Managua, 31/08/80

Nous quittions le Nicaragua après le mois et demi de tournage du film de Sylvie Dreyfus, Nicaragua après Somoza, avec Christian Baudu et Henri-Michel Bonnot. Je crois que nous faisions vraiment une belle équipe. Henri-Michel se tuerait 5 ans plus tard en hélicoptère : accident du travail. Géraud Belin, le monteur du film, avait alors déjà succombé au désespoir.
J’en garde une foule d’images, celles du film, et bien d’autres...

Managua, dont le centre avait été rasé par le tremblement de terre de 1 972, était toujours en ruines, Somoza s’étant mis dans les poches l’aide internationale...

Je me souviens de 2 des grandes émotions de ma vie, toutes deux derrière l’œilleton de notre Arriflex.
La cathédrale de Managua, seule survivante du tremblement de terre (avec la tour élancée du Banco de América, dont les 18 étages modernes respectaient les normes antisismiques...). Le toit s’était effondré, mais les murs étaient intacts. Et ce survivant décapité était grandiose.
Et la petite alphabétisatrice d’un coin perdu de campagne. Cette gamine de 15 ans apprenait à lire à un vieux paysan avec une douceur et une patience angéliques.

Je me souviens de tant d’autres choses : je me souviens de l’immense fête de fin de la campagne d’alphabétisation, réunissant 100 000 étudiants et collégiens qui, 6 mois durant, avaient suspendu leurs études pour partager leur savoir.
Je me souviens de l’Assemblée nationale et des bureaux ministériels où les ex-guérilleros me semblaient détonner autant que nous…
Je me souviens de la population caribéenne de Bluefields, de ses maisons de bois coloré plongeant vers la mer, de ses champs d’ananas.
Je me souviens du requin et des œufs de tortue dévorés sur la côte pacifique, pour notre seule journée de détente du séjour. Je me souviens aussi du poivrot étendu au milieu de la route du retour et que j’ai failli écraser. Trois fois nous l’avons soutenu jusqu’au bas-côté, 3 fois il est revenu s’allonger au milieu du bitume.
Je me souviens de l’enthousiasme populaire pour la révolution sandiniste qui, un an plus tôt, avait libéré le pays après 4 décennies de la dictature bananière des Somoza.
Je me souviens de l’avion militaire qui nous conduisait à Bonanza et je me souviens du fastueux repas (comme toujours : viande, plantains, frijoles*, riz…) que nous y avons pris sur une terrasse fraîche de la montagne.
Je me souviens de tous les délices de ces repas dans des comedores** où nous mangions pour rien. Les Nicaraguayennes font frire les plantains comme nulle part ailleurs.
Je me souviens de la plaza de toros***, centre animé et populaire de la vie nocturne d’alors, où certains soirs nous venions boire, danser ou faire jouer les mariachis**** à notre table...
Je me souviens...

22 août 2016 à 11 h 50 : j’entre au Nicaragua par le poste de Guasaule, sur la frontière hondurienne. Que vais-je retrouver de tout cela ? ...

* frijol : haricot, et en Amérique centrale, spécialement haricot rouge
** comedor : (« salle à manger ») en Amérique centrale : restaurant populaire
*** plaza de toros : arènes (tauromachiques). À Managua, la place devant la plaza de toros était piétonne était occupée par des bars, des restaurants, etc.
**** mariachis : groupe de musiciens d’origine mexicaine répandue dans toute l’Amérique centrale (guitares, petite guitare, guitarron et aujourd’hui trompettes)

PS. Un jour, quand j'y aurai accès, j'ajouterai des photos du film...

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