L’Opéra de Manaus, 02/04/16

Que faire dans une ville aussi artificielle et délabrée que Manaus (*) ? Artificielle : c’est une ville comme une autre (bouchons, bruit, pollution), si peu indienne... Mais, ici, ce ne peut pas être une ville comme une autre ; délabrée : plus que la moyenne des villes d’Amérique latine, c’est-à-dire pas mal. Oui, il y a des musées, oui, deux belles églises… pour le XIXe, oui, de beaux parcs… Mais qu’y faire, au bout de 3 jours ?

L’Opéra de Manaus, folie en sucre d’orge des barons du caoutchouc, mars 2016

L’Opéra, bien sûr ! Folie en sucre d’orge des barons du caoutchouc, pharaonique, achevé en 1896, délaissé 15 ans plus tard suite à leur ruine (**), aujourd’hui Théâtre Amazone.
J’ai la chance d’y assister à deux concerts, tous deux sous la direction de Marcelo de Jesus, plein d’autant de fougue que de finesse et d’humour, élégance gracieuse, profil d’aigle ; il me fait penser à César Gattegno jeune.

Premier concert : Orchestre de chambre de l’Amazone. Peu féru de musique contemporaine, je suis étrangement en pays de connaissance : Arnold Schönberg dont, étudiant, j’allais découvrir l’œuvre à la Saarländischer Rundfunk, et dont j’écoute ici avec bonheur la production « de style ancien » (tonal) de l’exil américain ; György Ligeti, que j’avais mis à profit pour un montage audiovisuel sur la théorie de la relativité ; Arvo Pärt, dont j’ignore tout, mais dont le tintinnabulum présenté est un hommage à Benjamin Britten – sa Simple Symphony fut un de mes premiers disques. Aux premières notes, j’éprouve un choc : ceci, ici. La forêt est à deux pas, prête à nous engloutir, et la musique de Schönberg s'épuise comme un long cri. Je me sens déchiré : sous le charme et décalé.

À 300 m du Théâtre de l'Amazone, un îlot de forêt, prêt à ronger la ville et à l'engloutir... Avril 2016

Deux jours plus tard : l'Amazone Philharmonique. L’extase de la 40e de Mozart, dirigée avec beaucoup de subtilité et, lorsqu’il le faut, beaucoup d’énergie, par l’ample houle des bras de Marcelo de Jesus. Pour la 4e symphonie de Tchaïkovski, le Philharmonique est maintenant au grand complet, et c’est à la baguette que le regente déchaîne le tonnerre de la 4e. Ce n’est sans doute pas la plus belle œuvre du romantisme russe, mais qui pourrait trouver grâce après le divin Mozart ? Qu’importe : sous les dorures et les fresques de l’Opéra de Manaus, devant 500 auditeurs béats, sous l’œil du jaguar qui orne les programmes, la magie fonctionne encore : standing ovation.

Sous l’œil du jaguar qui orne les programmes... Mars 2016

Je suis entré au Théâtre devant une manifestation de soutien au PT et au gouvernement ; l’orateur chante et fait chanter la foule…
J’en sors pour aller comme chaque soir à la Caldeira, temple de la samba à Manaus. Là, je peux me trémousser sans retenue…
Soirée musicale.
Manaus.
De l'homme et de la forêt, qui viendra à bout de l'autre ?...

Jazz, Mário de Paula, peintre manauara, avril 2016

(*) 2 millions d’habitants en 2015.
(**) À partir de 1910, le caoutchouc de l'Amazonie s’effondre, après la transplantation de plants en Asie pour une exploitation à moindre coût.

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