La seconde mort de Sandino, 26/08/16

Augusto César Sandino, petit employé de León, avait pris les armes dans les années 20 et fini par devenir le général en chef de l’EDSN*, luttant contre l’occupation du Nicaragua par les États-Unis. En 1934, le futur dictateur Anastasio Somoza García le fait enlever à la sortie du palais présidentiel et assassiner. C’est de son histoire que se réclameront la plupart des révolutionnaires du pays, notamment le FSLN (Front sandiniste de libération nationale) qui chassera en 1979 le dictateur Anastasio Somoza Debayle, fils du précédent. Après avoir dû abandonner le pouvoir en 1990, le FSLN l’a repris en 2006, en la personne de son chef, Daniel Ortega, le tout par la voie des urnes…

Meeting pour la réélection de Daniel Ortega, León, août 2016

Le 23 août, je me suis retrouvé à León dans un meeting sandiniste pour la réélection de Daniel Ortega**. Enthousiasme populaire, chants, personnages de carnaval, références constantes à la lutte révolutionnaire victorieuse contre Somoza, à la campagne d’alphabétisation, à leurs martyrs : je replongeais 36 ans en arrière. Et puis un vétéran est passé dans les rangs et s’est planté devant moi : « Pourquoi ne parlent-ils pas du prix des frijoles ? » répétait-il constamment, et il égrenait en alternance les problèmes actuels de la population et son histoire de vétéran des révolutions castriste (!) et sandiniste.

On peut admirer le sens politique de Daniel Ortega, exemple rare de dirigeant révolutionnaire ayant quitté le pouvoir suite à une défaite électorale, mais surtout capable de le reprendre par l’indiscutable*** victoire électorale de 2006, et de prendre pour premières mesures la gratuité de la santé et de l’éducation.

Rigorisme et permissivité : jeux d’argent libres, avortement interdit dans tous les cas, homosexualité dépénalisée, travail sexuel reconnu, et santé avant tout, Masaya, août 2016****

On peut aussi s'étonner qu’il l’ait reconquis en abandonnant les couleurs sandinistes, au propre comme au figuré : références insistantes à Dieu, interdiction de l’avortement libéralisé après la victoire de 1979, mot d’ordre neutre du « bon gouvernement », ouverture aux capitaux privés, en pratique américains (1/3 du total et multipliés par 3 en 6 ans).

Investissements étrangers au Nicaragua*****

Je n’ai naturellement pas à juger du gouvernement d’un pays étranger, a fortiori sur la base de quelques jours de présence et de quelques lectures. Il n’y a pas qu’au Nicaragua où la gauche est écartelée entre réalistes, qui tentent de gérer le capitalisme libéral en le colorant de social, et volontaristes, qui à défaut de le tuer s’efforcent de le juguler : les premiers échouent abandonnés par leurs mandants, les seconds étouffés par le mur d’argent.
Je peux seulement constater que le Nicaragua en devenir ressemble beaucoup plus à Saint-Domingue qu’à Cuba, et que les références à l’histoire révolutionnaire, sûrement sincères, habillent une réalité économique où tout semble possible si cela fait rentrer de l’argent dans les caisses.

Effigie de Sandino, colline de Tiscapa, Managua, août 2016

Mon premier contact avec Managua a été quelque peu démoralisant ; logé dans un quartier huppé et branché, j’y ai vu l’occasion de manger dans un bon restaurant : toutes les cartes étaient libellées en dollars, j’ai décliné et dû en faire 5 ou 6 avant d’en trouver une en córdobas. Le lendemain, ma première visite a été pour l’effigie géante de Sandino qui domine la lagune de Tiscapa et tout Managua : horreur, le billet d’entrée du parc de la municipalité (sandiniste) qui l’abrite coûte… 1 dollar. Payer en dollars pour accéder à la statue de Sandino !
Mon pauvre Sandino, cela valait-il la peine de mourir ?

* EDSN : Ejército Defensor de la Soberanía Nacional, « Armée de défense de la souveraineté nationale »
** L'élection présidentielle doit avoir lieu le 6 novembre
*** Contrairement à sa réélection de 2011, anticonstitutionnelle et suspectée de fraude
**** « Je suis travailleuse sexuelle et j’ai droit à recevoir un service médical de qualité et à être respectée. Usage systématique du préservatif. »
***** Source : Comisión Económica para América Latina y el Caribe

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