La découverte de l’Amérique, 23/07/16
Par Dominique Sarr le 23/07/2016, 21:25 - Chronique - Lien permanent
Ma vie est étrange…
En mars 2015 j’étais à Séville, à la recherche de la jeunesse de Diego Velázquez. J’ai même raté l’arrivée d’Ulysse ; que voulez-vous, ces gens qui passent leur temps dans les bus et les bateaux, c’est un peu dur de gérer leurs calendriers. Et celui-là, entre l’Aventurier* et moi, il a de qui tenir ...
J’ignorais alors que la fortune de Séville s’était construite sur le monopole du commerce avec le Nouveau Monde et que Christophe Colomb y reposait.
Un mois plus tard j’étais à Cuba, premier lieu où il a abordé en 1492 après des îlots des Bahamas. Déjà je me sentais le poursuivre.
En septembre, j’arrivais à Santo Domingo, où je découvrais avec stupeur la ville que Bartolomé (Colomb le frère) a fondée et d’où Diego (Colomb le fils) a dirigé le vice-royaume des Indes occidentales. Et je voyais, émerveillé, les palais et la rue des Dames tels qu’ils ont été bâtis en 1502 : en aucun autre lieu de la Terre, je n’ai autant éprouvé le poids de l’Histoire.
Hier j’ai posé le pied sur la terre du Yucatán, où Francisco Hernández a initié en 1517 la conquête du continent**. Je suis leur route d’or et de sang. Bientôt, je vais suivre celle de Cortés jusqu’à la capitale des Aztèques, et plus tard, celle de Pizarro jusqu’à celle des Incas.
Qu’est-ce diable qui m’a imposé ce destin ? Suis-je malgré moi envoûté par une des aventures les plus extraordinaires de l’histoire humaine ? Est-ce que j’enquête sans m’en rendre compte sur un de ses plus abominables crimes ?
Ce matin je me réveille vaporeux. Il me faut quelques instants pour me rappeler où je suis. Quand, et qui… Combien vais-je tuer aujourd’hui de ces crétins qui nous ont reçus les bras chargés de fleurs et d’or ? Nous avons jeté les fleurs. L’or brille dans nos yeux et brûle nos cervelles. Ils ne nous donnent plus d’or. Je suis en pleine forme. J’inonderai leurs femmes de ma semence, j’éventrerai les hommes ou les ferai dévorer par les molosses dressés à cette fin. S’il s’en trouve, je brûlerai leurs livres plein de grotesques diableries.
Puis j’irai rendre grâce à Dieu de la gloire dont il nous auréole pour cette conquête faite en son saint nom.
(*) Voir Enceinte, tout est possible, de Renée Greusard, chez Jean-Claude Lattès.
(**) Il n’était pas tout à fait le premier à fouler le sol du continent américain : à partir de 1511, des Espagnols étaient passés sur les côtes de Floride et du Yucatán. Et puis Cabral avait découvert le Brésil en 1500. Quant aux Vikings et aux Dieppois, dit-on...
(***) « [Vous êtes tous en état de péché mortel et en lui vous vivez et vous mourrez à cause de la cruauté dont vous faites preuve à l’égard de ces gens innocents.] Dîtes-moi : de quel droit et selon quelle justice tenez-vous ces Indiens en une horrible et cruelle servitude ? Ne sont-ils pas des hommes ? N’ont-ils pas d’âmes rationnelles ? N’avez-vous pas obligation de les aimer comme vous-mêmes ? »