2 femmes à 4 mains, 23/09/16
Par Dominique Sarr le 23/09/2016, 17:21 - Chronique - Lien permanent
Elles ne se connaissent pas. Leurs vies se sont simplement croisées, sans qu’elles puissent s’en douter.
Valérie est française et a ouvert avec une amie colombienne un restaurant français à Cartagena de Indias – perle de la côte caraïbe…
Carolina est chilienne et a ouvert avec une amie française un restaurant latino à Bourg, capitale de la Bresse – et donc de la meilleure volaille du monde…
Et le résultat est dans les 2 cas une réussite…
C’était un peu gonflé : venir d’Iquique, à 2 pas du désert de l’Atacama, dans une région qui a longtemps compté la plus haute densité de bonnes tables de France (celles des mères bressanes). Et pourtant, L’Accent latino est à mes yeux aujourd’hui le meilleur restaurant de la ville.
Le pari de Valérie était peut-être plus calculé qu’audacieux : le choix de Cartagena de Indias, première destination touristique de Colombie était malin (ou tout simplement amoureux ?). Mais réussir ne se calcule pas : pour faire du Montmartre ce qu’il est, il fallait surtout du talent, non seulement pour la cuisine, mais pour tout ce qui sépare le bon cuisinier amateur du patron d’un bon restaurant.
Le talent, Carolina et Valérie l’ont en commun : la première qualité du Montmartre et de L’Accent latino est qu’on y mange très bien. Toutes deux ont le bon goût de proposer à midi un menu très abordable : 6.5 € au Montmartre (09/16 – ce pourrait être un repas… « cher » pour la Colombie (!), ça ne l’est vraiment pas dans la Cartagena coloniale), 13.50 € à L’Accent latino (06/16 – le prix d’un repas ouvrier) : leur rapport qualité-prix est excellent. Et toutes deux ont été servies par saint Laurent*** : elles ont rencontré la bonne personne pour faire tourner la boutique avec elle. L’histoire de chacune est aussi l’histoire d’une rencontre, et peut-être est-ce à cette rencontre qu’on doit la chaleur humaine immédiatement perceptible dans le bistrot comme dans l’estanco…
Le plus de L’Accent latino, c’est la créativité. Carolina réinvente chaque jour ses recettes, dont certaines viennent de sa lointaine grand-mère, selon le marché, selon l’humeur, selon l’éclair qui l’a traversée au réveil. Et ne vous avisez pas de demander la carte : il n’y en a pas. Il faut vous laisser faire, Carolina ou Sandrine vous apportent les 3 plats du seul menu en vous susurrant dans le creux de l’oreille l’histoire de la recette et ses surprenants ingrédients.
Le plus du Montmartre, c’est l’ambiance de la butte, pas la pacotille pour touristes comme dans trop d’adresses montmartroises, celle d’un bistrot sympathique où on a envie de partager une bonne bouffe entre amis. Ni le sourire de Valérie et de Sindy, ni le sobre et intime décor parisien, ni les verres élégants qui n’attendent qu’un bon vin, ni les voix de Piaf ou de Zaz : rien n’y manque…
Si, au-delà de leur charme, j’adore ces endroits que toutes quatre ont su créer, peut-être est-ce aussi parce que je m’y reconnais ? Carolina comme Valérie ont traversé la moitié du monde pour aller au bout de leurs rêves, elles ont laissé beaucoup derrière elles pour rencontrer une culture qui n’était pas la leur mais, aussi loin soient-elles, elles continuent à cultiver leurs racines : elles savent qu’on ne peut rien attendre des autres si ne leur donne pas aussi ce qu’on est ; elles savent que les racines n’ont d’intérêt que si on les entretient dans la confrontation créatrice avec les racines de l’autre.
Finalement, la vie est une auberge latino : on y conquiert des trésors infinis si on y répand son propre trésor…
* L’Accent latino, 5 rue du Dr Ébrard, Bourg-en-Bresse, +33 6 51 11 91 87 (réservation nécessaire)
** Le Montmartre, calle del Santísimo #8, Centro histórico, Cartagena de Indias, +57 312 444 2910
*** Saint Laurent de Rome est le patron des cuisiniers. Forcément : il est mort sur un grill. :(