Migrations et phobies

Les questions posées par les flux migratoires, comme celles posées par les extrêmes droites, sont à l’évidence mondiales. Celles-ci sont de tradition différente selon les pays : néonazie (Allemagne, Grèce…), néofasciste (Italie), néopétainiste, intégriste ou maurrassienne (France), néofranquiste (Espagne), intégriste catholique (Pologne), évangélico-libertarienne (États-Unis), sioniste (Israël) ou islamiste (Iran, Hamas…), intégriste hindou (Inde), néodictatoriale (Brésil…), ultralibérale-autoritaire (!) (Hongrie, Argentine…), etc. Elles ont pourtant un fonds commun, touchant notamment la « question de l’immigration ».

En Europe, les extrêmes droites entendent bloquer l’arrivée des migrants venus du Sud, voire les chasser. C’est le texte de leur discours : j’y reviendrai. 
Qu’en est-il au Brésil ? L’ennemi de l’extrême droite brésilienne, c’est « l’Indien » : il faut récupérer ses terres sous-exploitées pour les mettre en valeur par l’agro-élevage industriel. À Belém, une dame pauvre, travailleuse, aimable, m’a un jour stupéfait en se mettant soudain à vitupérer contre les Indiens, source de tous les problèmes : paresseux, ils ne savaient rien faire et ne venaient en ville que pour voler et se droguer  : le fonds de l’électorat populaire bolsonariste, miséreux, mais tenant à s’en prendre à plus miséreux que lui… Ainsi, ce que défend le populisme brésilien, ce n’est pas l’autochtone contre le migrant, c’est le Blanc, colon venu d’ailleurs, contre l’autochtone.
Qu’en est-il en Israël ? L’ennemi de l’extrême droite israélienne, ce n’est pas le migrant — accueilli à bras ouverts s’il est juif —, c’est le Palestinien, installé ici entre les IVe et XIXe siècles aux côtés de minorités : le Palestinien, chassé de sa terre depuis 2017, puis 1948, puis 1967, etc., par tous les moyens : achat, expropriation, terreur, droit international ou mépris du droit international, riposte aveugle et sanglante à la rébellion, que ses formes soient légitimes ou inacceptables… Ainsi, ce que défend l’extrême droite israélienne, et derrière elle les populismes juifs et évangéliques, ce n’est pas l’autochtone contre le migrant, c’est le peuple élu contre l’autochtone.
Qu’en est-il aux États-Unis ? L’ennemi de l’extrême droite étatsunienne, c’est le Latino, cette sorte de métis amérindien-noir-hispanique. Curieusement, l’autochtone menacé, c’est pour elle le Blanc. Ne vient-il à l’idée de personne qu’il est arrivé ici, au plus tôt, en 1607, et souvent bien plus tard ? Qui sont les fils de migrants aux États-Unis : les Williams, les Jones, les Trump… Qui en sont les autochtones : les Algonquins, les Hopi, les Cherokee, etc. chassés de leur terre ancestrale et parqués dans des réserves… Ainsi, ce que défend le populisme étatsunien, ce n’est pas l’autochtone contre le migrant, c’est l’occupant blanc, autrefois contre cet autochtone, aujourd’hui contre son cousin métissé du Sud. Encore entre la fin des guerres indiennes et l’afflux des Latinos, l’extrême droite s’était-elle ingéniée à broyer les fils des victimes africaines des migrations forcées que ses ancêtres esclavagistes avaient érigées en système..
Certes, ni au Brésil, ni en Israël, ni aux États-Unis, ni ailleurs, il n’est question de mettre en cause la présence de populations installées depuis des décennies ou des siècles : seulement de s’interroger sur le rapport qu’elles entretiennent avec les populations natives. L’Histoire a créé des droits aux arrivants, elle n’a nullement effacé ceux des autochtones, dont la force les prive pourtant.

La conclusion s’impose : l’invariant, ce qui est commun à toutes les extrêmes droites du monde, ce n’est pas la lutte contre l’immigration, c’est le complexe de supériorité qui de leur « race », qui de leur « civilisation », assorti d’un droit à la domination, face à une humanité inférieure, dont peu importe qu’elle soit la première occupante ou la dernière venue : ceci ne relève que du marketing.
Ce suprémacisme, assumé ou latent, racial ou civilisationnel — occidental blanc dans les trois cas cités —, est, comme aux temps des conquistadors ou des nazis, le fondement de toutes les extrêmes droites du monde. C’est même leur signature. L’immigration ne dérange nullement les extrêmes droites. Ce qui les dérange, c’est l’autre, le différent — préjugé inférieur —, bouc émissaire qui pour cela fait peur, que l’on hait, qui trouble le confort de l’entre-soi.
La haine européenne des migrants ne date d’ailleurs que du dernier tiers du XXe siècle. Pourquoi ? Parce qu’il s’est produit au xxe siècle une inversion des flux migratoires : depuis les grandes découvertes, les migrations étaient essentiellement coloniales, elles inondaient d’Européens d’immenses régions d’Afrique, d’Asie, d’Océanie, des Amériques, dans le sillage de conquêtes riches en génocides et en ethnocides : « l’œuvre civilisatrice » de l’Occident blanc et chrétien, dont les extrêmes droites, après avoir tout fait pour empêcher les décolonisations. entendent bien s’opposer à toute mise en question. Mais aux « bonnes » migrations, évinçant les peuples autochtones au profit des Européens, ont succédé de « mauvaises » migrations, celles-ci irritantes et menaçantes. Pourtant, chers suprémacistes, les nouvelles migrations ne sont que la monnaie de la pièce de celles que vous adoriez…
Revenons finalement à l’Europe, plus précisément à la France : le lent virage de l’extrême droite « nationale » autour de l’année 2000 est particulièrement significatif. Jusque-là, la France pétainiste, maurrassienne, lepéniste avait son bouc émissaire : le Juif, persécuté, toléré ou chassé, selon l’époque, depuis le Ier siècle. Mais à la fin du XXe, un autre ennemi lui apparaît plus dangereux pour l’identité française : l’Arabe (et le Noir), d’installation récente. Or cet ennemi a un ennemi, dès lors fréquentable, mieux : un allié. Le Juif, autrefois abandonné à des chambres à gaz « détail de l’Histoire », se mue par magie, pour le néolepénisme, en héros (israélien ou français) du combat contre le nouveau bouc émissaire : l’Arabo-musulman.
Le racisme et le suprémacisme restent les mêmes : on a juste opportunément modifié la frontière entre le Blanc, toujours civilisé et supérieur, et le métèque, toujours barbare et inférieur.
Cela ne suffit-il pas à réduire en cendres la vision de western qu’ils portent du monde ?

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