Cartagena de Indias, 26/10/16
Par Dominique Sarr le 26/10/2016, 08:13 - Chronique - Lien permanent
L’AFP et Le Monde, qui la recopie, ont définitivement rebaptisé la ville Carthagène-des-Indes-station-balnéaire-perle-des-Caraïbes. Ces journalistes, vraiment… La station balnéaire en question est une agglomération d’un million et demi d’habitants, industrielle et portuaire, et c’est le plus bel ensemble d’architecture coloniale de Colombie. Elle est aussi en passe de devenir une des villes les plus violentes du pays. Quant à ses plages, les cartageneros les désertent pour Manzanillo ou l’île de Barú dès qu’ils en ont la possibilité. Mais non : Carthagène-des-Indes-station-balnéaire-perle-des-Caraïbes…
Cartagena, ce sont 3 villes. Comme Salvador de Bahia ou São Luis do Maranhão au Brésil, Cartagena (prononcer Cartakhena, avec une jota) s’est développée autour d’un remarquable cœur colonial et néocolonial : la Cartagena des touristes. De part et d’autre sur le littoral, elle égrène les murs de gratte-ciel sans intérêt à Boca Grande et Marbella : la Cartagena des riches. Et sur les collines voisines comme à l’intérieur, s’étendent des quartiers populaires, dont certains sont bien construits : la Cartagena des pauvres. Cartagena, c’est une façade, me disait un habitant…
Mon premier contact avec Carthagène a été sur une télévision de bar, alors que je m’apprêtais à prendre le car pour y venir : le JT faisait ce jour-là son titre sur la « Vague d’insécurité à Cartagena ». Bonjour l’ambiance… Quoi de plus normal : il y a 200 mètres entre le front de mer luxueux de Marbella et le premier cloaque insalubre de Torices. Quand j’ai traversé seul le bidonville de Loma Fresca, ses habitants m’ont regardé avec des yeux effarés et m’ont mis sans me demander mon avis entre les mains d’un moto-taxi qu’ils connaissaient. Je ne parle pas des agressions au couteau (comme avant-hier une amie), vols de portable, vols à l’arraché, etc.
Symbole de cet envers du décor : le marché de la ville, Bazurto, immense, grouillant, déconstruit, sale. Assez que, pour la première fois dans mes voyages, je n’aie pu me résoudre à déjeuner sur un marché !
Mais à quelques centaines de mètres, s’offre le casco antiguo (vieille ville), dans l’ensemble bien conservé et magnifiquement restauré et – bien moins restauré – Getsemaní, l’ancien quartier des petites gens et des esclaves.
Facile à reconnaître : leurs maisons n’avaient qu’un niveau, celles des négriers et des bourgeois deux et demi. Santo Domingo est devenu le quartier du tourisme de luxe et Getsemaní celui des mochileros (« porteurs de sac à dos »). Je préfère San Diego : ni l’un ni l’autre, ses rues paisibles respirent le XVIIe siècle…
Portails en pierre de corail qu’on a envie d’admirer des heures, riches hôtels particuliers et balcons de bois fleuris, patios aérés, majesté de Santo Domingo et sérénité de la Santísima Trinidad : cette ville-ci est un vrai bonheur si on accepte d’y oublier le temps. Sans compter que ses murailles sont presque entièrement conservées, fait rarissime sur ce continent.*
* Peut-être y en a-t-il d’autres, mais le seul autre cas que je connaisse est Campeche, dans le Yucátan, où elles ne sont pas aussi continues – la vieille ville est également magnifique. On me parle de San Juan de Puerto Rico ? J’irai vérifier…