Discours et réalité, I/II, 25/05/16

Dans les années 40, sous Gétulio Vargas, les politiques publiques visaient à la valorisation de l’Amazonie – objectif en soi louable. Dans les années 70, sous la dictature militaire, elles étaient passées à son internationalisation – ce qui fait beaucoup plus question. Si on en croit les discours, l’ordre du jour est désormais à la préservation. On s’en réjouit naturellement, mais faut-il les croire ?

L’Amazonie légale brésilienne (*) comporte de nombreuses Terres indigènes et Unités de conservation : les premières représentent 21 % de son territoire, les secondes 22 %. Médias, gouvernants, patrons : on n’a que le mot durable à la bouche ; on met en avant les cultures amérindiennes ; on montre en exemple le travail de la FUNAI (**) ; on vend d’innombrables paniers baniwa et tamis sateré-mawé ; on vante une gastronomie amazonienne métissée…
Plus qu’ailleurs, me semble-t-il, un gouffre est ici creusé entre le discours et la réalité : et la réalité, c’est que l’Amazonie se meure. Sa flore, sa faune, son système fluvial, ses cultures reculent, depuis la première descente de l’Amazone par les Espagnols en 1541, « en quête du pays de l’Eldorado et de la cannelle » jusqu’à nos jours.
Si les zones de préservation étaient respectées, les 3/5 de l’Amazonie seraient livrés aux appétits les plus divers. Elles ne le sont pas : trusts de l’élevage (Rondônia) et du soja (Mato Grosso) s’y installent, puis font pression sur les parlementaires ou les achètent pour voter des lois amputant les zones préservées (***).

Les terres indigènes de l'Amazonie légale. Beaucoup trop, pour les entreprises d'élevage et de soja.

À Porto Velho, commune plus grande que la Belgique, la ville compte 500 000 habitants et les 3 Terres indigènes moins de 300. Ça ne suffit pas : pour étendre la ville, on chasse les pêcheurs du fleuve contre une bourse de pêche, les forestiers contre une bourse forestière, les orpailleurs contre une bourse d’orpaillage… On ne leur vole pas leur revenu, on leur vole leur dignité.
Est-il raisonnable de défricher des dizaines d’hectares amazoniens pour créer un terrain de golf ? Quelle est la rationalité macro-économique et environnementale d’une usine 3M au milieu de la forêt amazonienne ? Au lieu d’endiguer l’expansion de Manaus, ville totalement artificielle, est-il sensé de la promouvoir à coups de zone franche et de subventions ?

L'Amazone à Manaus (rigoureusement : le Solimães), c'est comme la rue : une poubelle. Du moins ici on nettoie...

L’acculturation primaire avance à grands pas. Évidemment, c’est à chacun de nous de savoir où il choisit de placer le curseur entre ses racines et sa modernité. Je ne saurais critiquer un Amérindien de vouloir bénéficier de soins et d’un confort modernes. Mais lorsqu’il est chassé par les garimpeiros, lorsque sa terre est mise en pièces par une route ou un ranch, lorsqu’il est endoctriné par les évangélistes, où est sa liberté ? Quand du moins il ne rejoint pas les 250 000 semi-esclaves recensés dans les grandes exploitations, ou quand il n’est pas massacré…
Le premier responsable de l’acculturation secondaire est sûrement la télévision, qui sous toutes les latitudes et sous toutes les longitudes offre de plus en plus un unique modèle social, celui du consumérisme, de Coca Cola à l’évangélisme. D’un monde d’une infinie richesse, nous sommes en train de faire un monde uniforme voué aux démons du profit maximum et de l’obscurantisme.

Terminal d'exportation de Cargill de Santarem. 1 800 km de route ont été construits pour y amener  le soja du Mato Grosso. Mars 2016

Le pire n’est jamais sûr. Autour des années 2000, on déboisait au Brésil autour de 25 000 km² de forêt. En 2012, on était descendu à 6 000 km². Faut-il se réjouir ? La forêt meurt moins vite. Faut-il se lamenter ? Elle continue de mourir.
Vers 1670, les Portugais fondaient Barra. En 1730, ils exterminaient l’ethnie environnante des Manaos et réduisaient les survivants en esclavage. En 1832, Barra était rebaptisée Manaus. N’est-ce pas une forme de schizophrénie ? Le discours a-t-il ici une autre fonction que s’absoudre de la réalité ?

(*) Environ 4 millions de km² et 20 millions d’habitants : Amazonas, Roraima, Pará, est et centre du Maranhão, Tocantins, Mato Grosso, Rondônia, Acre.
(**) FUNAI : Fondation nationale de l’Indien.
(***) Le « banc » (transparti) de l’agro-élevage compte 191 députés sur 513 à la Chambre basse. La volonté de récupérer des terres préservées a été un des arguments lors du vote de l’impeachment de Dilma Rousseff.

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