Pour Zweig, 29/04/16

Je partage beaucoup avec l’auteur de Lettre d’une inconnue, et au moins 3 passions : l’interrogation sur le mystère de la création ; la fascination pour l’œuvre de Casanova et pour l’homme lui-même (*) ; l’amour du Brésil, que Stefan Zweig a adoré dès son premier passage et qu’il a choisi pour lieu de sa retraite. Et puis, comme lui, je suis exilé…

Stefan Zweig, premier passage à Rio (1936)

Plus encore, je porte la plus grande admiration à son intelligence aiguë, son élégance, sa finesse. Elles se retrouvent dans son œuvre romanesque, avec un art consommé de l’intrigue, avec l’obsession des récits enchâssés ; La peur, Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, Lettre d’une inconnue, sur des registres différents, nous atteignent jusqu’à l’os.

Elles se retrouvent avec plus de force encore dans le genre d’essai littéraire qu’il a fondé, pour partie analyse littéraire, pour partie étude psychologique, pour partie éléments biographiques. Il nous fait redécouvrir Balzac, fils manqué de Napoléon ; il éclaire brutalement l’opposition entre Don Juan, misogyne, se servant des femmes et les humiliant, et Casanova, amoral, qui les séduit et les délaisse, mais n’est réellement heureux que lorsqu’il les comble. De chacun d’eux, de Dickens, de Dostoïevski, de son ami Freud… si différents soient-ils, si opposés soient-ils, Zweig parvient à dégager l’essence et à mettre le doigt sur ce qui fait son génie propre.

"Bungalow" de Stefan & Lotte Zweig à Petrópolis

Dès février 1934, Stefan Zweig, viennois, francophile, juif, honni par les nazis, s’exile pour Londres, Paris, New York, où il écrit en mai 1941 son seul texte politique : En cette heure sombre, message à la réunion du Pen Club américain. Il finit par se fixer durant l’été 1941 au Brésil, et en octobre à Petrópolis : l’Allemagne du Sud avec des palmiers… Il succombe au charme du lieu, comme l’avait fait l’empereur Don Pedro Ier, fondateur de la ville – d’où son nom (**). Il y écrit Le joueur d’échecs, y lit souvent à la Bibliothèque municipale, y fréquente Gabriela Mistral, y rencontre un autre exilé, Georges Bernanos, ex-maurassien et antinazi. La barbarie hitlérienne, l’inquiétude devant la guerre, l’impossibilité de publier en Allemagne, la maladie de Lotte muent son pessimisme latent en désespoir et, le 22 février 1942, Stefan et Lotte Zweig mettent fin à leurs jours.

Lettre d'adieu (***), Casa Stefan Zweig, avril 2016

Je ne pouvais passer si près d’eux sans parcourir les 60 km de la somptueuse route de montagne menant de Rio à Petrópolis pour lui rendre hommage, et y inspirer l’air des derniers jours de la vie de Stefan Zweig.

Tombe de Stefan & Lotte Zweig, cimetière municipal, Petrópolis, avril 2016

(*) Encore qu’avec plus que des nuances. Je n’en relève qu’une : ce n’est pas tant par « ennui » ou « manque de distraction » que Casanova écrit L’histoire de ma vie. Il le dit en substance dans sa préface : ne pouvant plus jouir des plaisirs de la vie, je trouve mon plaisir à me les remémorer.

(**) Fondée après 1822, la ville compte aujourd’hui 300 000 habitants.

(***) « Déclaration
Avant de quitter la vie de ma libre volonté et l’esprit clair, une ultime obligation s’impose à moi : remercier avec ferveur ce pays merveilleux, le Brésil, qui m’a procuré ainsi qu’à mon travail un refuge si agréable et si hospitalier. J’ai chaque jour appris à aimer de plus en plus ce pays, et en aucun autre lieu je n’aurai pu reconstruire complètement ma vie, au moment même où le monde de ma propre langue s’est pour moi éteint et où ma patrie intellectuelle, l’Europe, s’anéantissait elle-même.
Mais après soixante ans, il me faudrait des forces puissantes pour tout recommencer. Et mes miennes se sont épuisées au cours de longues années d’errance sans patrie. Aussi je juge préférable de refermer, en temps opportun et en pleine conscience, une vie qui a toujours trouvé dans le travail intellectuel la joie la plus pure, et dans la liberté personnelle le bien le plus précieux sur terre.
Je salue tous mes amis. Qu’ils puissent encore voir l’aurore après cette longue nuit ! Quant à moi, trop impatient, je m’en vais avant.
Stefan Zweig, Petrópolis, le 22 février 1942 »

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