1 saint, 2 villes, 3 rois, 14/03/16

1612 : Daniel de la Touche, un marin malouin, protestant, jette l’ancre dans l’estuaire du fleuve « Maragnan » et y fonde une ville à l’emplacement de l’actuel Palacio de los Leões. Il la nomme Fort Saint-Louis pour honorer Louis XIII à travers son ancêtre Louis IX. Trois ans plus tard, les Portugais chassent les Français, et étendent la ville, dont ils « portuguisent » le nom en São Luís (do Maranhão).

1643 : Thomas Lambert, un marin dieppois, catholique, fonde une ville à côté du village wolof de Ndar*, et la baptise Fort Saint-Louis, pour honorer Louis XIV à travers son ancêtre Louis IX. Saint-Louis (du Sénégal) sera la capitale de l’AOF jusqu’en 1902.

Convento de las Mercês, en restauration, mars 2016

Les deux villes ont connu des destins bien différents. Est-ce à cette origine similaire, à 30 ans d’écart, que São Luís et Saint-Louis semblent deux sœurs se faisant face des deux côtés de l’Atlantique ? Toutes deux ont eu la chance de s’endormir un temps suffisant pour préserver en partie leur patrimoine : pas de joyaux flamboyants comme à Salvador, mais deux ensembles remarquables, voire unique pour l’Athènes brésilienne. Toutes deux souffrent d’un manque cuisant de moyens pour les entretenir : elles souffrent du même délabrement, respirent le même charme triste, évoquent la même nostalgie de temps bénis – mais fondés de part et d’autre sur la barbarie esclavagiste. « On dirait le Sud… », chantait Nino…

Quartier du Desterro, une des rares rues en bon état, mars 2016

Jusqu’à leurs plans en damier se répondent. La parenté s’arrête là : le style colonial saint-louisien repose sur des galeries extérieures aux élégantes balustrades de fer forgé. À São Luís, les galeries de bois à vantaux sont intérieures et cernent un patio agréable, leurs plafonds en arêtes de poisson assurant la ventilation. Le musée historique de la ville en offre un très bel exemple ; la chambre des parents y fait face à celle de la fille pour surveiller sa vertu ; celle du garçon s’ouvre face à l’escalier de service pour qu’il puisse recevoir en paix les petites esclaves…

Rua 28 de Julho : on sauve au moins la façade, mars 2016

J’ai pour ma part connu la même frustration dans les deux villes dédiés à saint Louis, l’une pour cause de week-end (que c’est triste, le centre d’une ville brésilienne le dimanche !), l’autre pour cause de ramadan (que c’est dur, de bâfrer une pizza minable parce que les succulentes gargotes africaines sont toutes fermées en journée !).

Igreja de las Mercês : détruite au XIXe siècle

Mais toutes deux sont bien vivantes. En 24 heures, à mon arrivée à São Luís, j’ai, guidé sans mal à l’oreille, profité de l’animation hebdomadaire d’un groupe de carnaval (en l’occurrence un des nombreux et superbes bumba meu boi de la ville), d’un orchestre de bar éreintant mes oreilles avec son arroxa (exactement la même soupe populaire que la bachata dominicaine), d’un bar reggae aussi délabré que son quartier, historique, du Desterro (avec à peu près le même volume sonore – São Luís est aussi la Jamaïque brésilienne), et d’une magnifique répétition d’un groupe de carnaval (déjà !), le Flor do samba : jeunes, beaux, joyeux, endiablés…

Rua Grande, mars 2016

Je n’ai que de lointains souvenirs de la musique saint-louisienne, mais ce n’était pas triste non plus.

(*) Où elle est déplacée en 1659.

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