Caraïbes, 26/11/16

Porto Rico, Saint-Domingue, Haïti, Cuba, Jamaïque, Yucatan, côte des Mosquitos, côtes caribéennes de la Colombie et du Venezuela, Petites Antilles, etc. s’égrènent autour de la mer des Caraïbes. Avec son peuplement amérindien, avec la colonisation et avec la traite négrière qui a suivi, le pourtour de cette autre Mare nostrum devrait tout avoir en commun. L’Histoire en a décidé autrement…

Le premier peuplement des Caraïbes, il y a plusieurs milliers d’années, est le fait d’Amérindiens arawaks et (dont ?) taïnos, proches des Mayas qui occupent déjà le Yucatan. Ils vivent assez pacifiquement de la culture du manioc, de chasse, de pêche… Aux IXe et Xe siècles, d’autres groupes remontent depuis le Brésil et le Venezuela vers le nord : les Caraïbes (ou Kalinagos, ou Caribes). Ce peuple guerrier, qui vit de la pêche et d’une agriculture plus diversifiée, a supplanté les Arawaks et les Taïnos à l’arrivée des Espagnols. Après la découverte, durant la première moitié du XVIe siècle, ceux-ci explorent et asservissent toute la région. Ils se trouvent rapidement en butte aux Anglais, aux Français, principalement à leurs pirates et corsaires. Avec l’extermination des populations locales, tous les Européens pratiquent la traite et l’esclavage pour les plantations, notamment de canne à sucre.

Saint-Domingue : la rue des Dames, "première rue des Amériques" (1502), septembre 2015

C’est là l’histoire commune des Caraïbes, qui donne à la région son unité de civilisation, mâtinée d’apports européens, africains et amérindiens – comme partout entre l’Uruguay et la Virginie. Les métissages humains, la gastronomie, l’omniprésence du rhum, les religions (chamanisme, culte des ancêtres, syncrétisme…), la musique et la danse (son, salsa, merengue…), l’alternance de dictatures et de régimes progressistes, la nonchalance des habitants, etc., y trouvent bien un socle commun, constitutif d’une unité culturelle forte.

Haïti : le marché de fer de Jacmel, novembre 2015

Et pourtant les particularismes régionaux y sont tout aussi apparents. Celui qui saute aux yeux du voyageur tient aux différences des types humains. Largement africaine en Haïti, la population est plutôt mulâtresse à Cuba, sur la Costa colombienne* et sur la côte des Mosquitos, beaucoup plus marquée par des traits indigènes à Saint-Domingue et en Amérique centrale. Le Panamá est de par sa position stratégique un exemple de diversité. À Veracruz**, les migrations de populations blanches ont éliminé les anciens Jarochos***. Dans tous les cas, un homme ne peut s’empêcher de le remarquer : les Caribéennes sont magnifiques…

Yucatan : Tulum, que les premiers Espagnols ont découvert à son apogée en cabotant, juillet 2016

Les premiers chroniqueurs**** avaient déjà constaté l’extermination des peuples indigènes. Une étude de l’US National Science Foundation sur les ADN de Porto Rico***** bouleverse ce constat : l’ADN mitochondrial (donc par les femmes) y est à 61 % taïno, 27 % négro-africain, et 12 % européen. C’est l’inverse des résultats obtenus pour l’ADN nucléaire (donc par les hommes) ! Les conquistadors massacraient d’une main, engrossaient de l’autre, si l’on ose dire… La chevelure brune et lisse de beaucoup de Dominicaines suffit à montrer la même hérédité amérindienne.
Les disparités sont similaires dans les cultures. D’innombrables faits historiques s’entremêlent pour expliquer leurs bifurcations. Éliminons les quelques cas de colonisation anglaise, française, néerlandaise : le seul exemple du processus d’obtention du rhum, à base de mélasse chez les Anglais et les Espagnols, à base de jus de canne chez les Français (le « rhum agricole »), est significatif.

Cartagena : les balcons fleuris des négriers, calle de la Moneda, septembre 2016

Il est plus difficile de comprendre qu’existent de telles disparités dans le seul ensemble hispanophone. Les considérables écarts de culture entre Mayas, Arawaks et Caraïbes sont un élément de réponse. Aux premiers, constructeurs de temples en Mésoamérique, s’opposent les derniers, cousins des peuples guerriers et potiers d’Amazonie. La proximité ou l’éloignement des États-Unis en sont un autre, même si toute l’Amérique latine est obsédée par le modèle yankee. L’importance plus ou moins grande de la population afrodescendante, mais aussi sa cohérence, une troisième : l’origine yoruba (orishas) a dominé Cuba comme l’origine fon a dominé Haïti (vodouns), mais la Caraïbe colombienne a vu s’éteindre l’essentiel des traditions d’origine africaine. Les processus diversifiés qui ont conduit à l’indépendance, comme les guerres, ont encore marqué l’histoire et les mouvements de population…

La Havane : la cathédrale, chef d’œuvre absolu, mai 2015

Ce ne sont que les impressions d’un voyageur. Elles laissent subsister nombre d’interrogations et de mystères.
Mais désormais, où que j’aille sur une côte caraïbe et où que je porte mon regard, au loin, là-bas, derrière l’horizon, reste un morceau de mon cœur…

* C’est également le cas de la côte pacifique jusqu’à Cali, au sud de la Colombie, ville plus noire que Cartagena !
** Qui n’est pas baignée par la mer des Caraïbes, mais un peu plus au nord, par le golfe du Mexique. Mais on y cultive la canne à sucre…
*** Le terme désignait les paysans et ouvriers agricoles souvent très colorés de la région. C’est devenu le gentilé de Veracruz.
**** Voir la terrible Très brève relation de la destruction des Indes, Bartolomé de Las Casas, réédition La Découverte (2004)
**** Mitochondrial DNA analysis reveals substantial Native American ancestry in Puerto Rico, sd Dr Juan Martinez Cruzado, cf. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11512677

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