Quitter Quito, 23/12/16

Enfin une ville ! Enfin une vraie ville ! Une ville dont l’histoire n’est pas massacrée, mais dont le cœur n’est pas non plus une réserve de ces animaux sympathiques mais étranges appelés turistas (déjà, avec un nom pareil…). Quito vit, et dès qu’ils ont un jour de libre, pour que le soleil des Incas revienne les caresser, la foule des quiteños accapare son cœur, fait d’églises et de monastères baroques, de boutiques d’art religieux et de quincailleries, de restaurants populaires où on déjeune pour 2 dolares* d’un sancocho** et d’une minestra***, jus de mûre ou de frutilla**** compris…

Jour chômé : la ville est livrée à sa foule, Quito, décembre 2016

Peut-on quitter Quito quand on est incapable d’Oublier Palerme**** ? Il faut croire que oui. Le rapport qu’on a avec un lieu est irrationnel, comme celui qu’on a avec les personnes. On peut trouver une ville admirable et ne pas avoir envie d’y vivre. C’est ici mon cas. On peut se sentir connecté à une ville, y être bien, sans vraiment savoir ce qu’on lui trouve. Mystères de l’amour…
Le problème de Quito, c’est qu’où qu’on aille, il faut monter, ou descendre, mais alors remonter… Le problème de Quito, ce sont ses nuits fraîches, où on peine à se réchauffer les pieds dans ses maisons sans chauffage******… Le problème de Quito, c’est la misère qui y affleure : les produits industriels coûtent souvent le double de la Colombie, quand le salaire minimum n’y est supérieur que de moitié : ceux qui le peuvent vont faire leurs courses de Noël au Pérou ou en Colombie !

Fête indigène, Camilo Egas (1922), Musée de la ville, Quito, décembre 2016

Ce n’est qu’à l’approche de mon départ que j’ai vraiment aimé Quito. Pourtant, la vue sur la ville en y arrivant par le nord subjugue, comme subjugue sa vue par le sud en la quittant. Certains sites sont élus, et son altiplano a dû fasciner tous les peuples qui y sont passés, puisqu’ils en ont tous fait un centre de leur pouvoir.
On ne se lasse pas des monts verdoyants qui l’encerclent. On flâne dans ses rues, innombrables musées, innombrables églises et couvents, à la recherche d’œuvres de l’école quiteña fameuse dans toute l’Amérique hispanique et jusqu’à la cour des Habsbourg.

La chapelle du Rosaire à Saint-Domingo, Quito, décembre 2016

On y trouve non sans malaise cette schizophrénie qui fait encenser ses devanciers indigènes après les avoir massacrés. Les créoles fondateurs des nouveaux états indépendants se réclamaient d’eux sans pouvoir oublier qu’ils les avaient dépouillés de leur or et de leur vie.
Si Quito a su garder son unité, si son centre est à la fois préservé, vivant et populaire, elle le doit en grande partie au fait d’avoir été en 1978 la première ville classée au patrimoine de l’UNESCO : à cette date, on a cessé d’y faire les conneries qui continuent ailleurs…

Quito au milieu du XVIIe siècle…
… et Quito en décembre 2016 : la structure du centre est intacte, jardin de San Agustín mis à part…

Les femmes indigènes, descendantes des Quitus et des Incas, et qui le montrent avec leur chemisier brodé, leur jupe et leur chapeau, y vendent des cerises (tellement de cerises !), des pommes, des espumillas*******, des billets de loterie…

Vendeuse de cerises, Quito, décembre 2016

Certes, on peut quitter Quito. Mais à peine a-t-on le dos tourné qu’on est pris de sa nostalgie…

* Le dollar (ici dolar), monnaie officieuse du Panamá, est la monnaie officielle de l’Équateur depuis 1999. Comme par hasard, ce sont les pays les plus chers que j’ai traversés. Seuls la nourriture et les ours en peluche sont bon marché.
** Sancocho : soupe de tripes ou de viande répandue des Caraïbes jusqu’aux Andes.
*** la menestra (voire le menestron, cf. minestrone), est une soupe, ou ragoût, de frijoles, de lentilles, de pois… servie en accompagnement du plat principal.
**** Frutilla : sorte de fraise.
***** Oublier Palerme, Edmonde Charles-Roux (1966). Pour leur écrin d'architectures anciennes où l’on vit vraiment, les 2 villes sont parentes.
****** L’équateur a beau passer par la ville, le centre est à 2 850 d’altitude.
******* Espumilla : mousse vaguement aux fruits.

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