Peintures rupestres à Cala Cala

Si votre référence en matière d’art rupestre est (comme il se doit…) la grotte Chauvet, oubliez-la un temps : ce chef-d’œuvre absolu n’a jamais été égalé au cours des 30 000 ans et plus de Paléolithique et de Néolithique qui ont suivi.
La roche de Cala Cala est certes un « petit » site d’art rupestre, mais chargé d’émotion : on se sent un instant proche de l’humanité des antiques pasteurs qui s’y projetaient dans leur peinture.

La roche de Cala Cala
Située à 25 km à l’est d’Oruro[1], la roche de Cala Cala, une paroi rocheuse située à un peu plus de 4 000 mètres et haute d’une vingtaine de mètres, laisse admirer des peintures datant de 2 400 ans. Ceci les place dans la culture Wankarani, qui occupait la région entre -2500 et -200 environ.
Elles sont de trois couleurs, rouge, noire et blanche, et figurent principalement des lamas, mais aussi un félin (puma, jaguar ?) et des humains. Tous sont très stylisés. La roche étant soumise aux intempéries, certaines sont maintenant à peine visibles. Que nous apprennent-elles ?
Cala Cala : lamas et humain
Elles témoignent d’abord d’une société pratiquant l’élevage : deux scènes représentent un humain tenant un lama au bout d’une corde. L’élevage est d’ailleurs bien plus ancien dans la région, où l’alpaga et le lama sont domestiqués dès -4000, suivis par le cochon d’Inde, dès -2500 — toujours très appréciés dans la gastronomie andine. La vigogne, elle, était capturée, tondue, puis relâchée[2]… Le lama, couteau suisse des cultures andines (bête de somme, laine, chair, os…) se voyait notamment accorder pour cela un caractère sacré.
Cala Cala : lamas rouges, lamas blanc, humain.
Le plus grand lama de Cala Cala (60 cm de haut) est de couleur blanche : c’est traditionnellement celle des lamas sacrifiés dans les civilisations andines, où le sacrifice, qu’il soit animal ou plus tard humain, supposait la pureté de la victime. On en conclut que les habitants du Cala Cala d’alors sacrifiaient déjà des lamas, comme le feront nombre de leurs successeurs.
Cala Cala : le grand lama blanc.
Comme sans doute toujours, les motifs sont ainsi liés à une fonction magico-religieuse : ici, attirer la bienveillance des puissances supérieures (déjà les divinités du Soleil, de la Lune, de la Terre ?) pour favoriser la fertilité des animaux, probablement celle de l’Homme, celle de la terre, cultivée elle aussi, bien que presque toujours absente de l’art rupestre.
L’étonnant est la parenté des représentations humaines et animales de cultures lointaines, en l’occurrence celles du Néolithique dans le Sahara égyptien, où l’élevage est attesté entre -4400 et -3500/[3]. Les camélidés de Cala Cala sont cousins des bovidés du Gilf Kebīr.
La grotte de Gift Kebir (Photo Jean-Loïc Le Quellec, ib. p. 68).
Et pas très loin de là, à Supay Huasy, dans la province de Sucre, des figures humaines attribuées à la culture Hurruquilla (vers 500) sont parfaitement superposables au kanaga des Dogons, évocation du Dieu créateur Amma, mais dans lequel on ne peut s’empêcher de voir un symbole épuré de l’être humain.
Réplique de la grotte de Supay Huasy (Museo antropológico, Sucre).
Masque dogon : Kanaga (Brooklyn museum).
Plus je rencontre des cultures éloignées les unes des autres par l’espace ou par le temps, plus je suis frappé par les correspondances qui se nouent parfois entre elles. Des peuples aux antipodes les uns des autres, confrontés au même univers matériel, qui en partie s’impose à eux, en partie est façonné par eux, entre déterminisme et créativité, entre hasard et nécessité, aurait dit Jacques Monod, imaginent ainsi souvent les mêmes solutions sociales, religieuses, esthétiques, politiques…

Notes

[1] Informations pratiques. Aller à Cala Cala : solution touriste, contracter un taxi pour la demie journée, 100 bolivianos ou plus (1 euro = 6,2 bolivianos) ; solution locale, Micro 3 jusqu’à Vinto (2 Bs), de là taxi collectif jusqu’à Cala Cala (5 Bs). À Cala Cala, traverser le village vers Japo, puis suivre le fléchage. À 3 km du village, une bergère vous confie les clefs du site (!), moyennant un droit de 50 Bs.

[2] Jean-Pierre Digard, « Un aspect méconnu de l’histoire de l’Amérique : la domestication des animaux », L’Homme, 1992, 122-124.

[3] Jean-Loïc Le Quellec : « Arts rupestres sahariens : état des lieux depuis 2010 et perspectives », Abgadiyat, 2017.

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