Données et pourcentages

En ne prenant en considération que les pourcentages, et seulement ceux sur les suffrages exprimés, les professionnels du commentaire politique se sont mis à notre portée de supposés ignares mais se sont enfermés dans une lecture simpliste qui interdit de comprendre les mouvements de l’électorat. Il faut pour cela repartir du réel : les données brutes.

Les mouvements de l’électorat

Le premier parti de France reste celui de l’abstention : 17 millions de citoyens, dont 12 millions se sont abstenus[1] et de l’ordre de 5 millions ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Alors que le nombre d’inscrits a progressé de 1 179 221 voix entre 2017 et 2022, le nombre de suffrages exprimés a, quant à lui, reculé de 911 276 voix.
Derrière ce parti dominant, qui sont les gagnants ? Entre 2017 et 2022, Emmanuel Macron a progressé de 1 129 232 voix, Jean Lassalle de 666 389, Jean-Luc Mélenchon de 654 998 et Marine Le Pen de 457 878. Qui sont les perdants ? Les Républicains se sont tout d’abord effondrés : moins 5 533 525 voix, puis le Parti Socialiste, qui en a perdu 1 674 637, et Nicolas Dupont-Aignan, 969 644. Ces mouvements de l’électorat sont colossaux, et en partie dus à l’émergence relative de trois candidats absents en 2017 : Éric Zemmour, qui a rassemblé 2 485 935 voix, Yannick Jadot avec 1 628 337 voix et Fabien Roussel avec 802 615 voix.
C’est surtout la synthèse de ces mouvements par famille politique qui peut les éclairer utilement :
– L’extrême droite est malheureusement devenue la première force politique française avec 11,3 millions de voix, progressant encore de 1 576 036 voix (+ 16,1 %) ;
– Le centre[2] la suit de près avec 10,9 millions de voix, en progrès de 1 795 621 voix (+ 19,8 %) ;
– La gauche radicale vient en troisième position avec 8,2 millions de voix, gagnant 494 277 voix (+ 6,4 %) ;
– La gauche dite de gouvernement et les écologistes rassemblent 3,0 millions de voix, en se redressant de 756 315 voix (+ 33 %) ;
– Enfin la droite a implosé, ne réunissant que 1,7 millions de voix et en en perdant 5 533 525 (-76,7 %).

Quelques conclusions

Si l’élection de 2017 avait vu l’effondrement du bloc gauche-écologistes, celle de 2022 voit donc celui de la droite. En revanche, face aux trois pôles dominants de 2022 (LRM, RN, LFI), la gauche et les écologistes tendent à se redresser partiellement, leur progression relative étant même la plus forte, il est vrai après le résultat catastrophique de 2017.
Cette élection comporte deux très mauvaises nouvelles : le nouveau progrès de la désaffection des citoyens pour leur Cité et le nouveau progrès de l’extrême droite. Ces deux phénomènes sont les deux faces du même mal : la rupture des citoyens avec la politique et l’espoir qu’elle portait autrefois au profit d'une position nihiliste. Cette rupture ne s’arrête pas là, elle comporte un troisième visage : l’apolitisme avec lequel beaucoup de votants se déterminent, passant allègrement d’un candidat à l’autre, voire d’un « extrême à l’autre », sur des critères extraordinairement subjectifs (bonne mine, belles paroles, petites phrases, peur, colère...). Nous vivons un manque cruel de base idéologique et la première tâche des politiques et des militants doit être celle-ci : reconstruire une échine idéologique forte des forces de progrès, ce qu’aucun mouvement n’assure aujourd’hui, lui préférant les ficelles du marketing et de la démagogie, avec la confusion qu’elles portent. L’autre très mauvaise nouvelle est que l’urgence climatique dépassée, dont conviennent tous les esprits sensés, ne s’est traduite ni dans le débat ni dans les urnes.
Elle comporte aussi de bonnes nouvelles. Le succès relatif des deux candidats républicains (ô combien différents !) que sont Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon montre que beaucoup se sont mobilisés face au péril que constitue plus que jamais l’extrême droite. Mais la cristallisation des votes sur leurs noms au cours des derniers jours, des dernières heures, des dernières minutes, révèle qu’une bonne partie de leur électorat n’est ni macroniste ni mélenchoniste. À eux d’en tirer les conclusions. Le phénomène des vases communicants qui a siphonné l'électorat de tous les autres candidats (et dont une conséquence délétère est de les priver de remboursement des frais de campagne, donc des moyens de poursuivre leur action) doit être interprété à l’inverse : leur potentiel pèse à bien des égards plus que leur résultat du 10 avril.
Reste que nous avons nous devant un second tour face auquel nous n’avons pas le droit de nous laver les mains. De Drumont à Zemmour, de Maurras aux Le Pen, l’extrême droite, au-delà de sa démagogie habituelle, n’a qu’une constante : rendre responsable de tous les maux un bouc émissaire, hier juif, aujourd’hui arabe et noir, et courir après le rêve absurde d’une purification ethnique. Ceux qui se sont abstenus en 1933 ou ont voté pour Hitler en croyant qu’il se discréditerait et serait rapidement évincé se sont lourdement trompés, et beaucoup d’entre eux n’étaient plus là 12 ans plus tard pour s’en mordre les doigts. Ne jouons pas avec le feu.

Notes

[1] Toutes les données brutes sont accessibles sur le site du ministère de l’Intérieur : résultat 2022 et résultat 2017.

[2] Incluant « l’extrême centre » protestataire de l’inclassable Jean Lassalle et son surprenant résultat.

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