L’enterrement de Joselito, 01/03/17

« Les congos* passant leur cuite sur un hamac », Ángel Loochkartt, 2010, Musée d’art moderne de Bogotá, novembre 2016

Le peintre Ángel Loochkartt (né en 1933) a consacré une bonne partie de son œuvre au carnaval de sa ville, Barranquilla, le plus fameux de Colombie, si ce n’est de l’Amérique hispanique. Il en a saisi l’essence bariolée et trépidante. Certes Barranquilla n’est ni Rio et sa démesure babelienne, ni Recife et l’incroyable diversité de sa culture populaire. Cela n’enlève rien à sa ferveur et à son allégresse. Or, des nombreux événements qui animent la métropole du nord, au centre désert mais aux quartiers peints à ses couleurs, durant les 4 jours de fête du dieu Momo, le plus gai et le plus drôle est peut-être un enterrement : celui de Joselito, son représentant terrestre.

Cumbia funèbre : les enfants aussi pleurent leur Joselito… Barranquilla, février 2017

On l’enterre vraiment. À dire vrai, ce mardi-gras, on en a même enterré plusieurs. Les cortèges qui se lamentent en passant devant la vénérable université Simon Bolivar sont en partie ceux qui ont sillonné la ville les 3 jours précédents. Ici une excellente cumbiamba infantile, là une troupe de marimondas colorés ; ce sont les incontournables du carnaval barranquillero : la cumbia était déjà dansée au début du XIXe siècle et un habitant du Quartier d’en bas avait déjà inauguré le costume mi-éléphant mi-scaphandrier des marimondas au début du XXe… Mais le point commun de tous les groupes est ce jour-là de pleurer le roi carnaval. Tout comme la reine de l’année, lancée dans de grandes lamentations sur le corps de son roi.

Marimondas enterrant Joselito, Barranquilla, février 2017

Elle n’est pas seule : les veuves joyeuses ne se comptent pas. Leurs hurlements de détresse font vite placer aux éclats de rire et aux postures obscènes. Les plus éplorées montrent à la cantonade leur (vrai) ventre lourd des œuvres de Joselito ou traînent son enfant pour revendiquer leur titre de légitime. Les veuves travesties se crêpent le chignon ou se jettent à terre. Toutes se ruent sur un malheureux Joselito qu’elles rouent de coups pour le ramener à la vie.

Une veuve tend à Joselito le fruit de ses œuvres… Barranquilla, février 2017

La mort est omniprésente dans le carnaval de Barranquilla. Elle en révèle à sa manière la source et le sens religieux. Dès le premier jour, le thème de la danse avec la mort a les faveurs de plusieurs groupes carnavalesques. Et le dernier, la mort devient le personnage majeur de la fête. En apparence, elle a raison de son prince et de ses réjouissances. En fait, elle est tournée en ridicule par ses officiants. Le travestissement est à la base du carnaval : celui du déguisement, celui de l’inversion des sexes, celui de l’inversion temporaire des valeurs.

En rire, c’est vaincre la mort… Barranquilla, février 2017

Alors, en ce jour, la mort est elle aussi travestie, en effusion de vie. Enterrer Joselito jusqu’au prochain carnaval, c’est pour les vivants marquer leur seule victoire possible sur la mort : rire d'elle.

* Le congo est un déguisement très ancien du carnaval de Barranquilla, son origine lointaine serait une danse guerrière du Congo.

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