Structurer l’espace urbain, 24/04/16
Par Dominique Sarr le 24/04/2016, 18:18 - Chronique - Lien permanent
Il y a l’ensemble des villes brésiliennes, qui présentent la même segmentation anarchique (voir : Espace urbain, 11/03/16). Et il y a Brasília, construite sur un trait de plume, du moins quant à son plan pilote, cet oiseau dont le bec plonge dans le lac artificiel de la ville.
Sans aucun doute le plus grand projet urbanistique de l’histoire, Brasília repose sur une double articulation : elle est structurée en quadras dont chacune affirme sa structure propre.
Le corps et la tête de l’oiseau s’ordonnent autour d'un axe monumental : sa tête est le centre du pouvoir fédéral, dans lequel les esplanades des ministères viennent mourir sur la place des 3 pouvoirs. De chaque côté de cet axe ouest-est, où sont érigés des bâtiments publics tels que musées, bibliothèque, mémorial de Juscelino Kubitschek, cathédrale…, le corps de l’oiseau lui-même est découpé en quadras fonctionnelles : administratives, hospitalières, hôtelières, commerciales, bancaires, etc.
Au-delà se déploient ses ailes (sud et nord) et leur assemblage de quadras résidentielles. Elles sont de différents types : habitat individuel, collectif, superquadra… mais on retrouve des régularités dans chacune : sa rue commerçante, une poste, un équipement social, des espaces verts… : on dispose toujours à portée de main de la base de la vie quotidienne. Les lisères des quadras, sur les larges avenues qui desservent les ailes, ont chacune une spécificité fonctionnelle : églises/collèges, commerce, bureaux…
Tout ceci est très codifié, et il y aurait plus poétique. Mais au bout d’une journée, on sait déjà localiser la quadra 413 Nord, l’avenue W3 Sud et on a compris que la SHIGS 715 Nord abrite des maisons individuelles.
Évidemment, ce bel ordonnancement à ses limites, qui s’aggraveront avec le temps : son peu d’évolutivité (les ministères ont depuis longtemps explosé…) ; la datation dans l’ère de l’automobile triomphante (il est très difficile de se passer de voiture…) ; et, sinon de la monotonie, une certaine atonie bien peu brésilienne. Mais telle qu’elle est, Brasília est à l'évidence une ville où il fait bon vivre – pour qui en a les moyens… (*)
Juscelino Kubitschek (décideur), Lúcio Costa (urbaniste), Oscar Niemeyer (architecte), Roberto Burle Marx (paysagiste), Marianne Peretti (plasticienne) et tous les candangos (**) n’ont pas seulement fait de cette ville un laboratoire en grandeur irréelle, leurs génies se sont surtout conjugués pour en tirer une étonnante réussite.
(*) En réalité, sur les 4 millions d'habitants du Grand Brasília, seuls 215 000 habitent le plan-pilote, pour l'essentiel les classes moyennes. Les grandes fortunes habitent les bords du lacs, les classes populaires la périphérie.
(**) Candangos : nom donné par Kubitschek aux constructeurs de Brasília (c'est celui sous lequel les esclaves désignaient les Portugais, peut-être du kimbundu kingúndu, aventurier, colon...).