L’axe du café

Je n’en ai que peu parlé dans le post « Quand est-ce qu’on mange ? », mais cela n’étonnera pas grand monde : l’autre religion de la Colombie, c’est le café. La carte du café de Colombie suit celle de la cordillère des Andes. Logique, le café se cultivant entre 1 200 et 2 300 m d’altitude. On y distingue les 3 cordillères : Orientale, Centrale et Occidentale, séparées du sud au nord par la dépression du rio Magdalena et par la vallée encaissée de son affluent, le rio Cauca.

Nombre et saisons de récoltes de Café en Colombie selon la région
Au contraire du Brésil, qui ne s’y est mis que sur le tard, la Colombie a toujours exclusivement cultivé l’arabica[1], et la puissante Fédération nationale du café veille à l’amélioration de la productivité et de la qualité des plants et de la culture, ce qui peut être en soi une contradiction, mais la réputation du Café de Colombie n’est pas surfaite.

L’eje cafetero

L’eje cafetero (« axe du café ») occupe 3 petits départements du centre des cordillères Occidentale et Centrale (Caldas, Riseralda et Quindio), et le nord de deux autres (Valle del Cauca et Tolima). C’est le sud de la région « paisa » : la grande région de Medellín.
C’est une des régions caféières les plus importantes de Colombie : on récolte un tiers de la production nationale dans ces 5 départements. Mais le département du Huila en fournit à lui seul 18,4 % et celui d’Antioquia (Nord paisa) 15,8 %[2].
Ce n’est pas exactement la région produisant la plus haute qualité. Les meilleurs cafés que j’ai bus personnellement sont ceux du Huila et un café bio de la Sierra Nevada de Santa Marta : ils pouvaient rivaliser avec les magarogypes du Guatemala et du Nicaragua, réputés les meilleurs du monde.
Mais plus encore que sa production, ce qui assoit l’aura de l’eje cafetero, c’est en fait son charme et sa culture, qui lui a valu la reconnaissance au patrimoine de l’humanité par l’Unesco. Ses pentes offrent des paysages de rêve. Les plantations verdoyantes de caféiers y sont surveillées par les casas fincas (« corps de ferme »), lieux d’habitation de leurs maîtres et de travail de leurs ouvriers, pour la plupart saisonniers.

La couleur jaune des cerises de café indique une variété bourbon, qui tire son nom de l’île Bourbon (aujourd’hui la Réunion), où les Français l’avaient acclimaté au XVIIIe siècle depuis le Yémen. Palestina, août 2017

Villes et campagne

Les paysages ne manquent pas de variété. Selon la région, les plantations sont mixtes, les bananiers plantain offrant un peu d’ombre aux caféiers, ou séparées, le plantain étant toujours cultivé d’une façon ou d’une autre. Les arbustes sont souvent serrés dans les plantations anciennes, alors qu’aujourd’hui on semble les éloigner pour faciliter, voire mécaniser, l’entretien et la récolte. Un autre élément caractéristique de ces paysages (mais présent du Mexique à l’Argentine) est le Guadua, un genre de bambous (plus rigoureusement : de Bambuseae) qui révèle un point très humide, et d’un bois si dur qu’il est surnommé ici acero vegetal (« acier végétal ») et utilisé comme tel. Entre Manizales et Pereira, les cultures sont gardées par l’ombre du Nevado del Ruiz et de ses 5 321 mètres. Le volcan enneigé est actif et a fait plus de 23 000 morts en 1985, lors de la « tragédie d’Armero », pire catastrophe naturelle de l’histoire colombienne.

