, les mères de l’église de la Candelaria se battent depuis 17 ans : elles se battent pour savoir, pour retrouver les disparus, pour faire leur deuil, pour transmettre la mémoire...

Des dizaines de mères de la Candalaria se battent pour la mémoire de leur proches, Casa da Memoria, Medellín, septembre 2016

À la Casa de la Memoria, on travaille dur sur tout cela, à panser les plaies, à imaginer une vie sans violence. Pour Pedro, la Casa n’est pas qu’un travail : c’est son histoire, l’histoire d’un homme chassé d’une terre où son frère, lui, a perdu la vie.
Alors, la paix ? Tant mieux ! Au-delà des calculs politiques du et du No, il faut espérer de tout cœur que le plébiscite du 2 octobre la valide.

Restitution de corps en 2011, Photo Natalia Botero, Casa de la Memoria, Medellín, septembre 2016

Mais avec l’ELN, la paix n’est toujours pas faite. Mais dans le quartier de Manrique, où tout évoque Carlos Gardel****, la puissante Terraza a repris le négoce en friche de Pablo Escobar. Mais dans celui de la Comuna 13, en creusant des fondations, on déterre encore les victimes des massacres des paramilitaires et de l'armée. Mais les mines antipersonnel ne sont pas toutes désamorcées. Et nulle part, pour les survivants, pour les cohortes de déplacés, la paix ne donne de pain.
Qu’est-ce que la paix sans pain ? me demandait Pedro.

Famille prête à se défendre (1951), Pedro Nel Gómez, Casa Museo Pedro Nel Gómez, Medellín, septembre 2016

* Vie violence (1993), Paroles : Claude Nougaro, Musique : Richard Galliano
** Chiffres provisoires en mars 2013 : Rapport du Centre national de mémoire historique, août 2013
*** Trois artistes mythiques de Medellín. Le Museo d’Antoquia et la place Botero pour le premier (1932), la Casa Museo Pedro Nel Gómez pour le second (1899-1984) et le Museo de arte moderno de Medellín pour Debora Arango (1907-2005) valent à eux seuls le voyage.
**** Medellín s’est pris de passion pour Carlos Gardel, après le crash de son avion au décollage de la ville en 1935.

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