Villes brésiliennes, 02/05/16

Rio n’est pas une belle ville. Sacrilège ? Le site de Rio compte sans doute parmi les plus beaux du monde, sa culture est d’une immense richesse, ses habitants sont adorables… C’est même une des villes où j’aimerais vivre. Et pourtant : Rio n’est pas une belle ville…

Une belle ville, c’est une ville cohérente, une ville où l’urbanisme de chaque époque est venu apporter… sa pierre à une œuvre commune à travers le temps, en respectant (plus ou moins) celles qui l’ont précédée. Le drame des villes brésiliennes, c’est ce cycle infernal que j’ai évoqué à propos de Fortaleza, ce cycle de 40 ou 50 ans au cours duquel, dans le public comme dans le privé, on construit, on abandonne, on détruit et on reconstruit. Les villes amazoniennes qui s’enorgueillissent de leur pauvre histoire de 200 ans n’ont pas été fichues d’en conserver la trame.

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La francophilie (du moins les émules d’Hausmann, à partir du XIXe siècle) et l’américanisme (depuis le XXe) ont fait au Brésil plus de dégâts que deux guerres mondiales en Europe. La volonté de faire des villes modernes, propres, socialement nettoyées… a détruit des joyaux à Rio ou à Recife (que j’adore aussi), et pire, a volé leur âme : ici l’avenida Getúlio Vargas, là l’avenida Dantas Barreto ne sont que de hideux désastres. Je ne connais pas les plans d’urbanisme de ces deux villes. S’ils sont honnêtes, ils tiennent en une ligne : « Tu as le fric ? Fais ce que tu veux là où tu veux. »

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Voici une affaire symbolique et triste à pleurer. En 1943, la dictature de Vargas décide de construire à Rio une voie autoroutière surélevée longeant la baie de Guanabara. Une église du XVIIIe siècle classée ? Qu’à cela ne tienne : la classification de l’Igreja dos Clérigos est révoquée. Et le Perimetral orne Rio des kilomètres de son ruban sale, triste et polluant. En 2013 et 2014, on finit par mettre le monstre à mort. Certes, la nouvelle praça Mauá est magnifique. Mais qui réparera le désastre et la gabegie causés par cette aberration ? Rio, en mille autres endroits, continue d’être défigurée par d’inextricables enchevêtrements de voies surélevées et par la compilation de buildings sans intérêt et sans grâce.

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Roland Castro, raillant « l’objet célibataire », explique que l’architecture doit être contextuelle, faite « d’une attitude, d’une attention portée à l’existant bâti, géographique, climatique, végétal, artistique, technique, aux réseaux… ». En un mot : « une attention obsessionnelle pour la singularité »*. Et il cite la tour Agbar de Barcelone, construite par Jean Nouvel comme un répons à la Sagrada Familia d’Antoni Gaudí, lui-même inspiré par la montagne de Montserrat.

Rio de Janeiro, Santa Rita en 1846 (Eduardo Hildebrandt). Avril 2016
Rio de Janeiro, Santa Rita aujourd'hui. Mai 2016

Les belles villes du Brésil sont généralement celles qui se sont endormies assez longtemps pour échapper à la boulimie des promoteurs. Dieu sait qu'il y en a : San Luís, la ville haute de Salvador, Marechal Deodoro, Igarassu, Olinda, Ouro Preto, Paraty, etc. Mais d’autres exemples montrent que les villes modernes peuvent aussi être magnifiques : Brasilia – en tout cas son plan pilote, et c’était tout de même le moins que son résultat offre de la cohérence ! –, ou encore Natal. Natal n’a jamais respecté son passé, hélas, mais du moins urbanistes et architectes semblent-ils s’y être donné le mot pour en faire une ville aérée, où mille buildings ne s’écrasent pas les uns les uns les autres, où leurs structures et les couleurs de leurs azulejos dialoguent dans d’infinies variations.

Natal. La structure des buildings et les couleurs de leurs azulejos dessinent une architecture aussi originale que fonctionnelle. Mai 2014

(*) Entretiens avec Jean-Pierre Le Dantec et Sophie Denissof, 2009, inédit.

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