Carnets d'exil

Du point de vue du PIB par habitant, indicateur traditionnel de la richesse (moyenne…) d’une population, le classement est le suivant* :

La France serait donc 4 fois plus riche que le Brésil, lui-même 2 fois plus riche que Saint-Domingue, légèrement distancé par Cuba. Ces 2 pays se trouvent au milieu du classement mondial, avec un PIB/h près de 10 fois supérieur à celui d’Haïti. L’économie cubaine n’est pas florissante, mais loin de la situation catastrophique qu’on lui attribue. Ceci est en partie dû à un effet de loupe : les prix anormalement élevés de Cuba gonflent son PIBh.

Si on considère le salaire minimum mensuel, cette hiérarchie subit une altération notable : Cuba s’y effondre, le salaire minimum y est le 100e de la référence française. Le salaire minimum du Brésil n’est plus que le sixième de celui de la France et pour Saint-Domingue, son douzième. En revanche, surprise, le salaire minimum haïtien s’élève, si on peut dire, à plus du 20e de la France : 3 fois plus que son PIB/h** :

Le fiasco cubain n’est pas celui de son économie, il est social, aggravé par le fait que les seuls métiers à y échapper ne sont pas ceux des diplômés, mais ceux, peu ou pas qualifiés, du secteur touristique, du fait de la double monnaie. Cuba produit de la richesse, mais ses habitants n’en bénéficient pas, si ce n’est par des expédients. Quant à Haïti, on voudrait se réjouir… mais qui, en Haïti, perçoit un salaire minimum ou plus ?

Un troisième indicateur, l’Indicateur de Développement Humain, composite celui-ci, a le mérite de fournir une synthèse non comptable du niveau de développement, à partir de calculs intégrant la longévité, la scolarisation et le revenu par habitant*** :

De ce point de vue, Cuba distance non seulement Saint-Domingue, mais aussi le Brésil, dont les considérables progrès économiques de l’ère Lula ne se sont répercutés que très partiellement sur le développement humain (et qui, depuis ces chiffres, a plongé dans le chaos). Quant à Haïti, on ne s’étonne pas de le voir de nouveau fermer la marche. Si l’IDH prenait en compte la sécurité (Cuba est avec le Chili le pays le plus sûr d’Amérique latine), Cuba creuserait encore l’écart sur le Brésil et Saint-Domingue, a fortiori sur Haïti.

Je reparlerai à l’occasion de Saint-Domingue et d’Haïti. Pour Cuba, faut-il conclure qu’on y vit mieux que chez ses voisins ? Ce n’est pas l’avis des dizaines de milliers de Cubains qui continuent de fuir le pays ni des millions qui rêvent de le faire (mais c’est aussi le cas de beaucoup d’Haïtiens et de Dominicains…).
On peut en revanche conclure qu’il faut se garder des idées toutes faites ; le régime issu de la révolution cubaine a tout misé sur l’éducation, la santé et le civisme, et sa politique culturelle est à bien des égards un modèle : ces chiffres montrent qu’il a de ces points de vue réussi. Cela ne peut faire oublier ni le déficit de libertés, ni l’implosion du niveau de vie de la population, ni la dépendance à haut risque du Venezuela, ni l’injustice générée par la double monnaie****, plus grave que celles que le pouvoir combattait.

Le castrisme a affamé les Cubains mais leur a rendu leur dignité. Son prix est-il acceptable ? L’ouverture et la libéralisation résoudront-elles ces problèmes sans mettre en pièces ces acquis ?

(*) Banque mondiale, 2014
(**) Données légales des pays concernés, 2014
(***) PNUD, 2012. Les pays y sont classés en 5 catégories : IDH très élevé, élevé, moyen, bas, très bas.
(****) Raul Castro a annoncé fin 2013 la fin de la double monnaie avant le... 16 avril 2016.

Réponses au Quizz :
1. C) Port-au-Prince. Mais ce pourrait être tellement de villes latino ou africaines !
2. B) Rio de Janeiro, entre 2 favelas. Mais ce pourrait tout aussi bien être le centre de Santo Domingo, entre 2 bidonvilles...