Indépendances

Frankfurt am Main, 24/06/16
On ne peut reprocher aux Britanniques de quitter l’Union européenne. C’est leur droit. On peut leur reprocher de le faire pour de mauvaises raisons, à commencer par la peur de l’immigré.

Que va changer concrètement leur départ ?
Personne ne peut le dire. Mais pas forcément grand-chose. La Norvège et la Suisse, un pied à l’extérieur de l’UE, étaient plus arrimées à la construction européenne que le Royaume-Uni avec un pied à l’intérieur. Nous avons le tort de penser l’Europe comme un bloc institutionnel. C’est un château de multiples cartes (Conseil de l’Europe, UE, Euro, Schengen, États associés, etc.) dont les frontières ne se superposent pas. Les Britanniques vont désormais négocier au cas par cas, avec l’acharnement qu’on leur connaît (et parfois la mauvaise foi) le maintien du bénéfice de certaines dispositions, et peut-être, passé le choc, de nouvelles. Sous peine de s’effondrer, l’économie britannique ne pourra pas revenir sur la libre-circulation.

Que change le Brexit dans notre imaginaire collectif ?
C’est un tremblement de terre, et c’est en l’occurrence, de beaucoup, le plus important. Le rêve européen est fracassé. Le plongeon des bourses était prévu. Les mouvements populistes s’engouffreront dans l’appel d’air ouvert, en France, en Autriche, partout ailleurs… L’Écosse va puiser dans le repli sur lui-même du Royaume-Uni un nouvel argument fort pour couper les liens avec l’Angleterre. L’Écosse actuelle obtiendra-t-elle des dérogations pour maintenir certains liens avec l’UE ? L’Écosse indépendante devra-t-elle reprendre à zéro une démarche d’adhésion ? L’indépendance de l’Écosse sera-t-elle le détonateur de celle de la Catalogne, qui n’attend que ça ?

Un divorce est toujours un échec partagé. L’Union européenne paye une fois de plus son incapacité à corriger ses vices structurels. Le mot Bruxelles est devenu une insulte. Tant qu’elle abritera des politiques et des fonctionnaires coupés de la réalité ; qu’ils feront sortir d’un chapeau des directives arbitraires ou farfelues ; qu’ils reconnaîtront comme seul critère de jugement la sacro-sainte concurrence ; qu’ils n’harmoniseront pas le contexte social et fiscal de la concurrence ; que le pouvoir européen ne sera pas issu de la volonté populaire ; qu’il faudra échafauder des compromis boiteux pour maintenir l’illusion de l’unanimité entre les 28 (pardon, les 27), les institutions européennes continueront de dilapider le peu de crédit qui leur reste.
De quelque pays et de quelque bord politique qu’il vienne, le populisme fait une lourde erreur en prônant le repli sur une île qui serait protégée de la mondialisation. Le Brexit est une baffe qui doit pousser les continentaux à remettre en cause la façon dont l’Europe s’est faite, et enfin, à construire une véritable fédération des peuples, capable de redonner de la force, du dynamisme, de l’enthousiasme à la société, à l’économie, à la culture européennes. Face à une mondialisation à laquelle nous ne pouvons échapper, mais sur laquelle nous devons peser, nous n’aurons pas d’autre indépendance que celle de l’Europe.

Pour l’instant, le jeudi noir du 23 juin est un traumatisme dont nous allons tous souffrir, à commencer par les Britanniques. Le repli sur soi ne conduit qu’à l’appauvrissement.
Ceci n’est qu’une réaction à chaud. Je ne la prétends pas rigoureuse, à peine est-elle politique. C’est le reflet de mon désarroi.

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