Histoire de Dona Julia, 24/03/16

Dona Julia peut avoir 65 ans. Elle vit à Guamá, le quartier le plus populeux de Belém. Son ancêtre est venu de Russie ou de Croatie pour combattre avec les Cabanos (était-ce bien avec les révoltés du Cabanagem* ?), donc entre 1835 et 1840, puis il s’est installé dans la région.

Dona Julia est une femme du peuple. Elle ne roule pas sur l’or, mais elle a sa maison. Une maison en dur, agrandie au fil du temps vers l’arrière : beaucoup de façades de Belém sont étroites, les maisons y sont tout en longueur. La propriété de Dona Julia est contestée par certains de ses frères. Son seul argument est qu’elle n’a pas ailleurs où aller, mais le statut de la maison, héritée pour partie de sa grand-mère, pour partie de sa mère, joue en sa faveur.
Ce petit bout de femme est une battante. Elle a toujours travaillé, s’est toujours démenée pour faire vivre sa famille ; couturière, elle a repris des études pour être professeur, mais n’a enseigné que 2 ans : elle a recommencé à travailler, puis a pris du galon comme styliste. Elle continue aujourd’hui à coudre, plus occasionnellement…

Dona Julia pense beaucoup de mal des bandits impliqués (ou pas) dans le lava jato : elle les met tous dans le même sac. Pour elle, ceux que la dictature avait exilés l’avaient été parce qu’ils étaient corrompus. Mais Figueiredo** les a rappelés et ils ont fait pire par la suite. « Tous des voleurs ». Dona Julia ne fait pas dans le détail. La criminalité ? Elle vient de ce que ces Indiens ne veulent pas se fatiguer à planter ce qui pousserait pourtant tout seul ; ils préfèrent venir en ville et ne savent rien faire d’autre que voler ou se droguer. Mais voilà : les politiciens sont des vendus qui les protègent…
Comme beaucoup de ceux qui se défoncent pour travailler, vivre et faire vivre leur famille, la vie est simple : les autres n’ont qu’à faire pareil. S’ils ne font rien, c’est que les politiciens les y encouragent et les protègent. La bolsa familia*** ? 300 reais par mois sans rien faire (~75 €) ! Pourquoi travailler ?

À la maison, Dona Julia fait tout. Les hommes de la famille mettent les pieds sous la table et ne savent pas où on étend le linge. Son mari, d’ailleurs, n’est pas souvent là en semaine. Il est retraité mais continue à travailler, parce qu’« à la maison il ne pourrait pas boire ». Il part très tôt, vers 6 h 30, et devrait rentrer autour de 7 h, mais ne revient généralement qu’ivre vers 9 ou 10 h. Et de plus, jeune, namorava muito ! (« il était très coureur »). Le week-end, il reste le plus souvent dans sa chambre pendant que Dona Julia s’affaire.
Voici ce qui leur est arrivé : c’était un mois après le vote de la loi Maria da Penha : le mari de cette pharmacienne avait tenté de la tuer deux fois et elle était restée paraplégique ; elle s’était démenée jusqu’à ce qu’une loi sanctionnant les violences conjugales soit votée****.
Un mois après, donc, le mari de Dona Julia rentre ivre comme d’habitude, et la bat plus violemment que d’habitude : assez pour que les voisins appellent la police. Les enfants témoignent. Il est condamné et fait 45 jours de prison. À sa sortie, on lui interdit d’approcher à 200 m de la maison.
Les années passent, les choses se tassent. Un jour, 9 ans plus tard, il revient et lui dit qu’il est seul, malade et qu’il a besoin d’aide. Les enfants intercèdent pour lui auprès de leur mère. Dona Julia accepte mais pose une condition : « Tu ne bois plus. Si tu recommences à boire, tu prends la porte. »
Il s’installe et pendant 6 mois il ne boit plus. Puis il recommence. Du moins semble-t-il n’être plus violent que verbalement.
Quand on lui dit qu’on ne peut pas vivre sans amour, Dona Julia hausse les épaules et ricane :
– L’amour ? On s’en passe très bien…

(*) Cabanagem : révolte des cabanes. Le Grão-Pará est resté rattaché à la couronne portugaise après l’indépendance, et la peuple, celui des cabanes, s’est révolté pour lui échapper. Le tiers de la population a été tué lors de la répression
(**) João Figueiredo : dernier président de la dictature militaire
(***) Allocations familiales, mises en place par Lula en 2003. La bolsa dépend des ressources, du nombre d’enfants, etc. Son montant moyen est en réalité de 175 R$ (le salaire minimum est de 880 R$)
(****) Avant cette loi, dit Dona Julia, seule la famille pouvait agir contre des violences conjugales. Elle était un jour intervenue en s’inquiétant de la violence d’un voisin contre sa femme. « Vous êtes de la famille, lui avait-on demandé ? – Non, une voisine. – Rentrez chez vous, vous ne pouvez pas vous en mêler… »

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