Vie violence, 2/2

Le déchaînement de la violence en Colombie durant les 70 dernières années, mais aussi celle de l’État islamique et de ses émules, celle des maras d’Amérique centrale, comme les génocides d’autres périodes de l’Histoire, conduisent à s’interroger : la violence n’est-elle réellement qu’un moyen, ou n’est-elle pas en elle-même un besoin profond de l’homme ?…

Une étude de Nature* du 28/09/2016 donne le ton : 40 % des espèces de mammifères développent une violence létale au sein de l’espèce, du loup carnassier à la paisible marmotte. Si l’étude ne porte pas sur les motifs de cette violence, elle relève que, plus une espèce est socialisée et que plus elle est « territorialisée », plus la violence au sein de l’espèce est importante. Sans parler de la violence à l’égard des autres espèces…
La violence humaine a certes d’innombrables motifs : presque toujours l’argent (de la faim au goût du luxe), le pouvoir (dont la conquête ou la préservation d’un territoire), le sexe (rivalité, jalousie)… Mais à ce qui la motive, faut-il ajouter la volonté de violence elle-même : est-elle sa propre fin ? L’homme éprouve-t-il un plaisir dans la violence ? Et sans même l’analyser en termes de plaisir, est-elle un besoin profond de notre espèce ?

La manière dont les actes barbares sont répandus fait pencher pour l’affirmative : les cadavres effroyablement mutilés laissés par les dictateurs caribéens (Batista, Trujillo…) parfois personnellement à l’œuvre ; les décapitations ou mutilations mises en scène par les djihadistes ; le meurtre gratuit, passeport d’entrée dans la Mara 18 ou la Salvatrucha salvadoriennes, l’engouement de jeunes Français pour les attentats kamikaze, etc. montrent que le déchaînement de violence est très souvent superflu eu égard à son prétexte. La souffrance de l’autre, sa mort ne sont-elles pas tout autant un objectif que ce qui les justifie aux yeux des bourreaux ?
J’ignore si une étude anthropologique pourrait répondre scientifiquement à ces questions. Le développement actuel de nos sociétés et de leur histoire m’en donne en tout cas l’intuition, sinon la conviction. Imposer à l’autre la souffrance, et l’ultime souffrance qu’est la mort, c’est me donner un pouvoir, c’est affirmer ma supériorité sur lui, c’est me donner l’importance que les autres ne veulent pas me reconnaître, c’est, quelque part, exister. Je disais un jour à un ami que l’épouvantable viol des Chiens de paille** devrait guérir les violeurs potentiels. « Pas du tout, m’a-t-il sèchement rétorqué, le violeur jouit parce qu’il fait du mal. »

Notre époque, après les 3 ou 4 décennies très relativement pacifiques qui avaient suivi la Deuxième Guerre mondiale, semble être largement revenue au culte de la violence. Après la fin du rêve communiste, qu’avons-nous à proposer à des jeunes gens bouillants de vie et assoiffés d’absolu ? La démocratie ne fait pas un idéal, ce n’est un idéal qu’en creux, c’est juste le contraire de ce qu’on ne veut pas… Cet idéal, lesdits jeunes gens le trouvent dans la rébellion violente à un ordre social ennuyeux et à la pax americana, et selon qu’ils sont nés à San Salvador, Los Angeles, Moscou, Paris ou Tunis, ils s’engageront pour l’exprimer dans une mara, dans un clan de skins, dans le djihad… Quel échec pour notre modernisme et notre foi dans le progrès !…

Que pouvons-nous leur proposer pour les en dissuader ?

Friedrich Engels disait que la violence était l’accoucheuse de l’Histoire. Il avait raison. Où nous ne pouvons plus le suivre aujourd’hui, c’est sur la conclusion qu’il fallait écrire l’Histoire par la violence : il faut écrire l’Histoire contre la violence.
Quitte, malheureusement, à allumer parfois un contre-feu pour éteindre le feu.

* Les racines phylogéniques de la violence létale humaine, Nature, Volume 538 Number 7624 pp. 140-284
** Les chiens de paille (1971), de Samuel Peckinpah. C’est, bien avant le grandguignolisme de Quentin Tarantino, le cinéaste qui a porté le regard le plus cru sur la violence (complaisant ou dénonciateur ?...)

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