La paix est signée, 26/09/16

Il est 17 h 50 à Cartagena de Indias lorsque Rodrigo Londoño, dit Timochenko, le commandant en chef des FARC, puis Juan Manuel Santos, le président colombien, apposent leur signature sur l’accord de La Havane. 52 ans de conflit armé viennent de prendre fin…

Cartagena est déserte, livrée aux hommes en blanc, 26 septembre 2016

Depuis 3 jours, la ville vivait sous tension et on s’activait aux préparatifs de la signature de l’accord de paix avec les FARC* : quadrillage policier, survol permanent par les hélicoptères, restrictions de circulation (tout le centre interdit aux motos…), installation du show au Centre de conventions…
Aujourd’hui, la journée est chômée. Le centre est interdit à toute circulation, bouclé ou filtré pour les piétons selon le lieu ; plusieurs hectares autour du Centre de conventions ne sont accessibles que sur accréditation, même pour… les écrans géants. Cartagena est une ville morte ; la population est totalement tenue à l’écart de l’événement proclamé historique.

La ville est bouclée par d’innombrables barrages ou check-up, Cartagena, 26 septembre 2016

La cérémonie s’ouvre un peu après 17 h, avec l’entrée en scène des signataires, de Ban Ki-moon et des 15 chefs d’État qui les accompagnent : de la Chilienne au Mexicain, de l’Espagnol à la Suédoise, du Cubain au Péruvien… Tous de blanc vêtus, assistance comme officiants : seul le drapeau colombien colore la scène. Le temps le plus fort est celui du pardon historique demandé aux victimes par Timochenko. C’est d’autant plus louable que les paramilitaires ont fait bien plus de victimes que les FARC**. Santos se fait lyrique et salue « Les femmes et les mères qui, au milieu des larmes, ont ouvert le chemin de la paix ». L’un vise à rebondir, l’autre vise l’Histoire. L’émotion est forte et l’Hymne à la joie la conclut.

Santos-Timochenko-opt

La paix est signée. Qui connaît le contenu des accords ? Pas les médias français, apparemment… En Colombie, le pouvoir diffuse des résumés discrets sur ce qui l’embarrasse. Les 297 pages de l’accord final de La Havane comportent 6 points : I. Réforme agraire « intégrale » (1re raison d’être des FARC) ; II. Vie démocratique et réconciliation (garanties…) ; III. Modalités du cessez-le-feu, de la remise des armes (à l’ONU…) et réintégration à la vie politique (5 sièges de député et 5 de sénateur garantis 2 législatures…), économique et sociale ; IV. Lutte contre les drogues illicites (culture de substitution, engagements…) ; V. Victimes du conflit (responsabilités, reconnaissance, sanctions et amnisties, réparation…) ; VI. Mécanismes d’application et de contrôle.

L’original de l’accord et les signatures du 24 août à La Havane

Globalement, c’est un très beau programme. Presque un programme d’union nationale… On peut rendre hommage à Juan Manuel Santos : homme de droite, ancien ministre de la Défense du va-t-en-guerre Álvaro Uribe, il a compris que la paix était une nécessité historique et qu’il fallait en accepter le coût. Est-ce un effet d’aubaine pour des FARC en perte sensible de vitesse ?
La grande question est de savoir comment les accords seront respectés. Les contractants semblent sincères : jusqu’où le sont-ils ? Quelle confiance se font-ils l’un à l’autre ? « Personne ici n’a renoncé à ses idées », a justement dit Timochenko : s’en tiendront-ils au combat démocratique ? Quelle capacité de nuisance gardent les irréductibles des 2 bords ?

Centre de presse, conférence de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, Museo naval, Cartagena, septembre 2016

Reste l’épreuve du référendum du 2 octobre. Il n’est pas gagné. Contrairement à ce que je ressentais à Medellín, aucun des cartageneros que j’ai interrogés n’ira voter : ils ne croient pas en la politique, et pas plus en leur gouvernement qu’en les FARC. Dans la rue, on arbore presque autant d’autocollants Voto No que d’autocollants Voto Sí : pas fameux, vu l’engagement de l’appareil d’état pour le Oui. Le « castro-chavisme » est ici un repoussoir. Les anciens paramilitaires et les populistes, derrière Álvaro Uribe, continuent de bourrer les crânes et la population miséreuse achète leurs injures et leurs sophismes pour de la pensée.

Beaucoup vivent mal et ne comprennent pas qu’on donne "autant d’argent aux délinquants"… Loma Fresca, Cartagena, septembre 2016

Une mesure a surtout du mal à passer : les 7 à 8 000 ex-guérilleros des FARC vont percevoir chacun une dotation de 600 € à l’issue de la normalisation, puis un revenu garanti de 190 € par mois durant 2 ans (en l’absence d’autre revenu)***. Ceci ne représente au pire « que » 40 millions d’euros (le coût de la gabegie d’un seul projet informatique de GDF), mais l’indemnisation des victimes n’est chiffrée nulle part (et pour cause : 6 à 8 millions de Colombiens – orphelins, déplacés, otages, etc. – peuvent se prévaloir d’un préjudice) et, dans un pays où la misère est endémique, cela fait jaser.
On peut donc penser que l’abstention, véritable enjeu du scrutin, sera élevée, la voix de la raison devant malgré tout l’emporter.

"Et toi, que vas-tu faire de ton vote ?" Cartagena, 26 septembre 2016

* Forces armées révolutionnaires de Colombie, marxisantes.
** Voir Vie Violence. En 1985, les FARC étaient revenues au terrain politique et avaient fondé l’Union patriotique : plusieurs milliers de militants et sympathisants avaient été massacrés.
*** Soit respectivement : 3 salaires minimum, puis 90 % du salaire minimum.

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