Émeutes à Lima, 14/01/17

En Amérique Latine, il y a des péages un peu partout sur les grandes routes, en bon état ou pas. Un de plus ou un de moins, quelle importance ? Seulement, celui ouvert le 29 décembre à Chillón, sur la panaméricaine, a une particularité : il isole la banlieue du Cône nord (2 millions d’habitants), et notamment le district de Puente Piedra, du centre de Lima. Imaginez un péage porte d’Orléans…

Le coupable : le péage de Chillón, "El Comercio", 22/12/16
En août 2016, une manifestation avait réuni quelques centaines ou milliers de personnes contre le projet. Personne ne l'a entendue... Le 7 janvier, à mon passage, peut-être distrait par le spectacle de la fourmilière humaine limeña, peut-être encore sous le choc du mur de sable traversé à l’entrée du Grand Lima, je n’avais rien observé.

Quelques kilomètres plus au nord, l’hallucinant "serpentin de Pasamayo". En bas, c’est pire… Janvier 2017

Mais depuis, les mouvements sont quotidiens, et ils ont rapidement tourné à l’émeute. Des jours durant, la panaméricaine nord a été le théâtre de scènes de guerre civile, la police tentant de disperser les protestataires avec bombes lacrymogènes et blindés. 55 d’entre eux ont été arrêtés et devraient écoper pour commencer de 3 mois de… détention préventive (!).
Bien sûr, pour le concessionnaire tout est normal : beaucoup d’investissements, et un contrat explicite avec la mairie de Lima. Pour PPK, le nouveau président péruvien*, aussi : « Abandonner le péage serait peu pertinent, le problème est que certains bus en profitent pour répercuter 1 sol au lieu de 5 centimes… »**. La municipalité serait prête à passer la marche arrière. La police ? Elle ne fait que son travail en faisant respecter l’ordre public. Enfin, elle voudrait bien, parce que pour l’instant…

La ministre de l’Intérieur, Carlos Basombrío, a depuis lâché du lest en parlant, d’une « revendication dont nous savons tous en vérité qu’elle est juste » et en concluant tardivement que le péage n’est pas viable.***

Émeutes sur la panaméricaine, Puente Piedra, "Perú TV", 13/01/17

Il faut être totalement inconscient pour penser qu’on peut demander à une population largement défavorisée de mettre la main au portefeuille pour aller travailler ou même prendre l’air sur la place d’Armes animée de la ville carrée****. Que résultera-t-il de ce fiasco : l’abandon d’un péage idiot, et des cicatrices matérielles et humaines proportionnelles au temps qu’on mettra à l’abandonner !
À ce stade de réaction, on est bien obligé de penser que cette grosse goutte d’eau n’a fait qu’ouvrir les vannes d’un malaise plus profond, celui de la misère, ou de l’exclusion, ou de l’anonymat des mégalopoles modernes, ou du fossé creusé entre la population et ses dirigeants, ou du mélange détonnant de tous ces ingrédients.

Dernière minute, 16/01/17, 14 h
Les 55 détenus ont tous été libérés. L'abandon du péage devenant incontournable, la situation semble redevenue normale. Mais en amont, le río Chillón sort de son lit et l'inondation approche...

* Pedro Pablo Kuczynski, centre droit, élu sur un fil en 2016 contre la populiste Keiko Fujimori – fille de l’ex-président Alberto Fujimori, condamné à 25 ans de prison pour violation des droits de l’homme et à 8 ans pour détournement de fonds.
** Gestión, 13/01/17
*** El comercio, 14/01/17
**** Le centre doit son nom de ciudad cuadrada à son plan en damier, comme presque tous les cœurs coloniaux, et celui de cercado à ses remparts, hélas totalement détruits.

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