"Finca san José, libre de mauvaises herbes : RoundUp. Pas de quoi de vanter (heureusement, il y a aussi du bio)… Cartagena (Riseralda, août 2017).
Les villes de l’eje cafetero, mal conservées, n’offrent pas d’intérêt majeur. Quelques exceptions : la crête sur laquelle est construite Manizales (Caldas), qui suit l’antique voie royale des Incas ; la cathédrale de Pereira (Riseralda), dont un autre cataclysme, le tremblement de terre de 1999, a détruit le toit, ce qui a donné l’excellente idée de laisser la charpente apparente ; la digne centenaire y a conquis ce qu’elle n’avait jamais eu : la beauté du diable ; Armenia (Quindio), en revanche, a été presque entièrement détruite à cette occasion et il n’en reste qu’une ville sans âme, si ce n’est celle des premiers occupants, les Quimbayas, qui survit dans son magnifique Musée de l’or. À une trentaine de kilomètres de là, c’est (comme souvent) parce qu’elle s'était endormie loin des axes de communication que Salento, bourgade touristique et centre de superbes promenades comme celle de la vallée de Cocora[3], qui a résisté à la barbarie des promoteurs, et permet d’imaginer la vie de l’époque coloniale.

L’étonnante cathédrale de Pereira, avril 2020

Les plantations

Lors de mon séjour dans la région, j’ai passé quelques jours enthousiastes dans deux fincas.
À Palestina, au-dessus de Chinchiná (Caldas), Sebastian a investi son épargne de directeur financier d’un négoce de café dans une superbe plantation de 60 hectares, taille très moyenne face aux ogres de la caféiculture industrielle : la finca Poema. Sans me priver de sillonner les chemins de la région, j’ai voulu me rendre compte par moi-même une journée de ce qu’est le travail des ouvriers agricoles des plantations. À l’aube, en Marie-Antoinette caféière, j’ai trouvé ça magnifique, ludique et facile, si ce n’est le déplacement au milieu des litres d’eau que la pluie de la nuit avait déversés sur les plants et sur le sol. Au bout de deux heures, je me suis vite rendu compte que l’argent gagné par les cueilleurs n’était pas volé. Il fallait pourtant tenir jusqu'au coucher du soleil… Et quand je suis arrivé tout fier de ma récolte à la pesée du soir (le cueilleur est payé au poids), admirant les 80, 100, 120 kilos de mes compagnons (ce chiffre peut monter à 300 kg par jour dans le sud de l’Antioquia), mon fier sourire s’est figé devant le chiffre de la balance : 20 kilos ! Sébastien a généreusement converti mon gain en repas gratuits…

Régisseur, cuisinière et cueilleurs de la finca Poema, août 2017.
À Arabia, au sud de Pereira, j’ai découvert le très beau projet engagé par un couple d’universitaires de la ville lors de leur départ en retraite. Gabriel et Rubi ont acheté une petite finca, pour expérimenter la culture selon un mélange de principes traditionnels et écologiques. La finca Pachamama[4] réussit le tour de force de combiner sur 2 ridicules hectares un espace de plantation où la nature reprend ses droits, un espace de magnifique jardin exotique et un espace sauvage de forêt tropicale humide, source incluse… Ennui, le domaine est voisin de cultures industrielles de tomates : Gabriel et Rubi ont autant qu’il est possible résolu ce problème en laissant vivre une haie-buisson sauvage de bambous fixant une partie des nuages de pesticides.

Le petit paradis sauvage de la finca Pachamama, août 2017.
Le sud du département d’Antioquia est proche de l’axe du café par la nature et la culture. Certains de ses villages ont gardé comme Salento leur architecture coloniale. Jardín est sans doute le plus beau, et on peut n’y aller que pour le plaisir de passer des heures sur son Parque central, envahi par les tables des bars et des boulangeries de la place, où, à toute heure du jour et de la soirée, on se contente de suivre l’habitude du pays en se dégustant ses tintos (« coloré » : café)…

Une rue de Salento, septembre 2017.

Notes

[1] Tout sur les variétés d’arabica sur le site de la brûlerie Belleville

[2] Chiffres 2020 de la Fédération nationale du café.

[3] Du nom de la princesse quimbaya Cocora (« Étoile d’eau »)

[4] Pachamama : la Terre-mère des cultures andines.

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