Histoire d’Ainoa

Elle est née à Barranquilla, où vivent toujours ses parents. Elle est venue encore enfant à Cartagena mais, comme tout Barranquillero qui se respecte, pour rien au monde elle ne manquerait le carnaval de sa ville.
Elle a 39 ans. C’est un petit bout de bonne femme, dont la détermination tranquille ne cache que peu de temps le charme discret, les yeux de velours et le sourire enjôleur. Elle habite le quartier populaire du Pie de la Popa, le pied de la colline et du monastère veillant sur Cartagena…

Elle a eu 3 enfants assez jeune, avec un homme qu’elle n’aimait pas vraiment, pressée de quitter le cadre familial. Ils ne se sont pas mariés : il ne voulait pas. Ils ont vécu ensemble, le temps de faire les enfants, et un peu au-delà. Elle sortait de l’adolescence, elle est devenue mère de famille sans à peine s’en rendre compte. Les désillusions n’avaient pas attendu : le prince charmant courait un peu, buvait pas mal, la battait plus souvent qu’à son tour. Un jour elle en a eu assez, elle est partie, ses 3 mômes sous le bras, elle est allée se cacher non loin de chez ses parents.
Peine perdue, il l’a retrouvée. Il l’a fait chanter : je reprends les enfants, tu viens avec nous ou tu les perds. Elle a cédé. Elle aurait perdu la vie plutôt que ses 3 amours. Elle a repris la vie commune. Comment appeler cela ? Ce n’est pas un viol ?

Mais cela ne pouvait pas durer. Une loi protégeant les femmes avait été votée entre-temps*. Avec la médiation d’un service social, ils ont fini par trouver un terrain d’entente : la séparation, mais à proximité, la nourriture payée par le père, le logement par la mère, etc. Ils ont même retrouvé une relation apaisée, une fois que les petits drames du quotidien ont cessé de la miner. Il s’est acquitté ponctuellement des 10 € de la dépense de bouche quotidienne. Enfin, tant qu’il n’a pas retrouvé une compagne… Maintenant, c’est un peu la croix et la bannière, il faut parler, écrire, les enfants doivent parfois aller chercher l’argent eux-mêmes.

Pour partir, il lui fallait retrouver les moyens de payer le loyer et divers à-côtés. Elle fabrique ou décore depuis 10 ans des objets artisanaux pour les touristes. On les lui achète 0,2 € ou 0,25 € pour les revendre 1 € : mini-sombreros, stylos, verres à liqueur, mini-sacs… Au rythme de 200 par jour, 6 jours par semaine, de 8 h du matin à 11 h du soir, oh, en s’arrêtant bien sûr : les repas, la vaisselle, les lessives, les devoirs des enfants… En saison touristique, elle s’en sort bien. En dehors, c’est dur. Elle gagne dans les 150 € par mois : les 4/5 du salaire minimum. Elle a dû déménager récemment pour réduire le loyer : elle ne paye plus que… 200 € par mois. Où trouve-t-elle la différence ? Elle emprunte. Mais il faut bien rembourser, en payant un taux d’usure. Les intérêts ! À eux seuls, un quart de son budget ! Pour les fêtes elle empruntera plus, achètera des vêtements et les revendra…

Loisirs, santé, retraite ? Ces choses-là sont pour les autres.

Elle voudrait changer de vie, ailleurs, tout reprendre à zéro. Ainoa a 3 rêves : voyager, se marier, retrouver un père pour ses enfants. En attendant, elle continue de trimer pour eux. Et de leur parler avec une douceur infinie. Les yeux de velours ne les trompent pas : ils filent doux, sans qu’elle ait à élever la voix.
Que ne ferait-elle pas pour eux : ils sont tout son bonheur.

* La loi colombienne du 04/12/2008 définit "la sensibilisation, la prévention et les sanctions relatives aux violences et aux discriminations dont les femmes sont l’objet".

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.carnetsdexil.com?trackback/104

Fil des commentaires de ce billet