Dans l’œil du cyclone, 17/04/16

Brasília, dimanche, 13 h
Une ville vaste, verte, propre. On se croirait en Californie. Sur le lac hurlent les scooters des mers. Dans les restaurants de luxe de la rive, on mange et on rit.
Pourtant, c’est ici que se joue aujourd’hui le destin du Brésil : dans une chambre basse dont l’indiscipline vaudrait en France l’expulsion à nombre de députés, les orateurs se succèdent pour ou contre la destitution de la présidente.

Brasília, au pied du Congrès, de chaque côté de "l'axe monumental", chaque camp mobilise. 17 avril 2016, 17 h 30

Brasília, dimanche, 15 h
Le vote de l’impeachment débute, sur l’accusation de crime de « pédalage » budgétaire de Dilma Rousseff. Pratique de tous les gouvernements du Brésil et d’ailleurs – mais sur laquelle elle a sans doute poussé le bouchon un peu loin. Cet accès de vertu parlementaire peine à convaincre :
– Les débats à la chambre sont affligeants. Dans une foire d’empoigne (cris, bousculades, pancartes...), des dizaines d’orateurs expliquent qu’ils vont voter l’impeachment sans jamais évoquer la manipulation budgétaire, mais le lava jato, l’économie, les souffrances du peuple, leur femme, leur fille, leur fils, leur petit-fils, les militaires, l'excès de terres indigènes, le Christ, leur église évangéliste !... Autrement dit, la procédure est détournée, elle est utilisée, au mieux, comme arme politique pour se débarrasser du Parti des travailleurs au pouvoir ;

Pas une ronde de Rembrandt, mais la foire d'empoigne de la Chambre. 17 avril 2016, 14 h 16

– L’impeachment a été initié par Eduardo Cunha, président de la chambre, mouillé dans le lava jato, qui n’a pas digéré de ne pas être couvert par la présidence ; il a été soutenu par des dirigeants de l’opposition (Michel Temer du PMDB, Aécio Neves du PSDB, etc.) eux-mêmes impliqués ; le rapport de destitution a été préparé par une commission dont 36 membres sur 65 le sont aussi ;
– Si le lava jato éclabousse le PT, il éclabousse autant les partis d’opposition, et la colère légitime contre la corruption qu’il révèle est dirigée contre une élite déconsidérée, non sans la dérive populiste du « tous pourris ». Or si le lava jato a un père, le juge Sergio Moro, il a aussi une mère : Dilma Rousseff, qui a signé les décrets permettant pour la première fois de faire le ménage. Ce n’est qu’un aspect de la crise, mais il est factuel : des politiciens corrompus font tout pour faire tomber celle qui a permis leur mise en cause.
Certes, cette situation n’est possible qu’à cause des échecs du gouvernement et de son discrédit. On peut les condamner et appeler à un changement politique, mais il est profondément antidémocratique de dévoyer une procédure constitutionnelle pour une fin partisane... voire d'immunisation.
En début de semaine, Ricardo Boechat, présentateur et commentateur vedette de Band News, non-engagé, livrait son analyse du combat actuel sur l’impeachment : en synthèse, une immense gabegie de temps et d’énergie, quand la classe politique devrait traiter les problèmes dramatiques du pays.

Brasília, dimanche, 23 h 10
Le vote est acquis : Dilma Rousseff va tomber. Le Brésil plonge dans l’inconnu.

Brasília, résultat définitif, 17 avril 2016, 23 h 48

Le 10 juillet 1940, il s’est trouvé 569 députés de l’assemblée du Front populaire contre 80 pour abdiquer la République en confiant les pleins pouvoirs à Pétain. L’histoire a jugé.
Le 17 avril 2016, il s’est trouvé 367 députés contre 137 pour violer la constitution brésilienne en respectant sa lettre, mais en la dévoyant. Que jugera l'histoire ?

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